Chapitre 9 (4/4)

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— Tu m’as très bien compris, fais pas l’idiote.

Florian se leva pour l’écraser de tout son mépris et enchaîna sans complaisance.

— Tu fais style de maîtriser la situation, tu veux jouer les adultes raisonnables devant un gamin mais tu n’es pas fichue de soutenir son regard. Tu passes ton temps à te dégonfler et à décamper une fois que cela dérape. Tu es une froussarde qui a peur de sa propre ombre, qui a peur de grandir, mais qui se prend pour une sainte-nitouche et c’est insupportable. Et après tu me sors des dictons pompeux et tu te permets des conseils sur ce que tu ne connais même pas ! Alors ton jus de fruits, tu peux te le remballer.

— Oh, tu nous fais quoi ?

— Pourquoi tu lui tombes dessus ?

Thomas était ahuri devant tant de débordements provoqués par un simple jus de fruits.

— Vos gueules !

Cécile avait modulé son hurlement pour dominer le tumulte. Ils s’immobilisèrent, l’air interdit. En deux enjambées, Cécile se planta sous le nez de Florian qui n’eut pas le temps de l’éviter.

— Oui j’ai peur ! Bien sûr que j’ai peur ! Et alors, c’est quoi ton problème ? cracha-t-elle, habitée d’un soudain désir de le descendre en flammes. Qu’est-ce que tu en as à faire si je suis incapable de regarder quelqu’un dans les yeux, ou si je n’assume pas ? Cela ne concerne que moi si j’ai peur du jugement des autres au point de me sentir épinglée. Tu crois que c’est facile de s’imposer quand on se sent une moins que rien ? Toute ma vie, j’ai dû me battre contre la peur des autres et cette sensation d’être pitoyable.

J’ai tellement peur de décevoir alors je suis trop gentille et je ne dis jamais « non » parce qu’une seule critique me tétanise. Mais ce n’est pas une raison pour m’insulter comme tu le fais, espèce de…

Cécile stoppa : elle était le centre de l’attention, capta-t-elle enfin, revenue à elle. Humiliée, elle appela de ses vœux la dissolution immédiate. Oh non. Elle en avait trop dit. Elle n’en avait pas dit assez.

— Et puis merde.

Elle opta pour la fuite. Eh oui, encore.

— Quel con.

Arthur s’était laissé frôler par Cécile sans chercher à la retenir. Les mains dans les poches, négligemment posté dans l’entrée, il avait simplement dressé le constat qui s’imposait, d’un ton neutre mais sans appel.

Même Thomas adoptait cette réprobation.

Ce fut l’élément déclencheur qui propulsa Florian à la poursuite de Cécile, dévalant les marches tel un fanatique.

— Cécile, attends ! Ralentis un peu !

Cécile accéléra, irritée de ne pas avoir de voiture à disposition pour le semer beaucoup plus rapidement. Elle se laissait donc rattraper, du haut de ses 1m65 qui ne faisaient pas le poids comparés aux longues jambes de Florian. C’était le summum du ridicule. Elle s’arrêta et lui fit face avec des envies meurtrières qui ne l’empêchèrent pas de s’approcher davantage. Florian choisit cependant de conserver quelques mètres entre eux. Pas fou non plus. Il se lança dans la traque de son attention qu’elle gardait résolument à terre, se penchant sous tous les angles pour pouvoir l’intercepter. Elle s’apparentait au fauve en cage, pressée de fuir. Où, elle n’en savait fichtrement rien : après tout, ils squattaient chez elle et il était près de 18h30. Échec total.

— Tu vas finir par me regarder, oui ? Je suis venu m’excuser. Ce n’est déjà pas facile, alors tu pourrais…

— Tu appelles cela une excuse ?

— Non, je m’y prends mal. Alors écoute bien : Je suis désolé. Sincèrement. Je m’en suis voulu dès que je t’ai sorti ces horreurs. Tu ne les méritais pas.

— Si, si, tu as raison. Mais je t’ai clairement fait comprendre que je t’emmerde, l’aligna Cécile sans trembler.

Pour une fois.

— Oui, ça, je crois que j’ai bien saisi. Tu sais, c’est moi qui suis mal placé pour te juger. Enfin, ce que je veux dire, c’est… Ce n’est pas grave d’être différente, c’est… C’est une force après tout.

Et zut, c’était justement un de ces dictons pompeux avec lesquels il l’avait descendue. Il retournait contre lui la monnaie de sa pièce : mais dans quoi se lançait-il ?

Un sourire d’ironie flotta sur les lèvres de Cécile ou il avait halluciné ? Elle l’entendait s’enfoncer sans lui tenir une perche. Pas si gentille que cela, en fait.

— Bref. On est tous sensible au regard des autres, c’est ce que je voulais te dire. Mais rien ne t’oblige à leur ressembler.

— Rassure-toi, je ne chercherai pas à te ressembler, alors épargne-toi ce discours stupide, c’en est pathétique.

— Mais dis-moi ce que je peux faire pour que tu fasses semblant de me pardonner, je culpabilise à mort, là ! Je pourrais m’agenouiller si tu veux, dit Florian en joignant le geste à la parole.

— Surtout pas ! Juste, fiche-moi la paix et achète-toi un punching-ball, ça ira comme cela. Relève-toi… Relève-toi, j’accepte tes excuses !!! Vite !

Florian pouffa devant le désarroi de Cécile.

— Bastien m’avait donné le même conseil, il me semble.

— Tu es vraiment bizarre.

— Tu vois, moi aussi ! Ce n’est pas comme si on ne l’était pas tous, en définitive.

— Détrompe-toi. J’étais déjà bizarre, avant. La seule différence, c’est que je ne déplaçais pas les objets et que je n’étais pas possédée.

Le sourire de Florian s’effaça.

— Que veux-tu dire par-là ?

— Rien.

— On va faire comme ça : je vais te laisser tranquille et ne plus te juger ni à agir en imbécile égocentrique, et toi tu vas exprimer tes sentiments plutôt que de me les postillonner à la figure. D’accord ? Explique, ça veut dire quoi que tu es possédée ?

— Cela veut dire que j’ai une voix dans ma tête qui n’est pas la mienne et qui me pompe l’air, avoua Cécile en fermant les yeux.

Dans le silence crépusculaire, le souffle de Florian s’accéléra sensiblement.

— Dieu merci. Je ne suis pas le seul.

— Hein ?

— Ça fait partie du lot. Moi aussi, j’ai une voix qui me gonfle. Très souvent. Mais comme je l’écoute encore plus rarement…

Cécile était déboussolée de la spontanéité avec laquelle il en parlait.

— Et voilà, elle me regarde ! exulta Florian. J’ai le droit à une deuxième chance alors ?

— Tu… toi…

— Tu n’as pas le choix. C’est ton appart là-haut.

Quand ils s’en revinrent en haut, tout le monde semblait très occupé, passé l’instant de flottement. Seul Thomas épiait sans vergogne chacun de leurs mouvements empruntés.

— Bon, euh, Thomas, tu habites où exactement ?

Thomas détourna enfin sa petite fixette sur Florian et Cécile pour l’attacher sur Claire.

— Pourquoi, tu comptes me ramener ? Là, tout de suite ?

— Que voudrais-tu qu’on fasse d’autre, t’inviter à camper ? s’énerva Bastien. Ta famille va finir par s’inquiéter.

Thomas ne parut pas convaincu du tout et alla s’affaler sur le canapé, son portable en main. Claire retenta une autre approche.

— Tu habitais dans le quartier Duffort. Ta famille a déménagé dans quel coin maintenant?

— Pas ma famille, juste moi, la rabroua Thomas, acariâtre.

— C’est-à-dire ?

Thomas ne répondit pas. Claire regarda Cécile qui n’était guère plus avancée qu’elle.

— Thomas, désolée, ma mère va bientôt rentrer. Vous allez tous devoir rentrer chez vous de toute manière.

Thomas leva le nez de son écran, embrassa la pièce d’un coup d’œil circulaire puis posa la question qui lui tenait vraiment à cœur.

— Ça existe vraiment votre package pétage de plombs ? Vous avez tous un abonnement ?

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