Chapitre 8 : 5. Tu me fais mal !

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De dos, Florian semblait observer les jeunes qui flirtaient, se chamaillaient et se poursuivaient jusque dans les profondeurs de la piscine. En le voyant, Cécile réalisa qu’il avait manqué un dérapage mémorable et qu’elle s’en moquait totalement. Il finirait bien par l’apprendre de quelqu’un d’autre de toute façon. Cécile s’approcha mais resta à distance respectable des éclaboussures et de Florian. Elle contempla avec envie les chatoiements du soleil qui marbraient l’eau et les corps ruisselants de vie. Si elle avait été du genre qui ose, elle aurait volontiers piqué une tête. Elle avait une envie prenante de fraîcheur.

— Il y a vraiment une piscine en fin de compte. C’est pas croyable…

— Cécile, oh Cécile, viens ! Elle est super bonne ! s’exclama Camille en bondissant sur place, son corps de sirène fuselé dans un superbe maillot noir à deux pièces.

Moui et sans maillot on fait comment ? On se jette à l’eau, comme cela ?

Exactement ! Il y en a qui font pareil et tout le monde s’en moque. Ce n’est pas comme si ton T-shirt était super moulant ! Et avec cette chaleur, il sécherait en deux secondes !

Il n’y avait aucun sarcasme dans la voix cette fois, au contraire, un encouragement immodéré. Cécile se sentit plonger dans un état second d’hébétude. La voix abattait ses défenses, lui offrait une accalmie dans ses pensées négatives, contrôlant les rênes. Après tout, elle avait bien le droit à ses coups de folie ! Elle l’avait mérité ce plongeon !

— Qu’est-ce que tu fais ?

Sans s’en rendre compte, Cécile s’était machinalement débarrassée de son sac et de ses chaussures et s’était approchée du rebord, toute appréhension évaporée.

— Je vais me baigner, cela ne se voit pas ? répliqua-t-elle, dépitée d’avoir été coupée dans son élan.

Elle se détourna de Florian et s’apprêta à sauter. On la saisit par le coude pour la tirer violemment en arrière. Cécile hurla : était-ce la sensation d’entrer en collision avec une clôture électrique ? Un bref contact, à peine un crépitement mais la couleur continue d’enfler dans la tête, circuitant toutes les neurones. Elle tomba à genoux. La prise sur son coude ne se relâchait pas. La souffrance non plus. Suffoquée, elle entraperçut Florian toujours planté au bord de la piscine, tétanisé. Il se convulsait en silence, ses yeux fixés sur la grande étendue d’eau au-devant de lui, les pupilles dilatées. Il suffoquait, sa main agrippé au coude de Cécile pour mieux la broyer. Il lui suffisait de la lui faire retirer, mais ses doigts gourds refusaient de lui obéir. Son corps et ses muscles ne répondaient plus. Dans un réflexe mû par l’instinct d’une bête traquée à mort, elle balança sa tête en avant. Sa mâchoire se referma d’elle-même sur le bras de Florian dans un claquement sec. Florian se cabra, eut un râle et s’écroula comme une marionnette, la frôlant au passage. Un dernier grésillement la parcourut, un léger miroitement d’électricité statique courut sur sa peau. Une petite flammèche. Le même phénomène qu’elle avait observé, un soir, en retirant son pull dans le noir.

Il y eut ensuite un grand flou artistique : ça s’agitait dans tous les sens en gueulant et s’engueulant, pendant qu’elle se vidait de ses entrailles sur place, plus que nauséeuse. Ça la palpait comme si elle était un vulgaire morceau de viande et ça la pressait de questions. Il en était de même pour Florian pour le faire revenir à lui. Cécile aurait voulu leur crier de ne pas le toucher mais apparemment l’inconscience de Florian jouait en leur faveur cette fois-ci. Camille s’agenouilla devant elle, pâle comme un drap blanc.

— Cécile… Tu m’entends ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu es tombée comme une mouche.

Comme elle trouvait la comparaison peu flatteuse, Cécile dut admettre qu’elle se sentait mieux. Elle distinguait les choses avec d’autant plus de netteté. La décharge que lui avait envoyée Florian n’était tout au plus qu’une petite secousse.

Petite ! Eh bien dis donc, je plains le type qui en aura le droit puissance dix !

La ferme.

— Il… Il a eu une crise. Il me broyait le bras, j’ai cru qu’il allait me le casser. Je n’arriver pas à le faire lâcher.

— Alors tu l’as mordu. Camille lui dégagea les cheveux et lui offrit une serviette sans montrer de dégoût. Ne t’en fais pas, tu as bien fait. Tu ne l’as même pas mordu jusqu’au sang.

Elle en aurait bien été incapable avec cette décharge !

— Comment va-t-il ? Est-il réveillé ?

— Oh ! Pas d’affolement. Il a repris connaissance, la tranquillisa Camille. On a déjà appelé les secours. Ils vont s’occuper de vous. Il faudrait peut-être faire une radio de ton bras. Pour t’écrouler comme cela, tu as peut-être quelque chose de cassé.

— Ce n’est pas le problème, assura fermement Cécile en se tordant le cou pour essayer de voir Florian derrière son mur d’adolescents agglutinés. Mon bras va très bien. Je ne crois pas qu’on ait besoin des secours. Surtout pas Florian.

Camille la regarda avec des yeux ronds, choquée.

— Je te demande pardon ?

Cécile se prit la tête (encore bourdonnante quand-même) entre les mains, vaincue. Si elle ne pouvait éviter les pompiers…

— Il faudrait au moins le monter dans une chambre avant leur arrivée, alors, argua-t-elle pour donner le change.

Elle aurait déclaré avoir envie d’une crêpe flambée que Camille ne l’aurait pas dévisagée avec la même incompréhension.

— Ne t’en fais pas pour ça, les garçons s’en occupent.

Tout cela avec le ton employé avec les enfants de 3 ans pour leur expliquer qu’une crêpe flambée n’était franchement pas une bonne idée dans cette situation. Peut-être bien qu’elle avait perdu quelques neurones dans la bataille.

— Bonne idée, je vais m’allonger aussi un peu, tiens. J’ai sacrément mal à la tête. Tu peux m’indiquer la chambre de Florian ?

— Pourquoi ? C’est ton petit ami ? Un léger sourire flotta brièvement sur les lèvres de Camille. Maël ne t’intéresse plus ? lui glissa-t-elle, complice. Et voilà qu’on venait de lui attribuer trois relations dans l’espace d’une demi-heure. Trois fois plus qu’elle n’en avait jamais eu.

Cécile grimaça en se relevant. Le sol tanguait sous ses pieds. Il lui était pénible de constater à quel point Camille se comportait comme Claire parfois.

— Attends, je t’accompagne. Je crois que la chambre où ils l’ont emmené est au rez-de-chaussée.

Camille lui passa le bras sur son épaule et leur ouvrit le passage à force de moulinets. Elle soutint Cécile jusqu’à une chambre à coucher plongée dans la semi-pénombre. Cécile parvint à distinguer les silhouettes de Paul et Maël qui concertaient avec des airs de conspirateurs inquiets autour de Florian. Étendu sur le grand lit double, Florian ne bougeait plus.

— Qu’est-ce qu’il a, je croyais qu’il était réveillé ?

Si Maël nota la panique dans sa voix, il préféra se préoccuper sur sa santé à elle en priorité.

— Tu vas mieux ? l’interrogea-t-il en s’emparant délicatement de son bras.

— Je crois qu’il s’est endormi, la tranquillisa Paul. Ou alors il est mort. Sinon, ça lui arrive souvent ce genre de crises ?

— Je n’en sais rien. Je le connais à peine.

Pas la peine de broder davantage devant Maël.

— C’est le gars du bar non ? Celui qui sortait de nulle part.

— Tu as le don de sortir des propos hors-sujets, répliqua Camille. Maintenant, vous les laissez tranquilles tous les deux et on sort de la chambre, les pompiers ne vont pas tarder. Hop, hop, Fousch !!! Cécile, il y a une salle de bains à côté et on vous envoie les pompiers dès qu’ils arrivent.

Camille les poussa sans management hors de la pièce et se précipita sur leurs talons, non sans avoir gratifié Cécile d’un « repose-toi maintenant ! » un rien suggestif. Cécile se laissa tomber près de Florian, exténuée. Constatant qu’il ne bronchait pas, son cœur s’emballa et elle se remit à paniquer comme à son habitude.

— Il dort. Il s’est juste endormi, se raisonna-t-elle à voix haute. Tout va bien. Tout va très bien. Pas besoin de s’inquiéter... Raah, alors pourquoi je m’inquiète ! Eh, t’es pas mort, hein ?

Elle se pencha sur lui, à l’affût du moindre signe lui prouvant le contraire. Son ombre se découpa à la lueur des persiennes pour venir s’étaler sur Florian, encore plus sombre que l’ambiance de la pièce. Florian réagit au changement d’atmosphère qu’il considérait peut-être comme une menace dans sa semi-inconscience. Il gémit et se débattit, en proie aux tremblements. Son corps s’arcbouta brutalement. En apnée, il semblait suffoquer. Couler dans son angoisse. Dans un sanglot, Cécile voulut saisir ses épaules mais il s’empara de son poignet avec virulence pour la contrer, broyant de toutes ses forces pour la repousser loin de lui. C’était douloureux mais bien plus supportable, dénué d’électricité, comme s’il venait d’épuiser toutes ses réserves. Florian, ne s’en défendait pas moins, poursuivi par un fantôme.

— Florian ! Tu me fais mal… Lâche-moi !

Plus elle tentait de se libérer, plus il s’accrochait, hagard. En désespoir de cause, elle se résolut à le gifler de sa main libre. Dérouté, il la dévisagea sans comprendre. Elle s’obligea à soutenir son regard de noyé.

— Tu. Me. Fais. Mal, articula-t-elle en pesant chacun de ses mots.

La lueur de panique vacilla sans les yeux de Florian avant de s’éteindre, soufflée d’un coup sec. Il sembla notifier sa présence, ainsi que la pression arbitraire qu’il exerçait sur son poignet. Il la lâcha et retomba de tout son poids sur le lit, mortifié. Étonnamment, il eut le courage de la regarder en face. Avant de détourner le regard, Cécile eut le temps de mesurer la complexité du sien. Non sans fascination. Le tournesol de ses yeux qui rayonnait au centre, occupant toute la place semblait s’être éteint, flétri et recroquevillé sur lui-même. Dévoilant un vert d’eau marécageux trouble, de la couleur des frondaisons, que les reflets habituellement mordorés du plus splendide des tournesols transformaient fièrement en une jolie teinte noisette.

Florian contempla sa fuite puis son bras, attentif à l’étendue des dégâts.

— Manquait plus que ça… Je t’ai fait mal, pas vrai ?

— Non.

— Tu ne sais pas mentir.

— Je ne suis pas en sucre. J’ai connu pire, je connaîtrais sans doute pire. Pas de quoi faire un drame.

— C’est censé me rassurer, ça ? Tu t’attends à pire ? De ma part ?

— Ce n’est pas ce que j’ai dit.

— Je sais. Je te fais marcher et toi tu cours.

Cécile rougit, désarçonnée par ce regain de dérision à son encontre. Ses yeux papillonnaient à travers la pièce, piégés. Florian continuait de la fixer, songeur.

— Pourquoi tu ne me demandes pas ? Tu as l’air d’en avoir envie pourtant.

Cécile encaissa, les larmes au bord des paupières, à deux doigts de tomber. Florian feignit de ne pas le remarquer. Les émotions sur le visage de Cécile étaient autant de lignes sur un livre ouvert à l’évidence. Il était facile de voir ce qu’elle ressentait. Et du coup on portait attention sur elle, elle en devenait une cible idéale. Et cela renforçait son malaise. Dans le même temps, on n’arrivait pas à la cerner, on butait à la lecture sur chacun des mots qu’elle présentait, à la manière d’une langue étrangère ; et peut-être bien qu’elle non plus ne se déchiffrait pas elle-même, d’où cette exclusion qu’elle s’infligeait. Cette fille devait subir un calvaire, dans sa prison dans laquelle elle s’était enfermée après avoir jeté la clef. Personne d’autre qu’elle-même ne pouvait l’aider à mettre la main sur son dico. Mais on pouvait lui donner un coup de pouce de temps en temps.

— C’est rien, ce n’est pas la première fois que cela m’arrive. C’est juste que j’essaie d’éviter les piscines et toute autre étendue d’eau le plus possible. Tu ne pouvais pas savoir. Arrête de faire cette tête.

Cécile arborait l’expression même de la culpabilité à présent. Elle tâcha de se reprendre, sans trop de conviction.

— Ça… Ça fait longtemps que tu fais ce genre de crises ? L’aquaphobie, ça ne doit pas être trop facile à gérer tous les jours…

— C’est de l’ablutophobie, pas de l’aquaphobie. Je n’ai pas peur de l’eau. J’ai peur de me noyer. D’être submergé. De mourir par asphyxie. Oui je sais, ce n’est pas tellement mieux.

Un long frisson s’empara silencieusement Cécile.

— Je n’ai pas eu de crises depuis un moment, mais j’en avais régulièrement, avant. Ça a toujours été comme cela. Tu dois imaginer la galère que ça a été pour mes parents de me faire prendre des bains ou de m’apprendre à nager. Je n’ai jamais compris d’où venait cette peur de la noyade. Il n’y a eu aucun évènement dans mon enfance qui ait pu l’expliquer.

— Et maintenant…

— Maintenant… Florian se redressa en position assise et balança ses jambes hors du lit. Maintenant, je n’ai quasiment plus de crises si je peux les éviter… Mais en échange, je me trimballe le composant le moins compatible avec l’eau. Comme par hasard, tiens ! Tu y crois, ça ?... Ouais, ben moins non plus. Je crois de moins en moins à une coïncidence à vrai dire.

— Tu penses que ce serait inscrit dans nos gênes, alors ? Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi nous ?

— Je n’en sais rien. Enfin, il n’y a pas vraiment d’explication, non ? T’en penses quoi, toi ?

— Claire… Claire avait la même théorie.

— Cette petite idiote est sacrément futée, mine de rien, sourit-il.

Il releva la tête et surprit Cécile qui le contemplait, interdite. Elle venait de déceler une intonation étrange dans sa voix à l’évocation de Claire.

— La dernière fois… Quand on est venus au secours de Claire et d’Arthur… Qu’as-tu ressenti exactement ? À part la colère ?

Et là encore, il lut facilement la réponse sur le visage de Cécile qui passait par toutes les couleurs. Ils avaient ressenti la même chose. Et si elle n’avait jamais eu ni frère ni de sœur, elle comprenait.

— Voilà. C’est exactement cela.

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