4-Chapitre 42 (4/5)

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Le restaurant était silencieux autour d’eux, vide à cette heure tardive. Même plus tôt, personne ne serait resté dans la salle en les voyant attablés contre le mur. Madame Brodaux avait mis un écriteau « fermé » sur la porte pour qu’on les laisse tranquilles, ce qui n’empêchait pas ses amis de les surveiller à travers la devanture, depuis une table à l’extérieur.

« C’est toi ?

— Précise, lapinou.

— L’agente, madame Lelierre. C’est toi qui l’as aidée à trouver Chloé pour qu’elle la renvoie dans le nord.

— Comment tu sais ça ?

— Elle est venue chez moi. Tu lui as donné mon adresse ?

— Certainement pas ! »

Bénédict semblait fulminer. Seuls à seuls, son grand frère abandonnait toujours sa superbe et l’air bravache qu’il affichait devant les autres. Il serrait sa tasse de thé entre ses deux mains, ses yeux noirs, nus, brûlants de rage.

« Elle avait déjà compris où se trouvaient les Bas-Endraux. Soit je mettais mon nez dans ses affaires, soit je la laissais faire et je n’avais aucun contrôle sur ses actions. Elle m’avait promis qu’elle ne ferait rien d’autre que convaincre Chloé de la suivre.

— Pourquoi tiens-tu à ce qu’elle remonte ?

— Je te l’ai déjà dit, c’est pas quelqu’un pour toi. »

Un long silence s’étira entre eux. Les mots de son frère lui revinrent encore en tête : que feras-tu le jour où… ?

« C’est vrai que tu as fait une crise hier soir ? », demanda Bénédict.

Ben lui expliqua les grandes lignes de l’aventure. Son aîné laissa échapper un rire aigre en remarquant qu’il n’y était pour rien, pour une fois. Puis il baissa les yeux sur sa tasse.

« Tu y tiens tant que ça, à Chloé ? »

Le cadet ne répondit rien. Il revit l’artiste dans les vêtements de Jo quelques heures plus tôt, son regard d’huile pétrifié quand elle lui avait demandé son sourire, ses mains égratignées par la sculpture à un million pour sauver son oliveraie, l’expression de son naufrage intérieur, son sourire à son anniversaire. La manière dont elle rejetait la tête en arrière pour rire presque sans bruit, avec des fossettes qui ombraient sa pâleur fantomatique. Et puis l’odeur de ses cheveux quand il s’était écroulé ; sa voix ondoyante, familière, trop familière, sur ce simple mot : « Respire ».

« Je ne pensais pas que sa disparition te ferait si peur. Je ne voulais pas te faire de mal, au contraire.

— Évidemment. Mais tu l’as fait quand même. »

Bénédict leva de nouveau les yeux vers lui, une lueur d’incertitude au fond de leur noirceur.

« Ce n’est pas de ma faute si elle a voulu fuir.

— Je parle de la maison de nos parents. Tu m’as pris la maison pour retrouver le collier, et ensuite tu as vendu Chloé à l’agente… si elle l’avait suivie, j’aurais tout perdu : la maison, Chloé, toi.

— Puceron…

— Je ne peux pas tout perdre. Il ne me reste déjà plus grand-chose ; qu’est-ce que je vais devenir si je ne peux plus te faire confiance ? Est-ce que… est-ce que j’ai raison de croire en toi ? »

Bénédict lui serra la main, mais Ben poursuivit, cherchant la réponse dans son regard trouble :

« Qu’est-ce qui me dit que tu ne vas pas encore me blesser ?

— Luciole…

— ça fait trop mal. Tu m’as fait trop de mal, Bénédict, je ne pensais pas que tu irais jusque là. Pourquoi as-tu tant besoin de me faire souffrir ? »

Respirer réveilla la douleur. L’émotion était bloquée dans ses poumons, au-dessus du cœur ; l’air refusait de la traverser. Il pencha la tête en arrière pour forcer l’inspiration, un vertige léger l’assaillit. Puis Ben se força à regarder son frère qui n’osait pas comprendre.

« Tu as gagné, je rends les armes. J’espère que ça te rend heureux.

— Benoît, je t’en prie… »

Mais Ben ne voulait plus entendre ses excuses. Il se leva, sortit en essayant de respirer, puis rejoignit ses amis à leur table. Jo et Albert l’accompagnèrent jusqu’à la voiture où Albert prit le volant. Une fois chez lui, il s’écroula dans son lit, ne sachant plus s’il cherchait l’air parce qu’il pleurait ou si c’était la douleur qui lui arrachait des larmes.

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