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Là, Claire marqua un temps d’arrêt. Décidemment, elles ne vivaient pas sur la même planète ! Pour sa part, elle trouvait génial le fait de posséder un superpouvoir en toute liberté sans être dérangée par quiconque. D’accord, c’est assez déstabilisant au début, mais elle ne voyait pas le problème dans le fait de ne pas être comme les autres. En voyant au fil des années son frère et ses parents tenter lamentablement de se conduire comme les gens normaux ordinaires, Claire avait vite conclu que la normalité était une illusion. La normalité n’était rien de plus qu’une énième norme imposée par la société qu’on pouvait dépasser librement si l’envie nous prenait. Claire avait choisi de se démarquer et elle ne le regrettait quasiment jamais, sauf bien sûr lors de gaffes vraiment monumentales.

— Passons. Et sinon quand tu parles de début, j’imagine que c’était comme la dernière fois, dans notre grenier ?

Cécile se crispa et agrippa le rebord de la table.

— Écoute, je ne préfère pas en parler. Mais je peux te dire qu’Arthur a raison : il faut apprendre à se contrôler parce que cela réagit à nos émotions. Au risque de nous détruire de l’intérieur. Tu as vu ce que cela a donné pour Florian.

— Oui, je sais ce que j’ai vu. Bon, si tu ne peux pas m’en dire plus, tu as utilisé ton joker alors tu dois répondre à cette question : que s’est-il passé entre Arthur et toi pour qu’il te cherche comme un fou comme cela ? Où vous êtes-vous rencontrés pour la première fois ?

Trop d’importantes questions à la fois, diagnostiqua Claire, se sentant fautive devant l’expression de Cécile. Elle préféra lui laisser le temps de se ressaisir, heureusement épaulée par l’arrivée de leurs commandes qui tombait au bon moment. Comme une frigorifiée, Cécile plaqua ses mains contre sa tasse de thé au citron, en but une longue gorgée et l’entrechoqua un peu violemment contre la table en la reposant. Claire attendit, le nez prudemment baissé vers son chocolat chaud. Qu’est-ce qui lui prenait de faire la maligne avec une fille sans doute capable de lui balancer la table à la figure ? Un rire gras, presque inconvenant dans la bouche de la jeune étudiante de la table voisine, rompit la quiétude de la salle. Claire et Cécile tournèrent machinalement la tête, puis Cécile lâcha un autre soupir – combien en avait-elle en rayon au juste ?

— Dans un rêve.

— Pardon ?

— On s’est croisés dans un rêve, dans le mien. Enfin, je croyais que c’était un rêve. Mais c’était un coup de sa bilocation apparemment.

— …

— C’est la réponse à ta question, non ?

— Euh oui, excuse-moi. Mais c’est carrément surréaliste.

— Pas plus que le reste. Et c’est la vérité. Son… comment il appelle ça ? Son « double astral » a débarqué pendant que je dormais, et on a commencé à parler, voilà tout, précisa Cécile en mimant les guillemets.

Version très simplifiée qui réussit pourtant momentanément à couper le sifflet de Claire. Ce qui devait relever d’un véritable tour de forces.

— Alors là… Alors là j’avoue que je suis impressionnée ! Tu as dû baliser grave !

Et pas qu’un peu. Pourtant, Cécile ne se serait aperçue de rien si Arthur n’avait paru si réel. Concevoir un gars dans ses rêves, oui. Cela signifiait qu’elle était complètement obsédée mais c’était tout à fait possible. Que le type engage une conversation avec elle, passe encore. Mais quand ledit gars commence à l’abreuver de détails beaucoup trop réalistes pour qu’elle puisse tous les inventer, même inconsciemment, elle avait senti que quelque chose clochait. Et c’est à ce moment-là qu’elle avait commencé à baliser grave. Avec quelle facilité elle se l’était sorti de la tête au réveil ! Il lui avait fallu le choc de la soirée pour que cette rencontre lui revienne en mémoire.

Claire la contemplait dans un silence méditatif.

— Je comprends mieux pourquoi il s’intéresse à toi à ce point.

Elle en avait de la chance, parce que Cécile, elle, ne pigeait pas.

— Mais si, c’est évident ! Primo, tu arrives à t’en sortir pendant deux ans sans même avoir à te préoccuper de la moindre agression, ce qui est assez intriguant. Deuxio, Arthur arrive vachement facilement à te joindre, pardonne-moi l’expression, et sans forcer en plus. Par contre, je ne vois pas pourquoi cela ne s’est pas fait plus tôt.

— Je ne suis ici que depuis novembre.

— Et voilà, tout s’explique, avant, tu étais beaucoup trop loin ! triompha Claire. Bon, il y encore des détails à régler mais l’essentiel y est. Arthur a capté combien tu es spéciale.

Si même pour ces gens, elle était considérée comme spéciale, c’était le pompon. Bon point, Cécile !

— Bon, merci pour le thé, mais je dois y aller maintenant.

— Attends une minute ! Je voulais juste connaître ta théorie à toi sur l’origine de tout ce bazar. T’as eu plus du temps pour la peaufiner.

— Une théorie ?

— Ben oui, pourquoi tout tomberait sur nous comme ça ? Je ne sais pas moi, tu t’es peut-être fait piquer par une araignée comme Spiderman ou un autre truc du genre. Y a toujours une explication pour les pouvoirs des superhéros en général.

— Euh, non, je ne crois pas. Je pense que je m’en souviendrais, répondit Cécile en réfrénant son envie de fuir au plus vite cette fille encore plus chtarbée que les autres.

— C’est peut-être génétique, regarde mon frère et moi par exemple.

— Arthur a aussi un frère, objecta Cécile et il n’a pas l’air au courant.

Claire fit la moue.

— Pour Bastien, ce n’est pas si remarquable en fin de compte, à part de bons réflexes. Et encore, ça n’a pas atteint son cerveau. Mais il ne faut surtout pas le mettre en colère, il peut devenir super violent sinon. Un peu comme Hulk, au fond, la couleur verte en moins. Il faudrait lui trouver un super-costume tout aussi ridicule, marmonna-t-elle.

— Je n’ai pas la moindre intention de porter un super-costume ! s’affola Cécile qui se voyait très mal barrée.

Sans compter qu’à ses yeux, cela revenait à agiter un drapeau et à parcourir les rues en hurlant : « Youhou ! Les monstres ! Attrapez-moi, je suis ici !! Youkaïdi Youkaïda !! ».

Claire la regarda bizarrement.

— Personne ne te demande d’enfiler un super-costume !

— Cécile !

Les deux filles se retournèrent. « Pitié, non ! ». Eh si. C’était bien Maël qui venait de les accoster.

— Ah, je vois que vous êtes entre filles, ça tombe bien, on est entre mecs là-bas ! Je ne vous dérange pas au moins ?

— Non pas du tout ! Claire, enchantée, minauda la sœur de Bastien en faisant la bise à Maël comme s’ils étaient les meilleurs amis du monde. Gonflée en plus, la nénette !

— Maël, pareil, répondit-il d’un sourire. On ne s’est pas vus depuis un bon bout de temps, dis-moi ! lança-t-il à Cécile. Depuis la soirée, je crois. C’est dommage que tu sois partie si vite, d’ailleurs.

— En effet, murmura Cécile en essayant d’ignorer le sourire entendu de Claire. J’aurais voulu rester, mais…

— Oh, t’inquiète, c’est pas grave, on ne s’est pas éternisés de toute façon. On se refera une autre soirée un de ces quatre. Tu pourras emmener ta copine si tu veux.

« Non, non, surtout pas ! » s’alarma Cécile en lançant un signal silencieux à l’adresse de Claire.

— Avec plaisir, répondit cette traîtresse, radieuse.

— Je vous tiendrai au courant de toute façon. Allez, bonne après-midi à vous deux !

Claire attendit qu’il se soit éloigné à l’autre bout de la salle pour se rapprocher de Cécile.

— Il est super-mignon ton copain, dis donc ! Mais je ne compte pas te le piquer s’il est à toi ! chuchota-t-elle.

Cécile bouillait. Bien sûr qu’elle avait remarqué qu’il était mignon, et alors ? Était-ce une raison pour lui sauter dessus comme le sous-entendait Claire de manière si ostensible ?

— Il n’est pas à moi et il n’est à personne, ce n’est pas un objet, riposta-t-elle d’une voix pleine de colère.

Claire battit en retraite.

— Excuse-moi, je suis stupide, je ne voulais pas dire cela. Et je ne voulais pas dire non plus qu’il fallait sauver le monde, je me suis mal exprimée, évidemment qu’on n’est pas des superhéros. Jamais je ne formerai une équipe avec mon frère, avec Arthur ou même avec l’autre là, Florian. « Ah, ce prénom-là avait eu du mal à sortir », constata Cécile.

— Et puis je ne veux surtout pas prendre le risque d’attirer des monstres, je ne suis pas pressée de les rencontrer, si tu vois ce que je veux dire.

Cécile se radoucit, rassurée de constater que Claire était un minimum sensée. Ce point commun sur ce sujet la ramenait à de meilleurs égards. Elle décida de lui accorder une seconde chance et de faire des efforts pour s’intéresser à elle.

— Et toi tu te téléportes, hein ?

Étonnée, Claire battit des paupières puis lui rendit son sourire timide de façon bien plus vive.

— Oui ! Si tu avais vu la tête de Bastien la première fois quand je suis apparue dans sa chambre, comme ça, pouf ! s’exclama-t-elle en montrant son poing avant de déplier vivement ses doigts pour souligner son tour de passe-passe. Il n’était déjà pas en forme ce jour-là mais pour le coup j’ai vraiment cru qu’il allait tomber dans les pommes ! Et moi je ne me suis même pas rendue compte de ce que je faisais au début, je supposais que la porte s’était juste ouverte, tu vois.

Cécile acquiesça. Elle voyait. Elle voyait même très bien. Claire ne prenait même pas la peine de cacher que cette nouvelle aptitude lui plaisait mais son enthousiasme spontané était si communicatif qu’il était difficile de lui en vouloir encore. Elle ne put s’empêcher de se dire qu’une fille de cette trempe devait pimenter l’existence de sa famille et de ses amis. Même si cela devait être épuisant à la longue.

— En tout cas je te remercie beaucoup de m’avoir consacré un peu de ton temps et je suis vraiment désolée si je t’ai froissée. Ah, au fait, dernière question qui n’a rien à voir : tu fais du dessin ? Tu es douée ?

— Je me débrouille, mais de là à être douée…

— Je peux voir ? Je ne critiquerai pas c’est promis ! Je n’ai rien à dire vu que je dessine comme une quiche !

Cette remarque arracha un autre sourire à Cécile qui fouilla dans son sac et lui tendit quelques esquisses.

— Ce n’est pas grand-chose.

—Attends mais c’est super joli ! s’extasia Claire, conquise, en s’attardant sur un paysage campagnard croqué au charbon. Oh j’aurais tellement aimé savoir dessiner comme tu le fais, c’est vraiment superbe !

Une fois n’est pas coutume, Cécile sourit une fois de plus.

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