21 Parc Maillol - Prochain Arrêt

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Mardi 3 Octobre.

Des hommes sont dans le hall du siège social de l’entreprise Robert, près d’une machine à café, Edmond et Gilles discutent.

Edmond :

— Le matin ça va, à l’heure où je pars, y’a pas de soucis. Mais le soir ce n’est pas la peine. Hier j’ai mis une heure pour rentrer chez moi. Vingt minutes pour y aller, vingt-cinq pour me garer, un quart d’heure ensuite à pied.

— Et oui. Désormais il y a des sens uniques partout. Le plan de circulation est fait de façon à dissuader les automobilistes de rentrer en ville avec leur véhicule perso. Tu ne vas pas me dire que tu ne vois ça qu’ici ! Toi, le grand urbaniste, le concepteur de la Ville du Futur ! Je t’imagine dans ta bagnole dans les bouchons du centre-ville !

— Je ne pensais pas que la vie moderne serait arrivée jusqu’ici !

— Ben voyons. Nous, on est que des bouseux ! Vu où tu habites, tu n’as pas le choix, il faut que tu te mettes aux transports en commun, mon gars. Ici ça s’appelle le tramway. Répète après moi : Tram. Way. Tu veux que je t’explique ou tu cherches sur Wikipédia ?

— Arrête de te foutre de ma gueule, Gilles !

Ils rient. Gilles dit :

— Tiens, tu prends la ligne 4, et tu sors à Saint-Gatien.

— Et je le prends où ?

Gilles sort son smartphone, pianote dessus.

— Voilà : ici c’est le bureau, ici le centre-ville. Il montre un essaim de mots enchevêtrés à distance du bureau. Ici c’est le parc Maillol et ton appart’ à l’ouest. Les trois font un triangle.

— Prends-moi pour une blonde !

Gilles rit.

— Et donc la ligne 4 démarre de pile entre le bureau et le centre-ville. Elle longe le parc jusqu’à, ben jusqu’à près de chez toi. Le mieux c’est que tu la prennes au début de la ligne, à l’Ubac. En plus, t’as un grand parking, le maire, il a tout prévu !

— Je ne vais quand même pas tout faire en tram !

— Eh ! Dans ta ville imaginaire, y a des bagnoles partout en centre-ville ?

— Mais ici c’est tout petit ! Dans une mégapole, je comprends. Mais ici ?

— Bien ici, on a un mégalo maire.

Gilles est hilare. Edmond dit :

— Et le matin, je refais tout le tour ?

— Non, tu coupes par le parc. Le soir aussi, tu peux marcher un peu et passer par le parc. Sinon tu peux signer une pétition, y’en a une dizaine qui tournent.

— Fais voir le plan de la ligne ! Demain j’ai rendez-vous chez Niel. Il me faut combien de temps pour y aller ?

— Oh, d’ici, vingt minutes. L’avantage c’est que tu peux te garer chez lui. Il te refait bosser ?

— Oui. Sur une maison contemporaine, du même type que celle qu’on a déjà faite. J’ai l’impression que c’était fait exprès, la première était un coup d’essai.

— C’est flatteur. Ça veut dire qu’il est content de ton boulot.

— Normal, je suis un super archi’ ! Mais tant que je fais des cabanes dans les bois, je ne travaille pas sur un projet urbain.

 

Plus tard dans l’après-midi, Edmond plie son PC portable, l’enfourne dans la sacoche et quitte le bureau. Il est hors de question pour lui de poser sa voiture en début de la ligne 4, mais il est d’accord pour essayer la station Masséna, juste avant le parc.

Il met encore un quart d’heure à se garer.

La station est pimpante, vitrée, une borne informatique, des plans clairs, colorés, très management visuel. La voie aussi est très marketing, et en pelouse s’il vous plaît.

Il prend un ticket à la borne ; au moins dix personnes attendent déjà.

C’est évidemment une heure de pointe. De toute façon pour que ce ne soit pas le cas, il faut travailler de nuit ou très en décalé, genre dix heures le matin, vingt heures le soir. Et Edmond n’est pas prêt à se désocialiser volontairement.

Le tram arrive, tout neuf, tout vitré, sans bruit. C’est vrai que c’est un bel engin. Et à part cela, il est déjà plein. Edmond entre plus qu’il ne monte. Les gens ne le voient pas, visages tournés vers les fenêtres. Il les regarde, lui, et croise les yeux d’une belle demoiselle aux prunelles bleu marine. Il lui rend son sourire, satisfait de continuer à recevoir ce genre de marques d’intérêt, souriant, bombant le torse. L’idée lui plaît en fait davantage que la demoiselle en question.

Il regarde dehors. C’est vrai que la ville est là, à portée de main, la ville et ses habitants cohabitent avec le tram. À cette heure, les lumières des boutiques créent une ambiance chaleureuse.

Une voix féminine maniérée prononce :

— Prochain arrêt : Le Parc.

Le tram ralentit, la station est bondée, des dizaines de personnes cherchent à monter. Ça va être la cohue.

Edmond se cale dans un coin près de la porte et regarde la valse de ceux qui sortent, qui vont le tenter en tout cas, et de ceux qui vont entrer coûte que coûte.

Et là, il la voit, Magnan, quittant le wagon, dans le sens du tram. Une besace en bandoulière, un manteau bordeaux avec un grand col, un jeans clair, des bottines sombres. À grands pas comme à son habitude, elle est sortie à la station Le Parc.

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