100 Le Violon d'Ingres - Marius

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Quand il passe la porte, une petite heure plus tard, il est en nage. Le visage et les mains rougis par le froid, les yeux bienheureux, il est bien.

Il trouve Mila, le visage écarlate aussi, les cheveux plaqués sur son front, en train d’allumer le four dans la cuisine.

L’appartement est tel qu’il l’a laissé. Rangé, conforme à d’habitude, c’est son appart’, pareil. Et pas pareil. Cette sensation de quatrième dimension est toujours là mais moins agressive.

Edmond se sert un verre d’eau, Mila quitte la cuisine, se déchausse, et file dans la salle de bains.

Il se demande ce qu’elle a fait pendant son absence. Dehors c’est sûr. Il y a un petit livre sur l’îlot, Pagnol, Marius, avec une feuille de papier à l’intérieur, placée à la fin.

Mila revient ensuite dans sa tenue du matin, avec ses chaussettes de sport magnifiques, les cheveux doux et brossés, elle est toujours aussi rouge. Elle récupère le livre.

Il la trouve froide et distante. Mais lui se sent bien, désormais lui ça va. Il craignait qu’elle ne sache pas gérer le week-end, il craignait de ne pas s’en sortir avec ce sentiment d’être bien avec elle mais sans avenir, or on est dimanche midi, ils ne se sont quittés qu’une heure et, lui, désormais ça va.

Edmond :

— Il pèle dehors !

— Oui !

Elle sourit en baissant la tête, d’un sourire pas net. Il boit une autre gorgée, passe devant Mila qui frictionne ses doigts.

— Tu veux boire un truc chaud, un thé ?

— Non. Ne t’inquiète pas, ça va aller. Je vais me gérer.

Elle lui sourit d’un sourire un peu plus sincère que les autres.

Il entre dans la salle de bains.

 

Quand il ressort, une serviette autour de la taille, une casserole d’eau est posée sur le gaz. Mila est sur le pouf, elle masse ses pieds.

— Je n’arrive pas à me réchauffer. J’suis gourde, j’ai voulu finir mon livre.

— T’as pris un peu de sucre ?

— Euh… non. On a mangé y’a pas longtemps.

Edmond attrape deux morceaux et s’assoit en face d’elle sur le canapé.

— Allez, ouvre la bouche.

Il glisse un morceau. Elle baragouine :

— Quand j’suis dehors, d’habitude je bouge...

Edmond écoute cette petite fille se justifier.

— Il faisait beau, je ne me suis pas méfiée. À la fin, je me pelais méchant.

— Où as-tu été ? demande-t-il.

Elle sourit, ses yeux se mettent à briller, et elle rougit d’un autre rouge que le froid.

— Quoi ? Qu’est-ce que t’as encore fait ?

— Il y a… un toit terrasse sur ton immeuble aussi.

— Sans blague ?  E.T. ! Et il fait quelle température là-haut !

— Je n’en sais rien, mais ça piquait fort !

L’eau bout, Mila se fait un thé. Edmond est parti s’habiller. Il choisit un jeans foncé, élégant, avec une chemise noire en fil à fil et passe sa ceinture en cuir marron. Il ferme les boutons de la chemise jusqu’en haut, retrousse les poignets, un peu. Se regarde une dernière fois dans la glace, passe la main à plat sur son ventre.

Et réalise alors.

 

Quand il revient, martelant le sol de son pas excité, Mila tient le bol entre ses mains et boit le liquide chaud. Il tonne :

— Et qu’est ce qui se serait passé si t’étais tombée dans les pommes là-haut ? Hein ! Comment j’aurais su où aller te chercher ?

Mila sort à peine le visage du bol pour le regarder.

— T’aurais fait quoi, toi toute seule là-haut, si t’avais été mal ? Magnan ! Merde !

— Eh Vallone arrête ! J’ai juste froid. Juste ça. D’accord. Rien d’autre ! Je ne suis pas tombée dans les pommes, je…

— Et à Marzal t’es pas tombée dans les pommes peut-être !

— Edmond ! On a déjeuné tard, je suis restée dehors une heure, j’ai bien dormi. Il fait beau. À Marzal, on était trempés, je n’avais pas mangé depuis le midi, j’étais stressée...

— Mais pourquoi t’es pas allée dans le parc, sur un banc avec ton bouquin et les canards. Hein ? Pourquoi t’es pas comme ça, toi ?

Mila reste interdite quelques secondes, puis elle éclate de rire.

— Edmond ! Je suis tellement désolée !

Le vertige de nouveau. La nausée, les meubles qui dansent, la terre qui se met à tourner dans l’autre sens.

Prêt à vomir.

Le rire. Sa lame.

Mila secoue la tête, désemparée. Du rire, elle est prête pour les sanglots. Elle n’a pas décidé. Peut-être que si, elle sait que les sanglots ne mènent à rien.

Edmond prend un second choc barotraumatique. Comme en plongée mais à l’envers, une perte de pression. Mila est une étrangeté auprès de lui, oui c’est le mot. Elle le sait, il le sait. Un instant, l’idée de se souvenir comment il en est arrivé là, lui vient. Mais tout cela donne aucune issue ni pour l’un ni pour l’autre, alors ils mangent, ils trinquent et puis ils se chamaillent.

 

Mila lui pose des questions sur son travail de ce matin. Edmond lui décrit le futur bâtiment et Mila le félicite, elle trouve que c’est un très beau bâtiment. Ensuite il détaille le quartier et Mila s’anime, évoque une expo qu’elle a vue récemment sur du Street Art. Elle est toute excitée, elle lui dit que le bâtiment sera parfait dans ce quartier.

Elle lui demande alors des nouvelles du projet d’Henri Niel. Et Edmond lui donne les dernières infos : permis acquis, début du terrassement après les fêtes.

Edmond lui dit qu’il faudra qu’elle vienne avec lui pour la réserve d’eau de pluie, le puits, les sources. Mila est d’accord. Vivement ce chantier, ce sera un beau chantier.

Ensuite Edmond visionne les photos que Mila a prises la veille. Il est ému. Sans la regarder, il lui dit qu’aucune n’est cadrée, et merci pour le dessin sur la cheminée.

 

Il n’y a plus de musique, le soleil déverse son miel sur la pièce.

Mila a un coup de barre, elle s’excuse et part faire une petite sieste dans le lit chaud. Vingt minutes. Elle a mis son téléphone en position réveil.

 

Edmond hésite à réouvrir le dossier bleu, il allume la télé.

Vingt minutes plus tard, il est dans son lit à côté d’elle. Le réveil s’enclenche, ne sonne pas, vibre faiblement. Toute habillée, Mila dort sous la couette à sa place à elle. Edmond l’enlace et lui chante du Henri Salvador. Elle rit. Il lui explique qu’elle a encore merdé avec son téléphone. Elle est étonnée, certaine d’avoir fait ce qu’il fallait.

Alors Mila se retourne vers lui, ensommeillée et son corps tout chaud se moule contre le sien.

— Tu as assez dormi ?

— Assez pour quoi ?

— Hum. Joueuse au réveil !

— Hum, intéressée.

— Intéressée par quoi ?

— Mmmh, des mots croisés.

— D’accord, alors croisons nos mots…

 

Alors ils se font du bien, prennent soin l’un de l’autre.

Edmond réclame ses baisers et ses caresses.

Il réclame qu’elle dise son prénom, réclame ses « je t’aime », réclame la couleur de ses yeux. Mais Mila ne parle plus, ne le regarde pas, elle ne peut plus.

Des mécanismes sûrs et certains.

Retourner dans ce nid. Que ce soit elle ou lui qui mène, ils y iront tous les deux.

 

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