Chapitre 1. (4/4)

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18 heures. La sortie se fait dans la bousculade des élèves pressés de rentrer chez eux ou d’aller traîner en ville en bandes. Florian se fraie un chemin en connaisseur et affronte la cohue de collégiens et de lycéens qui déferle à contre-sens, pour atteindre le gymnase situé à l’autre bout de la cour. Il aperçoit Romain, déjà hilare, et ses grands signes frénétiques. Un sourire de fausse pitié devant cet olibrius, Florian se dirigea vers lui pour lui donner une bourrade, aussitôt esquivée. Tout en riant, ils commencèrent à s’empoigner comme à l’accoutumée, s’offrant comme toujours au reste des handballeurs de Terminale, mi-complices, mi-exaspérés du sempiternel spectacle qu’ils offraient. Tout était orchestré et pas une seule virgule n’était retirée d’une séance à l’autre.

— Bon alors les deux comiques, c’est pas un peu fini votre numéro ? lança leur entraîneur en faisant son apparition. Romain, lâche-le maintenant !

Ils s’exécutèrent, tout essoufflés, déjà échauffés, et s’esclaffant encore.

— Espèces de marioles, répéta le coach en souriant pourtant malgré lui. Allez, la pause est finie et puisque vous êtes en forme, vous allez commencer par me faire vingt tours de piste pour vous échauffer. Ensuite, vous vous mettrez par trois avec un ballon et deux d’entre vous se feront des passes pendant que le troisième essaiera de s’interposer en défense jusqu’au but où vous devez marquer, tandis que le gardien, disons Bastien pour l’aller, tentera d’arrêter votre tir. Vous repartez de la même façon et vous marquez de l’autre côté contre Jérôme. Ok ? Alors, exécution !

Au coup de sifflet, tous les garçons se mirent par terre et commencèrent l’entraînement.

Au bout d’une demi-heure, lorsque les dix tours de piste réglementaires et les différents exercices furent terminés, l’entraîneur sépara les jeunes gens en deux équipes, et chacun enfila son maillot. Florian, un maillot rouge sur le dos, évalua rapidement la situation : Romain n’était pas dans son équipe. C’est mieux ainsi, il se ferait une joie de le battre à plates coutures. Vu le sourire sarcastique que Romain lui jeta, il était évident qu’il pensait la même chose. Parfait, il était temps à présent de passer aux choses sérieuses.

— Bon, c’est parti, mettez-vous en place ! hurla l’entraîneur. On démarre en douceur, n’est-ce pas Théo ? lança-t-il avec un coup d’œil appuyé à l’intéressé, un grand garçon bien bâti à la forte carrure d’athlète. Je ne veux pas que ça dégénère comme la dernière fois.

Théo prenait chaque entraînement comme un défi personnel. Ainsi, il ne ratait pas une occasion pour se faire remarquer et prouver qu’il était indispensable, quitte à rabaisser les autres.

— Y’aura pas de problème m’sieur, assura l’adolescent.

Le match débuta et tourna vite à l’avantage des verts qui, menés par Théo, enchainaient les tirs avec rapidité. Si Florian et son équipe se démenaient pour faire remonter le score, leur progression se heurtait toujours aux attaquants de l’équipe adverse qui s’emparaient facilement du ballon. Romain lui lançait de temps en temps des sourires narquois et parvint deux fois à contrecarrer ses actions.

Les verts menaçaient de marquer un but supplémentaire, lorsque Florian, campé sur ses positions, vit la balle arriver sur lui. En tant que pivot, il la rattrapa avec rapidité et se retournant, la catapulta avec précision dans la cage, rétablissant le score à égalité. Quelques rouges saluèrent ce superbe tir par des acclamations de joie et des applaudissements, marquant bruyamment leur satisfaction. Mais dans le même temps, Florian s’aperçut qu’un cercle s’était formé autour de deux joueurs et qu’une violente discussion s’élevait sans que l’entraîneur ne s’en rende compte, occupé dans les vestiaires par un appel. Il s’approcha, jouant des coudes.

Évidemment, Théo était le centre de toutes ces attentions. Il s’en prenait à Bastien qu’il accablait de reproches.

— Qu’est-ce qui se passe ? se renseigna Florian à mi-voix.

— Bastien vient de rater la passe, murmura son ami. C’est pour cela que tu as pu marquer. Je crois qu’il est malade, il n’a pas l’air bien.

— Et ça donne le droit à Théo de l’insulter ? souffla Florian exaspéré. Pour qui se prend-il ?

Il serra les poings : Théo commençait sérieusement à l’énerver. Il n’avait jamais été vraiment proche de Bastien – et c’était un euphémisme compte tenu de leur relation commune – mais n’avait rien contre lui non plus. Et surtout, il voulait clouer le bec de Théo une fois pour toutes. Il allait donc intervenir, mais Mathieu l’avait devancé : il se plaça face à Théo, juste devant Bastien qui avait bien du mal à se défendre contre la rafale qui s’abattait sur lui.

— Tu t’es bien défoulé, maintenant c’est terminé. Laisse Bastien tranquille.

Théo ricana, défiant Mathieu. Mais il n’osait apparemment pas se le prendre de front, ayant compris que dans le cas contraire, il s’attirerait les foudres des autres joueurs. Lesquels semblaient déjà contester son attitude envers Bastien sans toutefois prendre le risque d’intervenir. Cependant, il se permit une autre rebuffade.

— Il n’est pas capable de se défendre tout seul, ton Bastien ? se moqua-t-il. Il a encore besoin d’une nounou ?

Cette réplique ne sembla pas atteindre le but recherché et Mathieu ne se démonta pas, ignorant les protestations de Bastien. L’adolescent tentait vainement de l’écarter de sa trajectoire, le visage exceptionnellement pâle, en contraste avec celui de son ami qui s’ornait d’une teinte pourpre.

— Pour lui, je ne sais pas, mais toi tu as besoin d’une mise au point, c'est sûr, lança Mathieu avec virulence. Tu ne sais pas jouer en équipe. Tu ne sais pas jouer tout court. Et le pire, c’est que tu ne le vois même pas. Ce n’est plus un éclaircissement qu’il te faut mais un accompagnement personnalisé.

Théo surprit tout le monde en se précipitant violemment sur Mathieu qui ne s’attendait pas à une attaque directe. Mais avant même qu’il ne termine son geste, Bastien s’était déjà glissé entre les deux combattants et para le coup. Puis dans le même mouvement, il attrapa le bras tendu de son adversaire, se retourna et le projeta par-dessus son épaule. Théo atterrit dans un bruit sourd. Se relevant avec peine, étourdi, il fixa tout d’abord un Mathieu tout aussi stupéfait que lui, puis son regard se posa sur Bastien, qui le toisait, poings serrés. Fou de rage, il voulut s’élancer mais ce fut Bastien qui se jeta sur lui et commença à le bourrer de coups en laissant libre cours à sa colère. Les handballeurs assistaient à la scène, figés.

— C’est quoi ce bazar ? s’écria l’entraîneur, intervenant pour interrompre le massacre.

Cette arrivée fit sortir la plupart des joueurs de leur léthargie : Mathieu se joignit à lui pour tenter de maîtriser Bastien qui se débattait, furibond, tandis que d’autres se portèrent au secours de Théo pour le soustraire à ses frappes violentes. Mais certains n’avaient pas bougé, trop abasourdis pour pouvoir réagir. La situation était tellement inattendue qu’elle paraissait irréelle. En effet, il était extrêmement rare d’assister en direct à un passage à tabac et administré qui plus est par quelqu’un d’aussi peu bagarreur que ne l’était Bastien. Ce renversement laissait Florian interdit. Et il n’était pas le seul. À côté de lui, Romain balbutiait en boucle son incompréhension ; le sourire aux lèvres, Gaëtan assistait au spectacle comme s’il suivait un match de tennis particulièrement rebondissant à la télé.

— Calme-toi, arrête, mais arrête !

Bastien se dégagea d’un coup sec de l’étreinte qui le retenait prisonnier, et considéra avec haine Théo, lamentablement assis par terre, tandis que l’adulte vociférait :

— Mais vous êtes malades ou quoi ? Je ne peux pas vous laisser seuls une minute ! Si vous êtes incapables de vous comporter en êtres humains, ce n’est pas la peine d’intégrer une équipe ! Qu’est-ce qui t’a pris Bastien ?! Et je ne veux pas savoir comment tu en es arrivé là, vos histoires ne m’intéressent pas ! Je ne veux plus te voir jusqu’à nouvel ordre, tu m’entends ? Je ne peux pas tolérer ce genre d’attitudes ! avertit-il de sa voix de stentor.

Durant cette avalanche, Bastien avait gardé les yeux au sol. Quand il releva la tête, il croisa la mine furieuse du coach, puis celle de Mathieu, qui ne semblait plus le reconnaître. C’est alors qu’il prit conscience que tous ceux présents dans cette salle le fixaient avec cette même incompréhension.

N’étant plus capable de supporter ces regards qui l’encerclaient en faisceau réprobateur, il se rua hors du gymnase qui répercutait une dernière parole audible :

— L’entraînement s’arrête là !

Mathieu n’attendait que cela pour se lancer à la poursuite de Bastien.

Dans le brouhaha confus qui suivit la fin de la séance, les joueurs regagnèrent leur vestiaire et s’empressèrent de se changer. Florian, perdu dans ses pensées, venait à peine de franchir le seuil du gymnase qu’une tornade blonde s’abattit sur lui, lui sautant au cou.

— Salut mon cœur, vous finissez tôt aujourd’hui ! s’exclama Chloé, débordante d’énergie tout comme à son habitude. Ben, vous faites une de ces têtes, remarqua-t-elle en se décollant de son petit ami pour les examiner, Romain et lui, d’un œil critique. Vous avez fait un match nul ou quoi ? enchaîna-t-elle, premier témoin de leur petite rivalité sportive dont elle se régalait avec Marie, l’une et l’autre s’enorgueillissant à chaque fois que leur petit ami respectif surpassait l’autre.

— Non, c’est pas ça, c’est Bastien, il s’est fait virer pour avoir cogné Théo, répondit Romain, du ton de celui qui n’en revenait toujours pas.

— C’est une blague ? s’écria Chloé, s’attendant presque à ce que l’un des deux garçons tombe le masque pour lui sortir un poisson d’avril. J’y crois pas et j’ai raté ça ! reprit-elle, ravie, en voyant qu’ils n’avaient pas bronché. Racontez, Racontez ! supplia-t-elle.

— Bon le champion, tu lui racontes, moi je vais réviser l’interro ! lança Romain. Allez, à plus les amoureux !

Il s’éloigna d’un pas nonchalant, laissant une Chloé surexcitée qui s’accrochait au bras de Florian, avide de détails.

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