Lumière

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Un soleil éclatant faisait briller un paysage idyllique de blancheur immaculée. Les tours et les murailles dantesques du château se dessinaient par dessus un jardin verdoyant d’émeraude chatoyant. Le marbre blanc écrasait tout, toute la structure était monumentale, au point que résonnaient à peine, comme un chuintement étouffés, les cris de fureur du monarque.


Reinhard Ljungqvist serrait les dents, il leva vers ses yeux un poing ganté de cuir et contempla le sang qui le maculait. Ses yeux dorés fusèrent de nouveau sur la servante, à terre, en pleurs, implorant sa pitié avec des mots inarticulés qu’il n’entendait même pas. Il siffla entre ses dents, écarta d’un geste brusque sa large cape blanche d’hermine qui entravait ses mouvements et envoya sa botte dans la tête de la servante. Elle essaya maladroitement de se mettre en boule pour se protéger de ses coups, mais il fut trop rapide, donna de grands coups de pied dans le ventre, dans le torse, dans le cou, dans le visage… Jusqu’à ce qu’il sente le corps se briser, se détruire sous la pression de ses coups impitoyables, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’une loque déchirée à ses pieds, geignante et désespérée. Le roi jeta un regard à l’assistance, les autres domestiques tous immobiles, tétanisés par la peur, têtes baissées.


Le regard de Reinhard Ljungqvist était éclatant, tout en lui transpirait la lumière. Sa peau claire, ses cheveux du blanc le plus pur, ses yeux dorés luisants. Il était une puissance divine à lui seul, rehaussé par une tenue blanche rehaussée d’or et d’argent, que faisaient ressortir des gants et des bottes d’un noir cruel.


Avec un reniflement dédaigneux, il porta sa main à sa ceinture et en décrocha le petit bec de corbin qui lui servait d’arme d’appoint. Une arme de guerre, brandie à même la résidence royale, contre ses propres domestiques. Il empoigna cet outil de puissance à deux mains et cria dans un souffle :


« Plus jamais de messes basses dans mon palais ! »


Et d’un coup à la violence guerrière sur sa cible sans défense, il éclata le crâne de la servante, éclaboussant le sol et faisant frémir d’horreur toute l’assistance.


« Voilà comment je traite les chiens. Maintenant au travail tous ! »


Certains durent faire des efforts pour se retenir de vomir, mais ils tinrent bon, se forçant à un flegme monumental. Le roi rengaina son arme et les laissa à leurs affaires avec mépris. Reinhard Ljungqvist avait toujours été prompt à la violence, mais depuis la disparition de sa fille, il rejetait la faute sur tous ceux qui avaient le malheur de croiser son regard ou de parler trop bas pour qu’il les entende, et dans l’attente impatiente où il était, ses nerfs ne tenaient jamais. Ses pas résonnaient d’une inspiration de violence, et la moindre de ses respiration empestait la brutalité.


Il sortit et parvint sur les murailles du palais, environné d’un panorama magnifique. On pouvait admirer la richesse et la beauté d’un jardin immense où se bousculaient les arbres et les fleurs les plus magnifiques du continent. Il prit une grande inspiration, mais même cet air ne satisfaisait pas ses désirs brutaux. Il se mordit les lèvres en songeant à ses enfants, tous loin de lui pour l’instant. Il détestait ça. Il détestait les savoir hors de sa portée, hors de son influence. Mais cela cesserait bientôt.


Depuis son perchoir, il pouvait voir à l’autre bout du vaste jardin une foule en armure se presser. C’étaient les paladins de l’ordre de l’argent. Depuis la trahison de Sehnsucht, il y avait plusieurs siècles de cela, l’ordre les paladins de la lumière s’était séparé en différents ordres indépendants afin d’éviter à tout prix qu’une éventuelle trahison n’entraine tous les paladins dans sa chute. l’ordre de l’argent était l’un des derniers à avoir répondu à l’appel à la guerre du roi Reinhard. Ils étaient des chasseurs de monstruosités et d’aberrations hors pairs, œuvrant depuis des décennies à assainir le royaume chaque fois qu’une menace apparaissait, mais ils étaient farouchement opposés à l’idée d’une guerre de grande ampleur. Le roi avait dû lutter pour les persuader de marcher contre Ehrgeiz, et il n’y était parvenu qu’à grand renfort de flatteries, de menaces, et de promesses en tout genre. Il leur avait finalement promis un nouveau bastion pour leur ordre qui serait bâti sur les ruines d’Ehrgeiz une fois la citadelle impie rasée jusqu’aux fondations.


Les paladins discutaient entre eux des préparatifs à la guerre. Le roi s’en détourna pour marcher sur ses murailles, toujours dans l’attente d’un signal qui ne devrait plus tarder. Ce faisant, il aperçut les étendards chatoyants des chevaliers de l’Opale Ardent, une confrérie de guerriers mercenaires à la solde des écoles de magie du royaume de Sinople. Ils avaient fait serment de détruire toutes les déviances magiques, aussi il n’avait pas été compliqué pour le monarque de Lichtstrahl d’acheter les services de ces impétueux cavaliers. Ils brandissaient étendards et oriflammes en récitant des chants mystiques, promettant la mort aux nécromanciens, aux sorciers, et aux aberrations magiques.


À ces chants gaillards se confondait également une mélopée puissante, rampante, qui montait insidieusement depuis les profondeurs les plus sombres du palais. C’étaient les serviteurs militants de l’inquisition qui préparaient par ces rites les sceaux de pureté qui les protégeraient au combat contre les villes créatures à la botte de Sehnsucht. Le roi ne put empêcher un pincement de réprobation de venir déformer son visage. L’inquisition de la lumière était une création très récente. Avant la trahison du paladin renégat, le royaume n’avait même pas de clergé fixe dans le culte de la lumière, mais depuis les événements ayant mené à l’exil du sombre sire, le culte s’était réformé de manière toujours de plus en plus paranoïaque, et depuis une dizaine d’année maintenant, un ordre spécial avait été créé, l’inquisition, alliance entre le bras séculier du clergé, des agents laïques engagés au nom de leur compétence et des théologiens éprouvés qui s’étaient donnés comme tâche sacrée de vaincre la corruption avant qu’elle ne puisse faire du mal, en dissimulant ou en brulant les ouvrages dangereux de magie noire, en veillant à dissuader les révoltes contre le culte, et en empêchant les idées aberrantes venues d’Ehrgeiz de contaminer l’esprit des paladins et mages de Lichtsrahl. Au final, l’inquisition n’avait que très peu de pouvoir, mais avait sans conteste de la ferveur à revendre. Aussi, le roi avait réclamé que l’inquisition lui donne ses meilleurs forces combattantes pour aller purger l’épicentre de la corruption sur tout ce continent : la citadelle noire d’Ehrgeiz.


Le roi s’immobilisa soudainement et tendit l’oreille. Un nouveau son s’élevait : celui de clairons. Leur sonnerie était caractéristique, et elle annonçait le retour de ses fils. Un sourire immonde barra son visage pendant un instant, avant qu’il ne se précipite vers les portes du palais. Il lança rapidement un regard vers l’astre solaire. Il amorcerait son coucher d’ici quelques heures. C’était parfait.


Aux portes du palais, en grandes pompes, les princes du royaume accoururent, cernés par leurs escortes des paladins de l’ordre de Platine. Dans un grand froissement de capes collectif, ils bondirent de leurs montures pour se prosterner devant le roi leur père qui arrivait en hâte.


L’ainé des fils s’approcha en premier, et genoux à terre, il baissa la tête pour présenter à son père l’objet de leur quête. Des deux mains il leva, couverte par un linge d’une blancheur parfaite, l’épée de cristal qui valait au royaume de la lumière sa force symbolique.


L’épée de cristal était l’objet le plus précieux du royaume, un artefact aussi ancien que Lichtstrahl et si sacré que même le roi ne pouvait la conserver dans sa propre demeure. Elle était précieusement gardée dans une grotte secrète dissimulée quelque part dans le royaume, un lieu sacré qui aurait été creusé par les premiers dieux pour abriter leur artefact dans l’attente de l’une des deux rares occasions où elle pouvait être tirée de son repos.


Une fois chaque année, le roi devait ordonner à son fils de lui ramener l’épée, puis la brandir au moment où tombe la nuit. Le pouvoir de l’épée exacerbait alors les rares rayons du soleil au point que le royaume entier se retrouvait, pour une nuit entière, plongé dans une lumière aussi éclatante que celle du jour.


Mais cette nuit rituelle n’était pas encore venue. Reinhard Ljungqvist avait ordonné à ses fils de lui ramener le précieux artefact pour un rite bien plus rare, quelque chose qui n’avait pas été fait depuis des siècles, et en tout pas plus de trois fois dans l’histoire du royaume.


Le roi prit l’artefact des mains de son fils et le souleva d’une seule main, ce que lui seul était autorisé à faire. L’épée de cristal reflétait déjà mille éclats de lumière aux teintes variées. Le roi s’avança jusqu’à être en pleine lumière, et là, hors que le jour commençait à décliner, il leva bien haut l’artefact.


« Que partout dans mon royaume, mon peuple aperçoive ma lumière, et que par cette lumière il communie et soit informé de ma royale volonté ! Au nom des dieux ! Au nom de la lumière ! Et par les pouvoirs qui me sont conférés par ma couronne et par la divine épée de cristal, j’en appelle à la croisade ! »


Et la lumière fut. L’éclat radiant du cristal se décupla, encore et encore par antipéristase lorsque le soleil disparaissait de plus en plus à l’horizon, et son éclat nitescent baigna tout le pays, du nord au sud, de la mer de l’ouest aux montagnes du Nullcivern à l’est. Tout brilla par un éclat si puissant et iridescent que nul ne pouvait mettre en doute que l’accord des dieux devait être nécessaire pour qu’un tel prodige soit accompli par le roi. Aussi, ses vassaux ne tarderaient plus à dresser l’étendard des osts, et son peuple s’engagerait tout entier dans la croisade. Tous devaient s’unir dans la lumière de Sa volonté.

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