La nuit du jour le plus long

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Une fois terminée notre algarade, Emile et moi sommes allés méditer chacun dans notre coin. Lui, aux ronflements sonores qui faisaient trembler la maison, j'eus vite compris que ses réflexions personnelles se limitaient à la quantité infime de moutons qu'il avait à compter dans son troupeau pour fermer les mirettes.

Moi, encore irrité de son air trop paternaliste, je savais que j'aurais du mal à trouver le sommeil. Trois semaines consécutives d'inaction ne plaident pas en faveur d'une grande dépense énergétique, ce qui, somme toute, devrait quand même ravir les écologistes. Pour ma pomme, il ne me restait d'ores et déjà plus qu'à me choisir un bouquin, épais de préférence.

Des livres, à la maison, j'en ai des milliers. Sagement alignés sur mes nombreuses bibliothèques, trop nombreuses, d'ailleurs, au goût de Madame, ils n'attendent qu'un bon geste de ma part pour illuminer mon imagination. Et cette dernière aurait bien besoin d'un petit courant d'air frais pour se soulager de l'impressionnante campagne de prise de tête des pseudos journalistes qui ne parlent, fait extraordinaire et jamais vu précédemment dans toute ma pauvre histoire, que d'une maladie imaginaire.

Puisque je sentais que je ne serais pas près de fermer les yeux, je décidais de me dégauchir un bon gros pavé, écrit tout petit de préférence. Un truc bien saoulant, une histoire de merde ou un traité soporifique qui parlerait des vertus de la bêtise humaine en cas de pandémie mondialisée.

Et je n'eus pas à chercher bien longtemps. Certes, ce n'était pas un long discours médical m'alertant sur le fait que, si je descendais un escalier du pied gauche, je risquais peut-être de mourir de l'éclatement d'un vaisseau sanguin, selon une probabilité d'environ, c'est-à-dire à la louche, de 0.000000001 un pour dix mille. C'est vous dire si je tremblais d'avance à l'idée de croiser un escalier...

Donc, pour bien me faire chier cette nuit, j'allais me fader un monument de la littérature.

Ulysse. James Joyce.

Pour ceux qui connaissent, inutile de faire les présentations.

Pour les autres : un bon milliers de pages. LA Nullité faite livre. Dès les premiers paragraphes, on sait qu'on est tombé sur un bloc de papier qui n'a d'autre vraie raison d'être que de servir de cale sous un meuble. Me croyez pas ? Essayez, et on en reparlera... J'ai tenté de le lire des centaines de fois sans jamais dépasser les cinquante premières pages.

Mes yeux couraient le long des lignes sans que mon esprit s'accrochât un instant à la trame. D'ailleurs, y avait-il seulement une trame à ce ramassis de conneries ? Au bout de quelques pages, à peine, je sentis monter en moi une irritation qui allait grandisssante. Il était temps de ranger ce livre qui ne méritait ce nom que par la somme invraisemblable de pages idiotes et inutiles. Tous les intellos me voueront aux gémonies, c'est sûr, mais seulement pour faire croire qu'eux ont compris la quintessence d'un esprit supérieur qui, un jour, s'est adonné au plaisir pervers de ne s'adresser qu'à une absolue minorité de connards et de prétentieux du bulbe. Je les emmerde, eux et leurs prétentions, ridicules et précieuses.

Allez, dégage Ulysse ! Retourne à la poussière !
Me voilà bien ennuyé. La nuit était bien avancée et le soleil ne montrerait pas le bout de son nez avant quelques heures. Que faire ?
Une clope ? Encore ? Et tes poumons, mon gars. T'en fais quoi ?
Je les emmerde aussi, ceux-là. Entre cancer et coronavirus, ils ont le choix des larmes.

Allez, une clope, vite fait. Ensuite, promis, terminé. Jusqu'à la suivante. Saloperie d'addiction... Heureusement que je ne bois pas d'alcool. Je suis trop velléitaire. Ouais...
Je sautais de mon lit sans faire de bruit puis, à pas aveugles, je descendis dans le salon. Une paire de chaussons, un peignoir, une clope dans une main, un briquet dans l'autre, et me voilà bêtement debout au milieu de ma terrasse, à regarder le ciel et la fumée de ma sucette à cancer s'envoler vers les étoiles. La lune était presque pleine. Il suffisait d'imaginer la ligne qui apprenait aux enfants si elle était croissante ou non. Je repérais la Grande Ourse, puis en tirant cinq fois la distance je trouvais sans peine l'Etoile du Nord, tout petit point lumineux qui ne bougeait jamais, ou si peu.

Cette étoile m'avait toujours rassuré. Quand tout tremblait autour de moi, que le monde s'effondrait, que mes certitudes s'effacaient, que l'angoisse prétendait prendre le dessus sur ma raison toujours un peu critique, cette piqûre de lumière tremblotante me rappelait que je ne devais pas m'inquiéter outre mesure. Même perdu au fin fond du trou du cul de monde, un simple regard vers elle et je pouvais reprendre ma route, quelle qu'elle fût.
Enfant de Star Wars, je regrettais toujours de ne pouvoir traverser les distances inhumaines qui me séparaient de ces possibles civilisations. Mondes de fiction que je ne connaîtrai jamais. Combien de mondes meilleurs me passaient ainsi sous les yeux ?

Ma clope grésillait doucement dans la nuit. Et c'est là que je m'aperçus du silence. Je prétais l'oreille le plus attentivement que je pus. Je me souvenais des premiers jours de confinement. Déjà, le tintamare humain s'était fait plus discret.

Cette nuit, le silence était total. Absolu. Je distinguais les silhouettes imposantes des arbres maintenant couverts de feuilles et pas une branche ne bruissait. Les oiseaux eux-mêmes s'étaient tus. Pas un mouvement, pas un bruit. La lumière blanche de la lune se répandait comme une ombre malfaisante sur la Terre, telle la promesse de quelque nouvelle calamité à venir. Le Diable préparait sa prochaine offensive dans l'obscurité, cette noirceur propice aux serments que les damnés passent avec lui pour gagner quelques malheureuses années d'une fausse prospérité.

Impressionné par l'épaisseur de ce silence, j'eus l'impression de connaître le monde, tel qu'il avait dû être quelques siècles plus tôt, quand les hommes n'avaient pas encore les moyens de lutter contre la Nature et lui imposer le fracas de ses machines infernales...

Oui, je compris un peu mieux pourquoi le chant lugubre d'un loup dans la campagne pouvait faire frémir ceux qui n'avaient d'autre choix que de vivre avec lui... La nuit amenait son cortège de démons intérieurs à celui qui voulait bien les voir et les écouter. Elle posait sur mes épaules le voile de la peur de l'inconnu et s'amusait à me voir greloter loin des rayons du soleil. J'étais seul avec ma nuit.

Ce confinement est comme une nuit qu'on impose à l'humanité. Il se nourrit des angoisses cachées de ceux qui redoutent le vent, la chaleur, la neige, les marées, et l'invisible. Et ceux qui nous tiennent enfermés jouissent sans vergogne de la répression qu'ils imposent. Qui sont ceux qui tirent les ficelles ? Qu'allons-nous découvrir, le nez enfariné des mensonges chantés par tous les médias du monde, quand la crise sera terminée ? Prendra-t-elle seulement fin un jour ?
Que cherche ces élites dissimulées dans leurs châteaux interdits aux peuples ? Que trament-elles ?

Parce qu'enfin, qui serait assez simple d'esprit ou assez fou pour ne pas comprendre que la crise sanitaire n'est que l'arbre qui cache la forêt et que, dans celle-ci, rôdent des loups qui chassent la liberté, le droit au bonheur ?
Quels sont les malades qui gouvernent ce monde sans jamais se faire remarquer de personne ?
Et que rêvent-ils pour nous, en guise de demain ?

J'avais trop froid. Alors, j'ai jeté ma cigarette au cendrier et puis je suis retourné me coucher.

Et toujours pas un bruit dans la nuit.

A suivre...

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