Faire ses courses

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Jour...un de plus.

La Chine ne perd plus de vie depuis plusieurs jours. Sortie du merdier, alors ? Je leur souhaite.

En attendant, et en parlant de sortie, fallait aujourd'hui que je fasse les courses.
Que je vous raconte ça. Vous allez voir, c'est d'une affligeante banalité.

Bon, je chope ma dérogation anti-mort-anti-retour-à-la-case-départ-avec-une-prune et je saute dans la voiture. La route, c'est mon métier alors c'est carrément avec plaisir que je roule sur des routes quasiment désertes. Pas de piétons ou presque. Ceux-là sont tous attachés comme des boulets à leurs chiens qui avancent, la truffe rivée sur le sol à la recherche de je ne sais quelle piste. Les acharnés de la course à pied ne courent plus, sûrement parce que privés de spectateurs admiratifs. Bon, je me moque un peu, mais je me dis à chaque fois que ces mecs-là, et les nanas aussi, le font d'abord pour leur goût masochiste d'un effort pénible, pour garder leur silhouette de personne plus baisable que les autres, mais aussi pour se faire remarquer, pour qu'on les admire, qu'on les envie, qu'on les respecte, qu'on leur offre une part de cette reconnaissance sans laquelle les gens ne sont rien ni personne.

Bref, pas un chat dans les rues, ou presque. Aller jusqu'à ma grande surface habituelle ne me prend donc que six ou sept petites minutes. Parking aéré... Tant mieux, me dis-je, de la sorte, je ne perdrai pas de temps. Du temps, j'en ai à revendre depuis quelques jours, c'est vrai, mais ça me ferait suer de patienter trop longtemps aux portes. Ma liste de commissions n'est pas bien longue.

Maintenant aux commandes de mon caddy tout en plastique rouge (mais bon quand même pour la planète puisque c'est pour ma bonne cause) je m'engouffre dans le temple de la consommation.

Patatra ! Un vigile me tombe directement sur le paletot, m'intime calmement d'une main tendue en avant de me garer le long des baies vitrées : trop de monde dans les rayons, trop de monde aux caisses. Merde... Toute la ville s'est filé rencard ici ou quoi ? D'un signe de tête, je fais comprendre que j'ai pigé. Je remise ma Ferrari porte-bouffe dans un coin et j'attends.

J'observe alors un peu les gens qui sont là. L'ambiance est calme, pourtant on sent que tout le monde est sur ses gardes. Les femme, surtout. D'abord, parce que ce sont elles les plus nombreuses. Un petit sourire au bec, je me dis qu'il n'y a qu'elles pour "bien faire" les courses, nous les hommes ne sommes que de gros sangliers dans ces lieux-là...
Pas de musiques de merde pour nous casser les oreilles. Au contraire, des messages prononcés doucement et qui remercient par avance les consommateurs de veiller au plein respect des consignes d'hygiène et de sécurité, nous remerciant aussi, au passage, de venir dépenser notre pognon chez eux. Quelques minutes s'égrènent. Pas beaucoup, disons autant que mon récent trajet en voiture...

Le gorille me fait signe : je peux y aller. Allez, on va voir l'état des rayons. Les médias, les chiens de garde des grandes familles bourgeoises, n'arrêtent pas de dire qu'on n'est pas loin de la catastrophe. Un peu inquiet malgré moi, je commence mes déambulations. Les rayons qui vendent les choses inutiles sont pleins. Des montagnes de boîtes de chocolat sont déjà là, encombrant une belle partie de l'allée principale. Bientôt Pâques ? Faudra que je demande en rentrant à la maison. Toutes ces fêtes commerciales m'échappent un peu, je dois bien le reconnaître.

Les produits que je cherche sont disponibles, presque tous. Certains rayons sont nettement moins bien achalandés que d'autres, et il est évident que les produits de consommation courante, les produits de base comme on dit, sont plus rares. Certaines gondoles sont quasi-vides : farine, sucre, pâtes, riz et articles de ce genre. Quasi-vides, mais pas complètement. Il reste bien assez pour que je tende la main et remplisse petit à petit mon caddy.
Le personnel du magasin est omniprésent, actif, silencieux, concentré. Ils arrivent avec des palettes entières et regarnissent les étalages sans arrêt. C'est surprenant car certains étages restent vides. Pas d'attroupement pourtant. Mêmes ces dames ne prennent pas le temps de regarder vingt fois le même article avant de le reposer et se déplacer d'un mètre pour recommencer le cirque. Non, tout se passe dans un calme total. La méfiance est palpable, cependant. Il suffirait d'un rien pour que tout dérape, c'est sûr.

Je m'arrête un instant pour regarder tout ça. Et je me dis, in petto, ceci : il n'y a pas vraiment foule dans le magasin puisque les accès sont limités et le personnel remplit les rayons en permanence. Or, certains restent vides. Conclusion ? Les chaînes logistiques de certains produits sont de toute évidence en difficulté. Pas assez de camions ? Ce serait vraiment un monde ! Moi, transporteur, confiné chez moi avec interdiction de circuler, je pourrais servir, merde !

Mais je dois reprendre mes pérégrinations de consommateur. Rapidement, mon caddy est plein. Reste encore à se fader la séance d'attente aux caisses. Là encore, c'est un agent de sécurité qui, sans le savoir, me sauve la mise. "Paiement par carte ?" demande-t-il à la cantonnade. Je lève la main et, coup de bol, c'est mon regard qu'il croise en premier. Il me fait signe de le suivre et me dirige tout droit à une caisse libre. Le débit aux caisses est contrôlé, lui aussi !
Je le remercie et, quelques minutes plus tard, je n'ai plus qu'à remplir ma voiture avant de rentrer à la maison.

L'expérience était finalement tranquille. J'en ai pour une semaine avant d'y retourner.
Mais la journée n'est pas finie. Faut encore se faire chier, maintenant.

Vraiment, la vie de l'individu selon les belles théories néo-libérales des enfoirés qui nous gouvernent, pardon, qui nous manipulent est bien triste et vide de sens. J'ai entendu dire que des couvre-feux pourraient être généralisés dans le pays, après que le montant des amendes pour les réfractaires est arrivé à des sommes faramineuses pour les pauvres, et plein d'autres rumeurs à la con.

Et puis, j'ai entendu parler de ce toubib, la référence française en machin-logie, aux compétences mondialement reconnues. Savez, c'est le mec qui une tête à la Buffalo Bill, blouse blanche dix fois trop grande pour lui. Doctor House, que je l'appelle.

Eh bien, il semblerait qu'il joue aux quilles dans le jeu des divers médecins qui se battent sans le dire clairement pour rafler les marchés juteux des productions à venir des vaccins contre la super-méga-grippe-de-la-mort de ce début d'année...

De quoi, comment, qu'ouis-je ? Une pastille à moins d'un euro pièce et qui soignerait en quelques jours seulement près des trois quarts des malades ? On attend quoi pour généraliser la chose et la prescrire à tour de bras ?

Ben, justement... Il est évident, là aussi, que le cynisme néo-libéral s'exprime sans complexe sous nos yeux. Les chefs de services hospitaliers, au moins ceux qui entretiennent de chaleureux rapports avec les laboratoires qui se font des roupettes en platine sur notre dos ne sont pas trop d'accord. Vous comprenez, disent-ils avec un brin de condescendance, il faut faire des études cliniques, des essais, des rapports, des commissions, des analyses, et tout et tout. C'est pas simple. C'est pas donné aux premiers venus. Et surtout, on veut peut-être enregistrer plus de morts avant de lacher du lest, vous comprenez ? Les malades, on s'en branle pas mal, nous. Par contre, le pognon qu'on va se faire, faut pas le rater. Le prix des médocs, ajoutés à ceux des consultations, du rendement à venir des actions... ça va nous faire un gentil pactole, vous comprenez ? Et surtout, ça prend des semaines, voire des mois, peut-être même des années. Alors, Buffalo Bill est prié de rentrer chez lui et de fermer sa grande gueule. Fermez le ban !

Et nos petits vieux, en attendant, ils font quoi ? Ils crèvent en silence et merci ?
Méchant goût de nausée dans la gorge, soudain.
Et ce soir, pas mal remonté contre tous ces enfoirés de politicards à la mords-moi le noeud, je regarde le minsitre de la santé qui nous explique les choses de la vie, comme à des enfants en bas-âge, voire carrément à des attardés.

Et, concernant ce médicament que Doctor House voudrait prescrire à tous les patients légèrement atteints avec l'assurance de les voir guérir très vite, le ministre nous explique posément que, bien au contraire, il ne sera administré qu'aux cas désespérés... En clair, ces maffieux de merde vont s'assurer que ces médocs ne peuvent rien pour ces malades qui, quoi qu'on fasse, mourront de la grippe ou d'un simple courant d'air.

Voici comment décredibiliser une info... Et les chiens de garde aboyent tous comme les infâmes clébards d'une meute accrochée aux roupettes d'un renne épuisé.

Mes doutes à propos de cette épidémie renaissent à la vitesse de la lumière. Frappé l'an dernier d'une grippe qui m'avait cloué au lit plusieurs jours d'affilée, comme une multitude d'autres personnes autour de moi, aucun média n'avait alors rien dit. Cette année, par contre, à peine éclose à l'autre bout du monde, les journaleux en parlaient déjà en termes inquiétants.
Mon côté complotiste me susurre que nous sommes encore les jouets des pervers pathologiques qui jouent dans les coulisses du Pouvoir...

Et si tout cela n'était qu'une gigantesque manipulation mondiale, orchestrée par je ne sais pas quelle bande de milliardaires en quête de revanche, suite à la trouille immense que les Gilets Jaunes leur avait infligée ? Des millions de gens, cumulés, descendaient et restaient dans les rues à manifester contre leurs dirigeants presque partout sur la planète, il n'y a pas plus de trois semaines encore, et voilà qu'aujourd'hui, le monde entier est en train de s'enfermer.
Et si tout ça n'était qu'une énorme carambouille ? Trop énorme pour que ce soit possible ? Ne dit-on pourtant pas que plus c'est gros, mieux ça passe ?
Brrr... Je perds les pédales. Effets secondaires d'une toute petite semaine de confinement ?
Eh bé... S'ils annoncent qu'ils prolongent tout ça d'une quinzaine supplémentaire, faudra peut-être voir à m'enfermer, mais cette fois-ci dans un asile avec une solide camisole.

Avant qu'ils m'enferment totalement, faudra que je refasse mes courses...
Je vais peut-être ajouter quelques pavés.

A suivre...

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