Chapitre 3 : Bienvenue au club

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« L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence. »

Écorces de sang, Tana French

Mars

— Quel est le programme du jour ?

Assise sur un banc public, Chloé dégustait consciencieusement sa pomme.

— J’essaie de réviser, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Oh, et puis zut.

Romain laissa tomber dans le sable sa feuille de bristol et s’appuya contre le dos du banc, découragé.

— C’est sans espoir de toute façon, je retiendrai jamais rien pour demain.

— Fallait peut-être que tu commences tes révisions plus tôt, et pas deux jours avant, remarqua perfidement Marie, un sourire aux lèvres.

— Et puis commencer par les maths, même pour une question d'organisation, quelle idée stupide ! grommela Romain en ignorant sa petite amie. Le vrai bac commence toujours par l’épreuve de philo.

Florian acquiesça distraitement. Inutile de glisser qu’il avait bien révisé et qu’il se sentait au moins prêt pour l’épreuve de demain. Cela n’aurait pour effet que de redoubler les plaintes de son pote.

— En fait, pour post-bac, vous avez mis quoi ?

C’était, depuis quelques jours, la question qui courait sur toutes les lèvres des terminales avec la clôture imminente des inscriptions sur le net. Était-ce vrai qu’Untel avait ajouté au dernier moment cette prépa sur sa liste ? Q’Unautre avait l’intention de faire tel BTS ?

— Que des facs, vu mon dossier. Et ce fichu bac blanc ne va rien arranger, marmonna Romain dépité.

— Et Bastien, vous savez ce qu’il a mis ?

Il y eut un instant de flottement. Bastien, qui était dans les premiers de la classe, avait soudainement dégringolé pour se retrouver à la traîne derrière le peloton de tête, au milieu du commun des mortels. Sans que rien n’explique ce brusque renversement. Il avait été au cœur des conversations pendant une ou deux semaines, lors de ce que tout le monde appelait « le cas Bastien ». Le fait que l’un des meilleurs élèves se fasse virer de l’option sport durant un mois pour des questions de discipline avait déchaîné les foules. Le cas avait très vite été oublié à la rentrée de Janvier, pour être aussitôt renouvelé avec plus d’ampleur, quand on avait appris que Bastien avait tout nettement refusé de réintégrer sa place. Les profs tout comme la plupart des élèves n’y comprenaient rien, mais tandis que les uns s’affolaient, les autres ne faisaient qu’observer et murmurer au détour des couloirs en prenant des airs de conspirateurs. On dit que ceci, on dit que cela. Évitant constamment les élèves, tenant tête à ses professeurs quand il ne battait pas des records en matière d’école buissonnière, Bastien n’était plus que l’ombre de lui-même. Et nul doute que cette ombre s’était inscrite sur son dossier jusqu’alors irréprochable, modifiant quelque peu ses perspectives d’avenir.

— Non et on s’en fout, trancha Chloé en jetant son trognon, signe que la discussion était close.

— Emma, la porte ! cria Zoé du couloir. Vlam ! Ça, c’était la porte qu’on refermait violemment.

Pitié, non. Il se prit la tête entre les mains, redoutant ce qui allait suivre. Quelques secondes en suspens, puis la porte s’entrouvrit, laissant apparaître une petite mouflette de cinq ans.

— Flo ?

Et voilà. Il en était sûr.

— Dégage Emma, je révise là !

— Mais Zoé, elle veut pas jouer avec moi ! pleurnicha Emma, serrant son chiffon contre elle.

— C’est pas mon problème, débrouille-toi.

— Je peux rester dans ta chambre ? supplia la petite.

Le tout accompagné du regard dont la benjamine de la famille Maurel avait le secret et qui pouvait attendrir un rocher. Mais Florian n’était pas d’humeur à jouer avec Emma, pas aujourd’hui.

— Tu sors, gronda-t-il en se saisissant de sa sœur à bras-le-corps et en la déposant sur le seuil de sa chambre. Va embêter Sophie maintenant ! ajouta-t-il en lui fermant la porte au nez.

Et il retourna à son bureau jonché de feuilles d’équations en tout genre dans lequel il se noyait depuis une heure et demie. Réflexion faite, il n’était pas si prêt que cela. La cata, quoi.

Bam !

— Sympa de m’envoyer Emma comme si c’était une poubelle !

Une Sophie furibonde se tenait devant Florian, flanquée d’Emma en larmes. C’est pas vrai, elles étaient toutes contre lui ou quoi ?

— J’ai le bac blanc demain, moi !

— D’abord on s’en fout, de ton bac blanc, et moi je ne faisais pas chier le monde quand je le révisais, le bac !

La lampe du bureau grésilla faiblement.

— Évidemment, t’étais sûre de l’avoir !

— Maintenant tu sauras qu’il fallait bosser au lieu de faire l’imbécile, petit crétin !

Elle clignota dangereusement.

— Ça suffit, hurla Florian, sors de ma chambre! Et vas voir à Paris si j’y suis !

— Si t’y étais, je n’y serais pas allée ! rétorqua Sophie d’un ton haineux. Mes vacances, c’est plutôt quand je ne te vois pas ! Viens Emm, reprit-elle tendrement en prenant sa sœur dans les bras, je vais te préparer un bon chocolat, d’accord ? Laissons cet égoïste rater son bac blanc.

Et avec une insistance ironique sur le dernier mot, Sophie sortit en emmenant Emma. Furieux, Florian bondit de sa chaise et claqua la porte. Vlam ! et Djut. Le dernier soupir de la lampe.

— Henri ! Les plombs ont sauté !

Dans le noir, il entendait son père jurer et Emma hurler. La petite avait la phobie du noir et ne pouvait s’endormir sans une veilleuse au-dessus de son lit.

Ce n’était décidemment pas sa journée. Ivre de colère, il se vengea en se défoulant sur sa porte.

— J’en-ai-marre ! marmonna-t-il entre ses dents en ponctuant chacun de ses mots d’un coup de pied. Puis il s’attaqua à ses feuilles de cours, et enfin à sa lampe qui ne voulait pas se rallumer.

— Tu vas marcher, oui ? cria-t-il à son adresse en la cognant comme un gamin, quitte à se défoncer le poing contre le métal. Toujours est-il que cette méthode porta ses fruits et que la lampe se ralluma en crachotant. La lumière était revenue. Mais le brouhaha qui avait accompagné la panne de courant n’était pas retombé.

— Mais comment veulent-ils que je réussisse dans ces conditions ! râla Florian. Il se dirigea vers la porte qu’il ouvrit à la volée dans le but de pousser dans le couloir un long hurlement de frustration, afin que les membres de sa famille se la bouclent enfin.

Son cri se coinça dans sa gorge, lorsqu’il nota que, hormis sa chambre, le couloir et vraisemblablement toute la maison étaient toujours plongés dans les ténèbres. Le courant n’avait pas été rétabli. Mais alors... Il fit volteface. Imperturbable, sa lampe diffusait chaleur et lumière dans sa chambre. Bouche bée, il contempla le phénomène.

— Florian, viens m’aider, je dois vérifier les fusibles...

Son père, qui venait le chercher, s’immobilisa à son tour en voyant que seule sa chambre était éclairée.

— C’est toi qui as fait sauter les plombs en branchant cette lampe ? demanda-t-il soupçonneux.

— Mais non Papa, sinon elle se serait éteinte elle aussi ! riposta le garçon avec exaspération.

En arrière-plan, Emma hurlait toujours pendant que sa mère parcourait toute la maison à la recherche d’allumettes.

— Alors explique-moi pourquoi ta lampe est la seule allumée ici ! rugit son père qui venait de franchir la limite de sa patience.

— Puisque je te dis que ce n’est pas moi !

Florian eut la soudaine sensation que sa tête explosait sous une pression mentale.

Le courant se rétablit soudainement, immédiatement suivi d’un « Aah ! » de soulagement collectif, sans doute en grande partie à cause de la fin des hurlements d’Emma.

— Ah, sans doute un petit court-circuit ! se réjouit M. Maurel à la cantonade en redescendant les escaliers, sans même remarquer la lividité de son fils.

Celui-ci dut se retenir à la rampe pour ne pas tomber. La colère avait fait place à une immense lassitude, il se sentait totalement vidé de toute énergie. Il eut énormément de mal à se traîner jusqu’à son lit et accueillit avec gratitude la douceur de son oreiller.

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