(...)

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Des gens. Penchés au-dessus de lui. Un brouhaha confus. Qui ? Où ? Trop sombre. Trop flou.

« …Tu vas finir par formuler des phrases entières ! Pas terrible pour ton image de marque, non ? ».

Pu… !

Un électrochoc lui aurait traversé le corps qu’il lui aurait produit le même effet. Florian se redressa en sursaut, manquant de se cogner toutes les têtes réunies à son chevet. Il retrouva les visages qui effaçaient la conviction que le cauchemar des deux dernières semaines ne se révélaient n’être rien de plus qu’un cauchemar.

La fille timide se tenait à genoux et se tordait frénétiquement les mains comme si elle cherchait à tout prix à se les arracher. Livide – enfin un livide tirant sur le verdâtre – et les yeux noyés de larmes.

Il faut dire que pour les autres, ce n’était guère mieux. Florian n’était pas mécontent de remarquer qu’Arthur avait abandonné son air détaché, ce nouveau teint gris cendre s’adaptant beaucoup mieux à la situation qui se plaçait en tête de la liste des pires-situations-jamais-connues.

En visu derrière l’épaule d’Arthur, Bastien paraissait en apnée et Florian eut la surprise de constater qu’il luttait lui aussi pour ne pas éclater en sanglots. S’apprêter à pleurer pour un gars quelqu’un qui ne lui revenait pas était loin d’être banal. Surtout après avoir tenté de l’assommer. Même son emmerdante de sœur était dans tous ses états. C’est bien simple, rien qu’à leurs têtes ils pourraient tous former le tableau de la plus morbide des veillées funèbres dont il représenterait le sujet principal. Un mort qui ressuscite en comprenant qu’il a loupé plus d’un épisode et qui voudrait bien appuyer sur la touche recul rapide. Un mois en arrière si possible. Mais où se trouvait donc cette foutue télécommande ?

— Reste calme, ne panique pas surtout, tout va s’arranger !

En voilà une injonction idiote. Pourquoi paniquer vu que tout le monde le faisait pour lui de toute façon ? Et d’ailleurs pourquoi continuaient-ils à paniquer maintenant qu’il s’était réveillé ?

— Arthur, il faut VRAIMENT appeler les secours !

— Pour leur expliquer quoi ?

— Tu préfères qu’il meure ? Non mais regarde-le !

Qu’une telle urgence surgisse de la voix complètement affolée de Claire le dépassait totalement. Florian se rangeait incontestablement du côté d’Arthur. Quelle était la logique d’appeler les secours maintenant ? Pour sa part, il n’y avait aucune hésitation à avoir.

— Je n’ai pas besoin de médecins, je vais très bien, croassa-t-il. Même si sa voix résonnait à ses oreilles comme un éboulis de rochers.

Soit personne ne l’avait entendu, soit ils se souciaient de son opinion comme d’une guigne. Ils continuaient de s’agiter comme des abeilles dans une ruche sans se préoccuper de son retour dans le monde des vivants. Mais qu’avaient-ils tous ? La pleureuse en herbe continuait de se tortiller les mains ; s’arrêtait régulièrement pour alterner des plaintes éplorées en sa direction et des regards d’effroi destinés à Arthur, nouveau Messie, hélas totalement dépassé par les évènements. Se prenant pour la Statue de la Liberté, Claire brandissait un portable comme s’il incarnait tous les espoirs des immigrés venus chercher un nouveau départ en Amérique. Un peu à l’écart, Bastien avait décidé d’imiter le va-et-vient d’un lion en cage en se focalisant uniquement sur ses chaussures d’un œil dévasté. Et c’était lui que le coach qualifiait de guignol ?

— Arrêtez ce cirque ! ordonna Florian en agrippant le poignet de Cécile pour illustrer ses propos.

La jeune fille frémit, glapit comme s’il venait de lui entailler la peau. Et stoppa net, médusée. Elle contempla son bras avec effarement. Elle ouvrit la bouche pour parler mais la referma dans un mouvement muet spécifiquement propre aux poissons. En désespoir de cause, Cécile se tourna vers les autres qui poursuivaient leur manège, inconscients du retournement de situation.

— Hé !

Si cette simple interjection réussit à capter leur attention, la vision de Florian toujours accroché au poignet de Cécile la renforça davantage, provoquant des yeux ronds, autre caractéristique poissonnier. Arthur poussa un soupir de soulagement et échangea un regard avec Claire qui s’empressa de ranger son téléphone dans sa poche à grands renforts de « désolée, désolée, désolée » annonciateurs d’une nouvelle crise de larmes. Florian n’avait beau n’avoir que des sœurs, il se sentait toujours démuni devant ce genre de manifestations que son père qualifiait d’exclusivement féminines et détestait voir des filles pleurer, ne sachant jamais comment les consoler. Et Bastien allait s’y mettre s’il ne mettait pas de holà.

— On se calme, d’accord ? Je vais bien, ce n’est plus la peine de s’inquiéter.

Personne ne répondit. Il baissa les yeux en direction de leur accaparement, la main de Cécile toujours emprisonnée dans sa poigne. Florian se hâta de lâcher sa prise, geste qui remit en branle tout le mécanisme et les sortit de leur léthargie. Cécile se massa le poignet et se redonna une contenance en effaçant les derniers sillons de larmes tracés sur ses joues ; les couleurs revenaient sur celles d’Arthur, totalement rassuré, qui détacha sa vigilance de Florian pour la diriger, nettement plus inquiet, vers Bastien ; lequel, se mit à actionner le commutateur par des allers retours mécaniques sans attendre de réponse de la part de l’ampoule. Qui ne répondait pas par ailleurs, expliquant l’obscurité de la pièce. Claire s’approcha en se mordillant les lèvres, hésitant à approcher Florian, de peur que celui-ci ne tente de l’égorger.

— Je…je suis contente...de…de... Elle souffla un bon coup et se jeta à l’eau, le regard fuyant. Je suis vraiment désolée pour ce qui t’es arrivé. C’est de ma faute, marmonna-t-elle. Je n’aurai pas dû te provoquer comme cela, c’est de ma faute, désolée.

Un coup de pied pour remonter à la surface et pour croiser l’air largué de Florian qui a plus de mal à émerger qu’il ne le croyait. Il avait voulu la tuer et c’était elle qui s’excusait ? Il se leva laborieusement, les jambes dangereusement flageolantes.

— Bon, c’est bon là, expliquez-moi ce qui se passe, dites-moi la vérité, merde !

Concertation silencieuse des intéressés qui ne veulent pas achever le malade.

— Tu veux la vérité ? On a cru que t’allais exploser sur place, littéralement, voilà la vérité !

Réduit au soudain mutisme, interdit de voir Bastien s’adresser à lui par des propos si enflammés, Florian ne put s’empêcher d’amorcer un léger mouvement de recul.

— Tu t’es écroulé, pris de convulsions... Tu…

Bastien s’interrompit, à court de mots, et Florian en profita pour reculer davantage sans quitter son interlocuteur des yeux. Ce repli déclencha en retour l’avancée de Bastien droit dans sa direction. Pas de danse esquissés d’un côté comme de l’autre pour former un étrange ballet improvisé.

— On ne pouvait pas te toucher, tu envoyais des décharges électriques. DES-DÉCHARGES-ÉLECTRIQUES ! insista-t-il en détachant chacun de ses mots devant l’absence de réaction de Florian.

Il respirait difficilement à présent. Tout, même l’air s’était soudainement coagulé. Il allait manquer d’oxygène. La fenêtre… Pas sûr qu’il l’atteigne à temps…

— Et après, tu t’es raidi et tu n’as plus bougé. On a cru que tu étais…

Il s’étrangla.

Il n’en pouvait plus. Il contourna brusquement Florian qui ne s’y attendait pas, et jeta son buste à travers le carré ouvert sur le ciel afin d’aspirer avidement de longues goulées d’air. Il resta ainsi, pantelant, le dos tourné aux autres plongés dans un long silence décontenancé.

— Bastien… Il devinait les larmes dans l’intonation implorante de sa cadette. Elle comprenait plus que quiconque ce qui le tourmentait et cela le blessait.

— Non ! la cingla-t-il d’une voix autoritaire, humilié d’être pris en flagrant délit de faiblesse.

On dirait bien que c’est de famille cette propension au tragique. Florian sursauta. Cette voix, ce sarcasme…

C’était l’horreur. Et encore, le mot était plutôt faible. Arthur le surprit et se méprit sur l’objet de son effroi en le voyant canalisé sur l’ampoule.

— Oui, tu as fini par la faire sauter, remarqua Arthur d’un ton faussement enjoué pour détendre l’atmosphère. Mais je pense que c’est facilement réparable, nuança-t-il pour rassurer Florian qui restait pétrifié. Il fait encore suffisamment clair de toute façon.

Florian le fixa d’un air vide puis se reporta sur Cécile qui frémit, mal à l’aise.

— Ce n’est qu’une ampoule après tout, ajouta-t-elle dans un murmure pour cacher le fait que ce garçon complètement dérangé l’effrayait.

Sans un mot, Florian se dirigea vers la porte du grenier et dégringola la volée d’escaliers. Arthur étouffa un juron et se pencha par-dessus les escaliers.

— Florian !

La porte d’entrée claqua violemment pour toute réponse. Cécile attrapa une de ses boucles brunes et la tortilla nerveusement autour de son doigt. Arthur semblait complètement découragé. L’interrogation de Claire résuma assez bien le sentiment général :

— Et maintenant ?

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