31 Parc Maillol - Défi

5 minutes de lecture

Lundi 16 Octobre.

Dans le tram, Mila s’assoit à la place habituelle derrière le chauffeur, et prend son livre.

Edmond sort de sa voiture, il aperçoit Mila. Elle est tranquille et il a envie de jouer.

— Bonsoir Blanche !

Mila crie, met la main sur sa poitrine.

— Putain ! Vous m’avez fait peur !

Debout, accroché aux barres du plafonnier, Edmond est content de lui.

Il s’assoit de l’autre côté de l’allée centrale, sur une place double, son sac de sport entre ses pieds. Il dit :

— Allez, prenez des risques, venez vous asseoir avec moi !

Mila sourit et s’assoit près de lui.

Mila :

— Vous vous êtes décidé à céder au dictat des élus communaux !

— Oui. Je crois bien. La dernière fois que j’ai pris le tramway, c’était à Amsterdam. Mais ils étaient moins beaux qu’ici.

— C’est là-bas que vous étiez avant de revenir ?

— Oui. C’est là-bas que j’ai gagné mon diplôme bac plus cinq.

— Sur quoi avez-vous travaillé ?

— Sur des maisons sur l’eau. J’ai travaillé sur tout un quartier de maisons sur l’eau !

Et Edmond raconte son aventure sur un quartier résidentiel d’Amsterdam où vingt mille personnes vivent dans des maisons sur la mer. Il explique ce qu’il a vu, ce qu’il a fait.

— Les contraintes techniques sont très particulières. Les gens sont assez aisés financièrement et ils ont des exigences spécifiques. Il y a même des jardins dans ce quartier !

Mila l’écoute.

 

Il est comme un enfant qui est allé au cirque, il parle avec enthousiasme mais calmement. Il ne mange pas ses mots, il articule, a beaucoup de respect pour son interlocuteur. Ça doit être la énième fois qu’il raconte et il est toujours aussi généreux en détails.

Son visage sourit, il la fixe pendant qu’il raconte. Il aime partager, c’est une évidence. Il s’assure que Mila le suit dans son histoire. Son enthousiasme est contagieux ou bien est-ce sa voix, claire avec toutes ses harmoniques, et très masculine aussi, ou la façon dont il bouge ?

Elle reconnaît que c’est le fait qu’il parle avec elle qui lui plaît davantage que les maisons d’Amsterdam. Elle n’aime pas voyager. Le principe de maison sur l’eau l’intrigue, les sensations doivent être particulières, les couleurs aussi. Mais c’est trop loin. Et puis qu’est-ce qu’on mange là-bas ?

Elle voit sa main, la droite avec la cicatrice, posée sur sa cuisse, sur son jeans. Son long manteau est ouvert sur un pull en maille, col V vert foncé, qui lui cache sa ceinture. Elle est à côté de lui mais entre son manteau et le sien, aucune chance de ressentir la chaleur. Mais le contact, la pression est là, juste sur le côté de la cuisse.

Les stations ont défilé, la suivante est celle du Parc. Son récit touche à sa fin. Il ne regrette pas d’être rentré. Il a vécu des choses formidables, mais les choses tranquilles et familières lui ont manqué. Il est heureux de les retrouver.

Les portes s’ouvrent. Mila devance Edmond, ils sortent.

Mila :

— Le parc ?

— Pas de pain ce soir ?

— Non. Pas de pain !

Ils longent l’enceinte du parc et passent l’immense grille en fer forgé vert. Le parc n’est pas vide, des coureurs à pied font leur footing du soir sur les allées goudronnées.

Mila baisse la tête et à voix basse elle demande :

— Je ne vous ai pas vu jeudi.

— Oui, j’étais occupé. J’ai raté l’horaire.

— Vous avez une nouvelle affaire ? D’architecte… !

— Oui et non. Je préparais mon prochain projet. À l’étranger.

La bouche grande ouverte de surprise, Mila demande :

— Vous repartez ?

— Oui, mais pas tout de suite. J’ai isolé deux défis, deux folies. Le Canada et Abu Dhabi. Un où je vais me cuire, l’autre où je vais me geler !

Il rit.

Mila :

— Vous avez votre diplôme maintenant, vous pouvez travailler à concevoir. Pourquoi vouloir repartir ?

Edmond met les mains dans les poches de son manteau, hausse les épaules.

— Je ne sais pas. Je crois que j’aime le principe de la ville. Le fait du vivre ensemble, de concilier des choses qui sont opposées ou présentées comme telles : le travail, la famille, les amis. Le dormir, le sortir ; les jeunes, les vieux, les enfants. Les voitures, ceux qui se promènent à pied ! Ça me stimule, je trouve que c’est un beau défi !

Mila le regarde, attentive, attendrie. Elle baisse la tête en souriant et à voix basse elle dit :

— Je comprends.

— Ici, je me sens à l’étroit. Ma famille fait sa vie, mes amis aussi. Plus grand monde n’a besoin de moi. Je peux donc me mettre au service de mes envies loufoques.

— Vos envies ne sont pas loufoques, elles sont juste très en lien avec ce que vous êtes !

— Ah ? Et qu’est-ce que je suis ?

— Quelqu’un de prévenant et d’attentionné. De tout à fait égocentrique aussi, mais de très tourné vers les autres.

Edmond dépose les armes. Personne ne l’a jamais décrit comme cela.

Peut-être parce que ce ne sont pas des qualités qu’on reconnaît aux hommes en général. Mais pour Magnan, comme rien n’est sexué, elle peut dire cela.

— Est-ce que ces deux projets sont dans la cible de ce que vous cherchez ?

Edmond raconte ses dernières avancées :

— Le premier est à Montréal pour participer à la réhabilitation du centre-ville. Le cahier des charges est alléchant : tout est ouvert. La seule exigence est d’en faire un centre connecté à toutes les technologies de l’information, du genre de Detroit et des Smart Cities. Le second est à Abu Dhabi, eldorado du possible : construction d’une Tour-Ville. Avec ses habitations, ses plateaux industriels et commerçants, sa vie publique. Je crois qu’on y est.

— Oui, la porte Giono.

— Oui. Je vous laisse là, je vais au club par le parc.

— Je vous accompagne ! Euh… Je voudrais vous accompagner.

 

Ils marchent côte à côte sans se parler. Ils longent le lac par le haut, passent le pont en pierre, et sortent par la porte nord du parc Maillol, la porte Gambetta.

Mila est un peu morose.

— Combien de temps durera votre projet à l’étranger ?

— Aucune idée.

La porte nord est devant eux, Mila est toujours près de lui, calant son pas sur le sien. Il la regarde de temps en temps. Elle pense à autre chose, elle n’est pas tout à fait là avec lui.

— Bonsoir Blanche.

— Bonsoir Edmond.

Edmond traverse la route vers le bâtiment du club où le dernier étage est tout illuminé.

 

Mila déverrouille la porte et entre chez elle.

Elle ouvre le bout de congélateur de son frigo, sort deux poissons panés et les met dans une assiette. Elle entre dans sa chambre et en ressort en jogging et baskets.

Elle quitte l’appartement pour le parc. Au petit trot, elle court.

Elle rentre une demi-heure plus tard, rouge écarlate, en nage, le sang battant ses tempes. Après une bonne douche et un repas pas spécialement délicieux, elle se met à son portable. Il y a le mail d’Edmond de vendredi au sujet des cailloux. Elle écrit d’abord à Abigaëlle.

 

De : Blanche MAGNAN

Objet : News.

Date : 16 Octobre 20 :49

À : Abigaëlle ROUSSET

 

Salut Abi,

Comme vas ?

Moi ça va.

Je suis passée chez Mme L’Asthmatique, samedi, toute seule. Même que c’est vrai !

Je me suis remise à courir.

Écoute, voilà. Je ne sais pas quoi te dire.

Je t’embrasse.

 

Mila.

 

De : Blanche MAGNAN

Objet : Petits Poucets.

Date : 16 Octobre 21 :20

À : Edmond VALLONE

 

Bonsoir Edmond,

J’ai confiance en vous et en Monsieur Pierre.

Je sais que vous ferez au mieux.

 

Cordialement,

BM,

Jardinière Padawan.


 

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Nine Rouve ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0