62 Brocéliande - AC/DC

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La musique s’arrête brutalement en début de One de U2 [1].  

— Euh… Excusez-nous messieurs-dames. Je dois fermer le bar, dit une voix éraillée derrière eux.

Leurs respirations se dérèglent, se déconnectent. Ils libèrent leurs lèvres, leurs corps. Ils sourient, soupirent. Se séparent étourdis et, main dans la main, quittent le bar.

 

Arrivés dans le couloir des chambres, Edmond fait face à Mila, le visage rougi, les lèvres gonflées, les yeux pétillants. Il dit :

— Je voudrais poursuivre notre conservation…

Mila ne le regarde pas, elle sourit.

Edmond :

— Chez toi ou chez moi ?

— Chez toi !

Alors qu’Edmond se tourne pour l’emmener, Mila dit :

— Je passe chez moi d’abord. Quelques minutes.

Le visage d’Edmond s’est durci.

— Je préfère que tu me dises que tu ne veux pas !

— Non ! Non !  Juste quelques minutes !

Edmond sec, sévère :

— Écoute… fais ce que tu veux !

 

Mila ne répond pas.

Elle doit passer à la chambre. Oui, ce n’est pas nécessaire, c’est vrai. Mais il le faut, elle en a besoin.

— Quinze minutes.

Elle regarde son téléphone.

— Regarde, dans quinze minutes, je suis là.

Edmond, rigide, s’éloigne dans le couloir.

 

Mila entre dans sa chambre et douze minutes plus tard, elle en sort.

— Merde. C’est quelle chambre ? Putain ! Merde !

Elle descend à la réception.

Personne au comptoir. Mais toute à l’heure non plus il n’y avait personne. Elle appelle. Personne ne sort de la pièce magique cachée derrière.

— Merde ! Putain !

La pression monte, elle ne voulait pas blesser Edmond. L’heure est là et elle est ici, en bas.

Elle remonte dans sa chambre, attrape son téléphone. Compose le numéro d’Edmond. La tonalité. Ça sonne. Le répondeur.

— Merde. Edmond, je cherche ta chambre ! Merde !

Il n’y a pas grand monde dans l’hôtel, alors minutieusement, ridicule pour ridicule, elle tape à chacune des portes entre la sienne, en face de l’ascenseur, et toutes les autres dans la direction qu’il a prise tout à l’heure.

— « Toc toc », d’un côté.

Elle s’attend à ce que quelqu’un qu’elle ne connaît pas ouvre et qu’elle ait à s’excuser, confuse de taper comme ça, au hasard, à cette heure.

Mais personne n’ouvre.

Une seconde porte. Une troisième.

Putain, mais y’a personne dans c’putain d’hôtel.

Elle passe de l’autre côté du couloir. 

Pareil. Aucune porte ne s’ouvre.

Puis, perdu pour perdu, Edmond doit s’énerver, cela lui donne raison. Il craignait qu’elle ne prenne la fuite. C’est exactement ce qui se passe. Elle tape à toutes les portes, forts, trois coups brutaux. Les sons sont amortis par l’épaisse moquette du sol et des murs du couloir.

Elle est presque au bout du couloir.

— Non ! Merde !

Elle se dit que si personne n’ouvre sur les suivantes, elle criera. Oui, elle criera ! Il ne reste plus que ça, mais il reste encore ça !

Encore deux portes de chaque côté du couloir.

— Putain, mais pourquoi nous ont-ils mis si loin l’un de l’autre ?

Elle entend derrière elle une voix, un son court et aigu.

— Mila… ?

Edmond, le téléphone à l’oreille, sa chemise crème réenfilée à la hâte, pieds nus, penché dans l’encadrement d’une porte.

— Edmond !

Elle court vers lui, qui lui tend le bras et la presse déjà contre lui. Des yeux, il la fait entrer et ferme la porte sur elle.

— J’en ai pour deux minutes, articule-t-il.

Il est tout débraillé, la chemise toute ouverte, le pantalon déboutonné.

Elle regarde le numéro de la chambre. 237 ! Putain !

Tout est allumé. Toutes les lampes, toutes les ampoules pouvant l’être. Celles de la chambre, celles de la salle de bains.

La pièce est identique à la sienne, simplement inversée. Tous les sacs d’Edmond sont ouverts, posés par terre, les vêtements sont étalés sur les sacs ; les boxers, les chaussettes, les t-shirts, les chemises. Le PC portable est ouvert et allumé sur la table.

Il est au téléphone avec un gars de chantier. Quand il raccroche, son téléphone sonne de nouveau.

— Je finis et je suis à toi.

Mila se dit que c’est quand même une drôle d’expression que celle-ci.

Il y a son odeur dans la chambre, son parfum et une autre odeur aussi, de shampoing, de savon. Le lit n’est pas défait, les oreillers sont en place, tels qu’a dû les mettre la personne du ménage.

Edmond n’a pas terminé avec son autre interlocuteur, il jette des regards vers elle. Du coup, elle n’ose plus le regarder. Il a des pieds larges, la chemise est tellement bien repassée qu’elle se ferme toute seule.

Il vient vers elle, saisit son bras et la tire dans la chambre. Finalement, il retire le téléphone de son oreille, appuie sur plusieurs boutons et le pose près du PC.

Il écarquille les yeux.

— J’étais sûr que tu ne viendrais pas… !

Il est très agité. Se déplace vite. Dans la salle de bains, il éteint les lumières et revient dans la chambre.

— … alors j’ai écouté mes messages. Les gars essaient de faire commencer leur week-end le vendredi midi, alors c’est fréquent qu’ils appellent le jeudi soir pour négocier.

Il fait lever Mila du lit, attrape son visage et l’embrasse voracement.

Edmond :

— Hum, tu t’es brossé les dents.

— Toi aussi.

— Oui ! Je me suis demandé ce qui était si important pour toi de faire après ce que nous avions commencé tous les deux.

— Les secrets ne sont pas intéressants, c’est ce que tu as dit et tu as raison.

— J’ai toujours raison ! C’est ce que je me tue à expliquer à mes gars de chantier !

— Je suis désolée, je n’avais pas le numéro de ta chambre, il n’y avait personne à la réception, je t’ai appelé…

Elle s’interrompt.

— J’avais l’intention de venir.

Elle remarque la porte dans la cloison, Edmond suit son regard.

— Oui, ils nous avaient mis dans des chambres communicantes, mais ils ont changé de fusil d’épaule en début de soirée… !

Edmond s’est calmé.

Le regard de Mila est fuyant. Elle est bien raide, pas souriante pour un clou. Il essaie de comprendre, fronce les sourcils et l’interroge du regard.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Mila n’arrive pas à parler, tout se bloque dans sa gorge.

— Essaie avec « j’aime » ou « je voudrais », tente-t-il avec une moue.

Mila respire fort, baisse les yeux.

— Je voudrais qu’on éteigne les lumières.

— Ok, j’éteins les lumières.

Edmond se lève comme un chat, d’un saut. Il cherche les interrupteurs et éteint toutes les ampoules, une par une.

Le rideau de la fenêtre n’est pas tiré, il ne fait pas complètement noir, ils se devinent.

— Comme ça ?

— Oui.

— Je mets un peu de musique !

Il bondit de nouveau, attrape son téléphone et pianote dessus. Une musique douce s’échappe d’une toute petite enceinte. Mila ne la reconnaît pas. Pas encore. Encore quelques notes, cela lui dit quelque chose.

Et soudain, un silence, et d’autres instruments, un autre rythme et le riff de Highway to Hell d’AC/DC résonne.

— Tonnerre… !

Edmond saute sur le lit, le téléphone tombe par terre. Il réussit à rallumer une applique et à quatre pattes, cherche son téléphone sous le sommier.

Mila commence à rire et s’assoit sur le lit.

Edmond brandit son téléphone, triomphant, au moment du refrain et le pose sur la table de nuit. Il saute debout sur le lit et, tenant un oreiller par le coin, il se met à simuler une guitare et à chanter comme un rocker les paroles de la chanson.

Mila éclate de rire et se laisse tomber à la renverse sur le matelas.

À la fin du refrain, Edmond reprend son téléphone et pianote dessus à nouveau.

Un slow reprend, Adele et Don’t you remember.

Edmond se rallonge sur le lit, appuyé sur le coude. Mila devant lui en tailleur.

— Bon ! Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse maintenant, un scrabble… ?

— Donc tu chantes !

— Je chante et je joue de la guitare.

— Ouahou ! Avec tes amis, ceux du club ?

— Oui les mêmes, mais c’était il y a longtemps pour épater les filles. Mais maintenant qu’ils sont casés et qu’ils pouponnent, ils ne jouent plus et moi non plus.

— Et ça marchait, avec les filles ?

— Top ! Les filles adorent ça, les chanteurs, les musiciens... Ensuite c’est du billard !

— Tu as dû en ramasser tout un tas.

— Oh. Oui ! Tout un tas. Plus que ça même… !

 

Mila n’y est plus, un sourire sur le visage, Edmond sait qu’il a raté sa chance. L’ouverture « slows » s’est envolée, la Bugatti est rentrée revêtir sa bâche.

— Et toi, tu faisais du golf avec Abigaëlle ?

— Non, Abigaëlle ne golfe pas. Elle était ma colocataire quand je faisais mes études.

— Tes études d’ingé’ ?

— Oui, on s’est rencontrées comme ça, on partageait le même appart’.

Edmond voit à nouveau Mila songeuse.

La Bugatti a plus que la bâche sur le capot. Elle a aussi la bâche sur les pneumatiques.

Ils discutent encore un moment de tout et de rien, échangent quelques regards sages, Mila bâille souvent, ses paupières se ferment toutes seules, elle se frotte les yeux autant par fatigue que pour se cacher des questions d’Edmond. Ils se parlent de leurs minutes en commun ici, dans l’hôtel, de la réceptionniste, du groupe de vieux.

Et puis Edmond lui propose qu’ils se séparent et qu’ils se retrouvent le lendemain matin, à cinq heures si elle le souhaite, parce qu’il est du matin. En fait qu’elle vienne quand elle veut, parce qu’il est là, il ne bougera pas.

[1] U2 est un groupe de rock irlandais formé en 1976. Il a vendu 170 millions d'albums et a également remporté 22 Grammy Awards. U2 a été classé 22e sur la liste des 100 plus grands artistes de tous les temps par le magazine Rolling Stone. https://www.youtube.com/user/U2official

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