75 Cité Fondée - Choix

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De : Edmond VALLONE

Objet : Ce soir

Date : Mercredi 15 Novembre 15 :21

À : Blanche MAGNAN

 

Encore tard ce soir pour moi. Je t’appelle.

EV.

 

Il est 20 h, Edmond se gare au parking et monte dans le tram.

20 h 24, il sort à Saint-Gatien et à 20 h 42 il appelle Mila.

À 20 h 50 il entre dans la salle de bains. Il prend une bonne douche.

À 21 h 15 il sort de la salle de bains et dans la chambre enfile un bas de pyjama.

Il revient dans le séjour, constate le petit sac de sport et la pochette posée sur les chaussures de Mila dans l’entrée. Elle lui tourne le dos, debout devant la vitre, elle regarde dehors.

Il est 21 h 22.

— Salut Princesse.

— Bonsoir Edmond.

— Je te laisse te changer, je vais préparer à manger.

— Merci, mais pas pour moi, j’ai mangé.

— Déjà ?

Il ouvre le frigo en inspirant fort et le referme sans rien en avoir sorti. Il ouvre un placard et sort des boîtes : thon, maïs, soja. Il prend des couverts, un bout de pain et s’installe sur le canapé devant la table basse et allume la télé.

Mila réapparaît en pyjama et chaussettes, elle s’assoit près de lui. Elle dit :

— Tu fais de belles journées.

— Le bâtiment, ce n’est pas un métier de fainéant.

Alors qu’il commence la description d’un futur chantier, avec une équipe de gars vraiment pas faciles qu’on a mis sur ce chantier parce que c’est lui qui le dirige, une idée lui vient et elle se sent le courage de l’évoquer avec lui.

— Edmond, penses-tu finir tard comme ça tous les soirs ?

— Eh bien entre les plans pour Niel, la préparation des nouveaux chantiers et ceux à visiter l’après-midi, la matinée au bureau ne suffit pas, il faut que j’y retourne en fin d’après-midi.

— Et tu préfères faire ce rab’ au bureau, plutôt qu’ici, chez toi ?

— Ah oui ! Ici, je ne bosse pas, c’est hors de question. Je rentre et je me pose. Et comme je veux partir tôt les vendredis soir et les jeudis soir pour aller au club, les autres soirs il faut que je pousse un peu.

— Dans ce cas, est-ce que... tu pourrais m’appeler quand tu as mangé ?

Le regard d’Edmond s’est fermé.

— Tu n’es pas bien ici ?

— Je suis très bien. C’est juste que je quitte le boulot plus tôt que toi et que je t’attends chez moi, avant de repartir à nouveau quand tu m’appelles. Le soir je rentre, je prends ma douche, je commence à bosser et j’attends ton coup de fil. Je passe mes soirées à t’attendre. Et quand j’arrive ici, tu n’es pas douché, tu n’as rien préparé à manger…

Mila sourit, plus pour le convaincre et le rassurer que par sincérité.

— Tu vas sacrément réduire nos discussions !

— Je fais des choix. Comme toi. 

Edmond fronce les sourcils, il réfléchit et dit :

— Tu pourrais aussi m’inviter chez toi. Prendre ta douche tranquillement sans te presser, nous préparer à manger à tous les deux et m’attendre sans stress. Tu n’aurais même plus besoin d’attendre mon coup de fil, je n’aurais plus à le passer, et tu pourrais travailler comme tu veux !

Mila respire rapidement, paralysée un moment sur cette vision des choses.

Edmond a raison. Elle pourrait. Elle aurait pu lui proposer cela. Mais, et elle pouffe, ce n’est pas possible. Le faire venir chez elle, dans son tout petit chez elle, pour qu’il regarde partout, le trouve riquiqui, lui détaille ce qu’il en pense, pas assez comme ci, pas assez comme ça, par rapport à ce qu’il connaît bien sûr, et qu’il lui fasse le détail…

Et puis surtout, qu’il s’y installe, ouvre ses grands bras, mette ses pieds sur la table basse devant la télé, une bière à la main, attendant que tout arrive, y compris le reste.

Non, ça, ce n’est pas possible.

Elle est d’accord que cela simplifierait un paquet de trucs comme il dit, mais non, ce n’est pas possible.

Il est généreux, Edmond, il donne tout.

Tout, mais dans peu de secteurs de jeu. En tout cas pas assez de son point de vue. Il la reçoit les bras ouverts chez lui, il lui raconte sa journée, il est beau comme le jour, il baise bien, mieux que ça même. Et justement, il baise très bien. Tellement qu’on s’y croit, on se sent spéciale dans ses bras, on pourrait s’envoler.

On s’est envolé d’ailleurs.

La chute n’a pas été facile. En fait si, la chute c’est facile. Tant qu’on tombe... jusque-là tout va bien. Le problème c’est quand on arrive près du sol. Heureusement, on peut dire ça comme ça, « heureusement », il a donné le ton dès samedi après-midi. Les embardées lyriques sur les restos et les cinés sont venues plus tard, et à l’horizontale. Et puis lundi soir, encore à l’horizontale il avait parlé de baise, alors c’est assez facile de dégonfler le ballon de la montgolfière, et tout doucement alors qu’on est encore dans ses bras, de perdre de l’altitude.

Parce qu’il est là malgré tout. Il appelle tard, mais il appelle. Alors comme transition entre deux paliers d’atmosphère, c’est un bon compromis.

Alors finalement, le mieux en terme de plan de vol, c’est de rester entre dix et vingt mètres d’altitude, de passer du temps avec lui mais de le limiter à l’efficient, c’est-à-dire ce qui ne coûte pas trop et qui rapporte le mieux qu’on peut espérer. Alors, baiser finalement, c’est le bon plan de vol. On pourrait espérer mieux. Oui c’est sûr. Surtout quand on l’entend être déçu, lui aussi, qu’on empiète sur cette relation. Mais bon, soyons rationnelle. Ouais, vaste programme ! Heureusement, le boulot va lui prendre la tête. Le boulot et la maison.

— Mais tu ne veux pas que je vienne chez toi, dit-il.

Mila, parce qu’il est tout à fait inutile de rentrer dans les détails, dit :

— Oui, on est mieux chez toi.

— Ou tu pourrais aussi me demander de t’appeler plus tôt, dès que j’ai une idée plus précise de l’heure à laquelle je vais arriver.

AH… !

C’est vrai qu’elle n’a pas envisagé cela non plus, lui demander quelque chose. Elle le considère comme un imbécile heureux. Un jouisseur, léger et superficiel, animé par des instincts primitifs : le sexe, l’apparence, la jalousie, le bonheur. Elle ne lui laisse aucune chance d’être force de proposition pour quelque chose. Pourtant, et elle se rappelle qu’il fallait qu’elle se rappelle de quelque chose, c’était quoi déjà ? Une histoire entre lui, Edmond, les problèmes et les solutions. Elle a oublié.

En tout cas, clairement, et plutôt que de, encore, fermer toutes les portes, cette proposition est une alternative.

— C’est vrai, tu as raison, c’est une meilleure option, répond-elle.

 

Edmond se lève et rince immédiatement son assiette et son couvert. Il attrape un étui de deux bichocos et s’installe sur le canapé.

Il est 22 h, il zappe sur la télécommande pour mettre un film, mais ils sont tous sacrément entamés. Mila bâille à côté, toute repliée contre le second accoudoir. Il repose son biscuit sur la table et s’approche d’elle.

— C’est vrai que ça fait un peu tard pour rentrer. On n’a plus le temps de grand-chose. Et puis tu es fatiguée ! Si on était chez toi, tu serais déjà dans ton lit toute nue à m’attendre !

Mila ferme les yeux. Edmond se lève.

— Je vais brosser mes dents, t’as pas intérêt à t’endormir !

— Sinon ?

— Je te réveille !

 

Edmond n’a pas réveillé Mila, elle l’attendait sur le canapé, allongée, la tête sur l’accoudoir.

Elle a souri en le voyant arriver, le pantalon fluide sur les hanches, montrant ce fameux V si masculin formé par les obliques, qu’Edmond n’a pas si visible que ça finalement. Elle a ri de s’imaginer le lui dire.

Elle a respiré profondément et a pris sa main tandis qu’il l’emmenait dans la chambre. Ils ont alors fait l’amour, de son point de vue à elle en tout cas. C’était une nouvelle fois super, parce qu’Edmond est efficace. Il s’est endormi aussitôt en la serrant dans ses bras. Et à onze heures et demie, Mila entrait chez elle.

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