72 Cité Fondée - Beaune

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QUATRIEME PARTIE : CITE FONDE

 

Samedi 11 Novembre.

Mila est chez elle.

Elle se prépare un grand plat de lasagnes pour la semaine. Son téléphone sonne, elle a les mains sales, le temps qu’elle les nettoie, un message a été laissé :

— « Mila, c’est moi, rappelle-moi, j’ai un problème pour ce soir. »

Elle appuie sur son téléphone à touches.

— Vallone.

— Oui. Euh… C’est Mila !

Elle souffle, sourit dans son téléphone.

— Mila, je ne pourrai pas te voir ce soir.

Elle entend des bruits avec la voix d’Edmond, des cris d’enfants et un écho froid.

— Je suis désolé. J’aide un copain chez lui. On s’est embarqués dans du carrelage. La faïence de sa douche. Et ça ne se passe pas bien. Sa femme nous aide, mais les enfants commencent à mettre le bocson, elle est en train de péter les plombs. Et demain ils ont du monde, il faut qu’on finisse ce soir.

Mila encaisse.

— Mila, je suis désolé. Je t’appelle même tard ? On se voit après ?

— Oui. Bien sûr, c’est rien, ne t’inquiète pas, je comprends.

— Super, Bébé. À plus.

— À plus.

Mila pose le téléphone, elle grimace.

— « Bébé », « à plus ! »

Elle termine la préparation du plat.

Puis elle range.

Elle fait toute sa vaisselle. Étend sa lessive. Fait son ménage. Range son appart’.

C’est le milieu de l’après-midi.

 

Edmond pose la meuleuse, Fabrice sourit.

Fabrice :

— On tient le bon bout !

— Ouais.

— C’est quoi qui sonne ?

— Merde ! Mon téléphone.

Edmond se détourne de Fabrice qui le regarde faire, amusé.

— Vallone.

— Edmond, c’est Mila. Est-ce que je te dérange ?

— Non…

— Edmond, est-ce que… la femme de ton copain, elle préfère vous aider ou s’occuper de sa maison et de ses enfants ?

— Quoi ? Euh… ! J’en sais rien... Attends, je demande.

Edmond à Fabrice.

— Fabrice ! Lynda, c’est quoi qu’elle préfère : bricoler avec nous ou s’occuper de la maison ?

— Hein… ! C’est quoi ta question, Léo ?

Edmond écarquille les yeux d’un air de dire : Eh ! T’occupe ! Réponds à ma question !

— Lynda n’a aucune envie de bricoler avec nous !

Edmond se détourne à nouveau.

— Mila ? Non, elle préfère s’occuper de sa maison, pourquoi ?

— Euh, non, non, pour rien… Enfin, si… Edmond ! Est-ce que je peux venir vous aider… ?

Edmond se tourne vers Fabrice et le regarde d’un air ahuri.

Fabrice soupçonneux :

— Ça va mon frère ?

— Mila, on ne va plus tarder à finir. Ça se passe mieux maintenant. Ce n’est pas la peine que tu viennes.

— Ah !… D’accord... excuse-moi… à plus tard.

— À plus tard.

Fabrice se tourne vers Edmond. Il le regarde avec un sourire moqueur.

— Quoi ? Qu’est-ce que t’as ?

— Mila, bébé ! Félicitations Edmond. C’est qui ?

— Une nana.

— Sans blague ?

Fabrice tape virilement sur l’épaule d’Edmond.

— C’est bien, Léo !

 

Après X coupes de carreaux et les joints faits, vient l’apéro. Une bière, deux bières, Edmond appelle Mila.

— Edmond !

— Oui, Bébé, c’est moi. Dis, on a fini. On se boit une bière et je rentre. Où tu veux qu’on se retrouve ? Je n’ai rien à bouffer chez moi. On va manger quelque part ?

Il entend Mila souffler au téléphone.

— Ben il est déjà tard.... Le temps qu’on sorte et qu’on trouve un resto avec une table dispo… Est-ce que… j’ai à manger, moi. Si tu es d’accord, je ramène à manger chez toi.

— OK, cool ! Alors viens, dans quoi ? Une demi-heure ! T’as qu’à rentrer, je laisserai ouvert. Entre, même si je suis sous la douche.

— T’en as pris qu’une seule de bière ? Je ne sais même pas où tu habites !

Il se tourne vers Fabrice qui, les yeux sur le goulot de sa bière, fait semblant de ne pas écouter leur conversation.

— Je suis au 18 face à la sortie Saint-Gatien, dernier étage. Y’a mon nom sur la porte.

Il marque un temps.

— Mila ?

— Oui ?

— Ramène des œufs... ! Des œufs et un pyjama ! Je veux que tu restes cette nuit.

Le souffle de Mila grésille dans le téléphone.

— À tout à l’heure.

 

Mila gare l’Express juste derrière la Range.

Elle repère le 18 et sort une glacière, un petit sac de sport. L’immeuble est assez haut. Le dernier étage est allumé. Elle ferme la voiture à clé. S’éloigne.

C’est une porte moderne, toute plane, avec une barre verticale en guise de poignée. Sur le bord, une plaque en laiton avec des noms. En bas à droite, elle lit « E. VALLONE », elle appuie. Une voix métallique lui répond :

— Ouais.

— C’est Mila.

— Pousse la porte. Dernier étage.

Mila pousse la porte. Un « cric » métallique dans le haut-parleur, Edmond a raccroché.

Elle entre dans un hall très contemporain, peinture récente, casiers de boîtes aux lettres brillants, le hall sent les produits d’entretien. Au fond, l’ascenseur.

Elle appuie sur le bouton « monter », entre dans la cabine, appuie sur le plus grand chiffre : le 6.

L’ascenseur est très doux, il s’ouvre sur un vaste palier à trois portes. Vu que son appart’ donne sur le parc, il doit être de ce côté. Elle cherche les sonnettes et les noms écrits dessus. Pas la première porte, donc la seconde.

Oui. « E. VALLONE ».

Elle sonne et la porte s’ouvre sur un Edmond vieilli de quarante ans.

 

Blanc de poussière, pieds nus en pantalon de chantier dans un vieux t-shirt noir en manches courtes des Offspring [1] plein de taches épaisses de colle à carrelage. Ses cheveux et ses sourcils sont tout blancs, il a de grosses coulures grises sur le visage. Les poils de ses avants bras sont également tout épaissis mais ses mains sont propres.

— Entre.

Mila pose ses paquets dans l’entrée.

— J’arrive juste !

Edmond la laisse à peine découvrir la pièce, et la musique. Snow Patrol [2].

— Je vais prendre une douche. Fais comme chez toi.

Il disparaît dans le couloir à gauche.

Mila défait son manteau, le pose sur une patère dans l’entrée, se déchausse.

La pièce est grande, bien plus que celle de son appartement. La cuisine est toute intégrée avec un îlot au milieu et deux chaises de comptoir de bar. Une table rectangulaire avec ses quatre chaises, un grand canapé avec un grand pouf et une table basse en bois. Et devant tout ça, un meuble avec une grande télé et le PC portable relié et ouvert.

Elle avance vers les deux grandes fenêtres qui donnent sur la grande pelouse du parc puis elle revient dans la pièce et remarque l’ancienne cheminée et des photos sur le manteau.

Photos de lui, Edmond au kayak. Une photo de lui probablement enfant, avec ses parents et son frère. Deux petites photos de ses neveux et puis une photo de quatre garçons les bras des uns sur les épaules des autres. Elle reconnaît Edmond au milieu, plus jeune que les trois autres.

Il y a une bibliothèque de chêne clair aussi avec des beaux livres d’architecture, de voitures. De groupes de rock aussi.

Elle revient dans l’entrée, prend la glacière et la pose sur l’îlot de la cuisine. Elle sort les plats mais les laisse là. Elle n’ose pas ouvrir le four pour les faire réchauffer et mettre le reste au frigo. Tout est bien rangé, la vaisselle posée sur l’égouttoir.

Elle ne va pas rester là, à attendre sans rien faire. Elle n’a fait que cela aujourd’hui, l’attendre.

Elle quitte le séjour vers le couloir. L’eau coule dans la salle de bains.

— Edmond ?

— Oui !

— Je peux fouiller dans ta cuisine et faire réchauffer les plats ?

— Oui, fais comme chez toi !

Mila allume le four, range le dessert au frigo, la salade, et ramène la glacière dans l’entrée.

Elle fouille encore, trouve un tire-bouchon et ouvre la bouteille dans un « bblooogct ».

L’eau s’est arrêtée de couler.

La porte s’ouvre ensuite et Edmond, dégoulinant encore, sort, une serviette bleue marine autour des hanches.

Les yeux vitreux, un sourire béat, il dit :

— Salut. Alors qu’est-ce que tu nous as préparés ?

— À nous ? Rien !

Mila a comme une espèce de grosse boule au niveau de la gorge. Il est des choses qu’elle aimerait assez lui dire.

Par exemple, que pendant que lui bricolait tranquillement et ensuite se tapait des bières, elle, elle attendait son coup de fil !

Également, elle poursuivrait en lui disant que lorsque finalement il l’appelle, c’est pour lui dire de le rejoindre, mais il arrive tout juste et n’a pas même encore pris de douche. Et en plus, il n’est qu’à moitié lucide. Combien de bières a-t-il dans le gosier ? Et comment son copain a-t-il pu le laisser partir comme ça ?

Elle voudrait aussi lui dire qu’elle est venue passer la soirée en invitée chez un garçon beau, intelligent et prévenant. Et pas chez elle, avec un mari avec qui elle vient de fêter des noces de diamant.

En même temps, il est là debout, tout nu ou presque, avec ce torse fantastique, cet air bienheureux, et Mila n’a finalement qu’une seule envie, c’est de passer une bonne soirée avec lui.

Elle se dit aussi qu’il faut qu’elle ne l’attende plus comme ça, tout une après-midi. Ça, elle peut le faire.

Elle est partagée, vraiment.

Comme d’habitude.

— Dis-moi où je peux trouver des verres à vin. Parce que moi, je n’ai pas pris l’apéro ! Et je voudrais bien me goûter ce Côtes de Beaune 2002 [3] que je nous ai ramené !

Edmond ouvre un tiroir, sort un couple de verre à vin très élégant et le pose à côté de la bouteille, Mila verse le liquide rouge brique dedans.

Mila :

— Tu en prends, toi ? Tu vas être capable de l’apprécier ?

— Qu’est-ce que ça veut dire, ça, Princesse ?

— Combien tu as pris de bières ? Tu ne devrais plus avoir trop soif ! Et comment t’es rentré en voiture ?

— Alors Magnan, figure-toi que, un, mon ami Fabrice m’a ramené. Deux, j’ai toujours soif pour un bon verre de vin avec une jolie fille. Et troisièmement, je n’ai pris que quatre bières. Ça ne fait pas beaucoup pour un corps aussi surdimensionné que le mien. Quatrièmement, j’adooore savoir que je t’ai manqué !

Mila scrute ses yeux.

— Qu’est-ce que tu regardes ? demande-t-il

— Ton niveau de lucidité.

— Je suis juste un peu gai. Un peu plus que d’habitude.

Mila sourit à pleines dents, Edmond s’approche et l’embrasse.

— Eh, on ne va pas s’engueuler le premier soir où tu viens chez moi ! J’ai passé une très bonne après-midi et j’ai envie d’une très bonne soirée. Merci d’être là et d’avoir préparé à manger pour nous ce soir.

Elle s’apprête à réagir vivement mais, finalement, considérant la brise au doux son de sa voix, elle se tait.

— Je m’habille ou c’est toi qui te déshabilles ?

— J’ai faim !

— Ok Magnan ! Tu viens avec moi ?

— Non ! Je t’attends ! C’est ce que j’ai fait toute l’après-midi d’ailleurs…

Edmond disparaît dans le couloir. Mila remplit le second verre dans le « blouougt blouougt blouougt » délicieux et se met devant une fenêtre.

— Hum, ça sent bon !

Edmond reparaît, parfumé, les cheveux mouillés, coiffés en arrière.

Mila déglutit, ferme sa bouche et ses pommettes remontent, gonflées par la surprise. Le vin ? Edmond ? Hum ! L’ambiguïté est de mise.

Edmond prend le verre sur la table, s’approche d’elle près de la fenêtre et fait tinter leurs verres.

Mila :

— Avec mon petit appart’, j’ai une cave. Et j’ai quelques belles bouteilles.

— En effet !

Edmond approche son visage de celui de Mila.

— De quoi as-tu faim exactement ?

Mila rit.

— De salade verte !

Edmond grimace.

— Avec une vinaigrette. Pas mauvaise.

Il la regarde suspicieux.

— Agrumes, citron peut-être. Boisé, bois de cèdre ? Menthe poivrée ?

Mila fronce le nez.

— Muscade, aussi, un tout petit peu je crois, et fleur blanche. Jasmin peut-être. Et puis une autre odeur aussi que je sentirais peut-être mieux un peu plus tard, lorsqu’elle se sera installée… !

— La vinaigrette te suffit, en fait, pas besoin de salade !

— Il faut que je mange un peu quand même.

— Hum, le nez c’est bien, mais la bouche c’est pas mal non plus.

— Je préparerai des lasagnes à mettre en intraveineuse, la prochaine fois !

— Oui fais donc ça. Ça ira plus vite !

Ils s’embrassent.

— Une journée comme je les aime. Les copains et la femme qui attend à la maison pour l’honorer, le repas fait !

Mila prend sa respiration mais Edmond déjà sourit en coin.

 

Il met le couvert sur l’îlot et Mila sort les plats.

Elle tremble en coupant les lasagnes et en servant Edmond. Elle évite ses yeux. Elle craint que le plat ne lui plaise pas, qu’il reste des cailloux dans la salade. Et puis autre chose aussi, comme servir cet homme et tous les stéréotypes que cela fait remonter dans son esprit.

Ça fait beaucoup en trois jours.

Elle gère.

— Vous avez terminé le carrelage ?

— Le collage oui. On a fini toutes les coupes. Il faudra qu’on fasse les joints.

— C’est une construction récente ?

— Non c’est une maison en pierre, comme toi, mais en ville, une échoppe en fait. Il fait beaucoup de choses dedans tout seul, mais je l’aide volontiers.

 

Ils mangent. Edmond lui dit que c’est très bon. Mila le remercie. Il a l’air sincère, ça fait très plaisir à Mila. Elle sort alors le dessert : deux gros tiramisus.

— Mmmm ! Repas italien ! dit-il.

— Oui.

— Mes grands-parents paternels étaient Calabrais.

Mila ouvre grands ses yeux.

Edmond :

— Oui. Ils avaient tous les deux des yeux couleur de turquoise.

Edmond porte le verre à ses lèvres.

— Tu regrettes la couleur de tes yeux ? demande-t-elle.

— J’aurais bien aimé avoir la couleur des Vallone. Mon frère a le bleu des Vallone, ses enfants aussi. J’aurais bien aimé avoir cette couleur-là moi aussi.

Mila laisse passer un temps mais comme Edmond est encore scotché sur son regret, elle lui dit alors avec douceur :

— Tu l’as toi aussi. Il ne s’exprime pas mais tu l’as toi aussi, le bleu des Vallone.

Edmond garde les yeux sur son verre.

Mila :

— Tes enfants auront peut-être aussi cette couleur-là dans leurs yeux.

Il ne le dit pas mais il ne comprend pas et il voudrait bien comprendre.

Mila :

— C’est le mécanisme des gènes dominants et des gènes récessifs.

Elle dessine un « Y » avec son doigt sur la table.

— Chaque personne a deux couleurs dans son patrimoine. L’un reçu de sa mère, l’autre de son père. Mais une seule des deux couleurs s’exprime dans les yeux. Si tes grands parents avaient tous les deux les yeux bleus, ils ont donné deux couleurs bleu à ton père et ton père doit avoir les yeux bleus.

Edmond acquiesce.

— Ton père t’a donc donné du bleu. Nécessairement, puisqu’il n’avait que ça ! Tes yeux ne sont pas bleus…

Mila regarde chacune de ses prunelles éclatantes qui l’écoutent avec attention.

— … mais ils sont clairs, ta mère t’a donc donné un gène clair aussi. Pas bleu mais clair néanmoins.

— Elle a les yeux marron foncé.

— Oui. Le marron est un gène dominant. Il prend le dessus pour donner la couleur qui s’exprime. Mais ta maman a elle aussi reçu deux gènes. Un de son père, un de sa mère. La couleur que tu vois dans ses yeux est l’un des deux mais il reste l’autre. Dans ton cas, la couleur de tes prunelles est le merveilleux mélange des gènes que tes parents t’ont donnés. Pas l’un, pas l’autre, mais les deux mélangés. C’est beau, non ? Tes yeux sont extraordinaires, Edmond. Et tu as forcément le bleu des Vallone toi aussi.

Mila sourit. Il lui semble qu’il lui est reconnaissant, qu’il est rassuré aussi, de quelque chose.

Il pose son bras sur le dossier de sa chaise et l’embrasse dans les cheveux.

Edmond :

— Alors ce tiramisu ! Ah, tu veux un Irish coffee après ?

— Oui. Très volontiers ! Elle sourit.

Ils mangent leur dessert.

— Tu veux qu’on se regarde un film ? demande-t-il.

— Hum.

Il éteint la musique, attrape une télécommande.

— La Grande Vadrouille [4], le Fugitif, des séries télé…

— La Grande Vadrouille !

Mila referme la bouteille de Bourgogne, range la cuisine, fait la vaisselle. Edmond prépare les Irish Coffee. Il plante deux pailles dedans, les pose sur la table basse et éteint les lumières. Il s’installe sur le long canapé contre l’accoudoir et lance le film. Mila s’assoit sur l’autre côté, les jambes repliées, les genoux contre sa poitrine. Elle mélange les trois couches de couleur et commence à boire.

— Mmmm. Il est bon, dit-elle.

— Normal. C’est moi qui l’ai fait.

Mila sourit. Elle observe Edmond, pieds nus croisés, vautré sur le canapé, le coude posé sur l’accoudoir. Il ne laisse rien paraître sinon qu’il a le temps, que rien ne presse que de boire son café amélioré.

Le liquide chaud brûle les entrailles de Mila, la mixture sucrée nappe sa bouche, son larynx. Elle tourne le dos à Edmond et se laisse aller, sa tête s’alanguit contre le dossier du canapé.

Edmond a posé son verre vide sur la table basse, il tape sur l’assise entre ses jambes.

— Viens. Approche, dit-il.

— Je vais t’écraser.

— Non, tu ne vas pas m’écraser ! Viens !

Mila finit de téter le liquide trouble en faisant ronfler sa paille. Elle rit et vient se poser délicatement entre les cuisses d’Edmond, contre lui. Elle serre ses jambes toutes repliées. Tout son corps est sagement rangé.

Elle rit lorsque Big Moustache lance son fameux « kôlè » au-dessus de Paris. Elle est heureuse, elle se sent libre et choyée. Elle sent ses cheveux arrêtés dans leur course contre le cou d’Edmond quand elle rit. Elle s’abandonne contre sa forge ; elle se sent bien. Ses épaules sont comme assouplies par un masseur généreux, elle glisse contre Edmond comme dans une grande baignoire. L’eau y est bien chaude et pleine de mousse. Soulevée, pelotée, légère.

La respiration d’Edmond s’est raccourcie, le dossier de Mila la ballotte. Ce n’est pas en phase avec le film, Peter Cunningham n’est pas encore tombé sur l’échaudage de Bourvil. Mila sourit, Edmond est pressé. Cela l’amuse. La vapeur, la mousse, les scénarii connus. Elle est calme, elle est heureuse, elle se sent aimée. Elle ferme les yeux, caresse ses avant-bras gainés et le désir file entre ses cuisses.

 

Le souffle d’Edmond et son visage viennent se poser dans ses cheveux, ses bras, ses mains la tirent contre lui puis disparaissent sous son sweat. Elles sont curieuses, sont entravées. Mila ne fait rien pour les aider, elle sourit.

Et puis parce qu’elle ne veut surtout pas qu’il se lasse, elle se lève. Et sans quitter De Funès et sa réplique « c’était pas mauvais, c’était très mauvais », elle se déshabille, se met en culotte et réenfile son sweat sur sa peau nue. Et elle se rassoit, entre les jambes d’un Edmond un peu surpris.

Elle sourit en posant sa main sur les siennes brûlantes et déployées sur la soie tiède de ses seins et ferme ses yeux. Elle enroule une mèche de ses cheveux entre ses doigts et niche sa tête au creux de son cou. Elle cherche ensuite sa bouche qu’il lui présente, tout près, toute prête. Elle sourit encore, tire sur sa lèvre inférieure et elle éclate de rire quand De Funès dit : « Sortez ! Méphisto, Marguerite, Faust, sortez ! Je ne veux que Berlioz et moi dans la salle ». Elle pointe sa langue dans sa bouche, mordille la sienne qu’il a risqué de sortir.

Edmond lève les yeux sur le film mais Mila attrape son visage. Elle se laisse couler et l’emporte avec elle sur le canapé.

— Fallait pas charger les Irish Coffee comme ça, Vallone…!

Edmond l’embrasse et Mila éclate de rire. Mais ce n’est pas le film, ce sont les caresses d’Edmond qui la chatouillent. Elle regarde sa mine déconfite, l’embrasse. Elle rit encore et tourne la tête quand De Funès tape comme un sourd sur sa perruque.

Elle sent Edmond pressé, frustré, jaloux, alors elle ferme les yeux et le laisse diriger.

 

Et puis tout se strombolise.

Des milliers d’aiguilles de lave se fichent le long de ses terminaisons nerveuses. Ses seins deviennent durs, la moitié de son sang propulsée en escadron avancé là.

Sa peau s’horripile, s’apprête à répondre aux étincelles du contact avec les mains d’Edmond. Son entrejambe devient une crypte tropicale maorie, un Stonehenge en plein Pacifique, englouti, enluminé pour la cérémonie du Sacre.

Elle chuchote alors :

— J’ai envie de toi, Bébé. J’ai tellement envie de toi. Fais-moi du bien. S’il te plaît.

Edmond pourrait rire, mais il n’en est pas là.

— Oh oui chérie, je vais te faire du bien. Que tu ne penseras plus qu’à ça. Je te le promets. Tu me supplieras de ne jamais m’arrêter. Je vais te montrer tout ce que je suis capable de te faire. Tu ne voudras revenir qu’à ça et je serai là pour tout ce que tu voudras.

Edmond enlace ce corps qui ondule sans pouvoir faire autrement. Un anaconda tout chaud et tout doux. Il exige qu’elle ne bouge plus, il la caresse, étalant toute sa savante maîtrise.

Mila murmure :

— Bébé…

— Oh oui chérie, je vais m’occuper de toi. Tu ne pourras plus poser tes fesses sur ce canapé sans te rappeler ce que je t’aurais fait dessus.

Mila ouvre sa bouche, elle sucerait tout ce qui se présenterait.

— Est-ce vrai ou est-ce que tu simules ?

Mila rit, sa poitrine secouée une fois. Elle mord sa lèvre et ouvre un peu ses yeux.

— Je simule…

Edmond ricane, ses doigts experts se promènent dans toutes ses impasses de peau chaudes et détrempées.

Puis il la déshabille et son visage fond entre ses jambes. Mila presse sa tête, tire ses cheveux, elle se cambre, gémit, chuchote des « encore » tellement torrides.

Elle caresse son menton, ses lèvres qui lui procurent ce plaisir apocalyptique. Elle profite et tient le coup. Puis ses mains disparaissent et Edmond découvre qu’elle pétrit ses seins.

 

Ensuite elle saisit ses poignets et l’implore.

Alors Edmond opère et Mila s’incendie.

Elle oscille longtemps. Edmond bande comme un taureau, une batterie complète. De voir cette fille vibrer autant autour de ses doigts, l’excite au plus haut point.

Et puis ensuite Mila se redresse. Elle sourit, elle dit :

— Pas mal… !

Elle rit, les yeux tout plissés, les dents écartées. Edmond rit aussi, soufflé, vexé à moitié, à moitié sidéré.

 

Mila est partie, l’eau coule dans la salle de bains. Elle revient et essuie la bouche d’Edmond. Il suce ses doigts et Mila grimace.

Il l’attrape, finit de la déshabiller, brusque, pas romantique pour un clou. Il la ramène contre lui et se gave de ses seins.

Mila sourit, l’embrasse encore une fois, d’un baiser tendre et doux et descend à genoux entre ses jambes.

Elle le déshabille, se frotte contre lui, sa peau à fourrure, son bain moussant. Un bain moussant épais qu’on peut tâter et serrer contre soi. Elle s’occupe de lui, de tous ces bouts de peau et de tous ces morceaux de chair qu’elle ne sait même pas comment ça s’appelle.

Elle aime s’occuper de lui. C’est facile de s’occuper de lui. Elle n’est pas débordée quand elle s’occupe de lui. Elle a le temps. Edmond sait recevoir.

Elle écoute ses soupirs rauques, ses murmures légers, ses poignes et ses doigts étoilés qu’il a plongés dans ses cheveux. Elle le fait languir mais pas trop longtemps. Elle lui donne ce qui lui fait plaisir : du chaud, du mouillé, du mâchouillé.

La tendresse, le besoin de communier avec cet homme lui transperce le ventre. Elle l’enlace, s’enroule autour de sa peau velue, s’inclinant devant cet ordre viscéral. Elle se sature de lui, de la force de sa vie. Elle le rend raide et tendu comme l’arc d’Hercule et elle l’emmène jusqu’au sommet. Satellisé.

 

Dans la salle de bains, Mila est entrée.

Quand elle sort, Edmond l’attend et la téléguide dans la chambre. Il se cogne contre la porte et l’ouvre d’un coup de hanches brutal. Il la jette sur le lit et Mila perçoit des odeurs de bois, de papier, de linge aussi de cette pièce. Le parfum d’Edmond, aussi, partout. Elle est enivrée dans la chambre d’Edmond et dans ses bras.

Il pose ses mains de chaque côté de sa tête, les doigts enlacés par ses cheveux.

— Tu restes, cette nuit !

— Non !

— Pourquoi Mila ?

— Parce que tu t’en vas demain. Je ne veux pas voir que tu t’en vas.

— Je vais bouffer chez mes parents le dimanche, je ne m’en vais pas ! Et je veux un planning, des soirs où je te vois, où tu restes.

— D’accord.

— Lundi, mercredi, vendredi et samedi soir.

— Pas le vendredi, il faut que j’aille à la maison.

— Je veux venir à la maison moi aussi. Je veux y être moi aussi, dans ta maison.

— Hein… ??

— La semaine ici chez moi. Et le samedi aussi, on ira au ciné, au resto, on se regardera des films en se pelotant sous la couette. Mais le vendredi soir, je veux le passer avec toi. Si tu es à la maison, alors je viendrais dans cette maison.

— Non ! Il y a rien là-bas, c’est du camping ! Regarde où tu habites, je ne veux pas que tu viennes là-bas.

— Alors toi non plus ! Je veux passer le vendredi soir avec toi !

— D’accord, lundi, mercredi, vendredi et samedi. Ici à Nyons, chez toi ou chez moi.

— Et cette nuit tu restes ! Jusqu’à demain matin.

 

1 h 10. Edmond dort, Mila tâtonne contre les cloisons. Elle repousse doucement la porte du couloir, se rhabille, rassemble les plats, la glacière. Hésite pour le vin, le laisse finalement et sort.

[1] The Offspring est un groupe de punk rock américain, californien.

[2] Snow Patrol est un groupe de rock alternatif, originaire d’Irlande du Nord et d’Écosse, l’un des groupes majeurs de la scène rock britannique des années 2000. https://www.youtube.com/user/snowpatrol

[3] Un vin de Bourgogne.

[4] La Grande Vadrouille est un film comique réalisé par Gérard Oury en 1966. Avec plus de 17 millions de spectateurs lors de son exploitation en salles, le film a été pendant plus de trente ans le plus grand succès cinématographique sur le territoire français. https://ninerouve.wordpress.com/la-maison/le-monde/les-elements/#vadrouille

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