Quelque part entre l’enfance et aujourd’hui
Je ne sais pas trop comment commencer. Peut-être simplement comme ça : Tu me manques. Tu me manques doucement, comme une chanson dont j’aurais oublié les paroles, mais pas la mélodie.
Tu es partie quand j’avais 11 ans. Et à 11 ans, on ne sait pas grand-chose. On ne sait pas que les gens qu’on aime peuvent disparaître aussi vite que le silence après un éclat de rire. On ne sait pas qu’on aurait dû poser plus de questions, tendre l’oreille autrement, écouter vraiment. Je me rends compte aujourd’hui que je ne sais presque rien de toi. Qui tu étais, vraiment. La femme. La petite fille que tu as été. La mère que tu as essayé d’être. Ce que tu as aimé, ce que tu as traversé, ce que tu as perdu. Je me demande si tu avais peur, parfois. Comme moi. Si tu regardais le monde avec cette même curiosité mêlée de doute. J’aurais aimé t’en parler, te dire ce que je ressens face aux choses, te demander ce que toi, tu en penserais. Tu m’aurais sûrement répondu avec cette façon de parler simple, pleine de bon sens, et toujours tendre.
Je me souviens des mercredis chez toi. Il y avait l’odeur des frites et du bifteck, ce calme rassurant dans la maison, les dessins animés sur la 5, et ta voix. L’après-midi, je te papouillais les cheveux, et tu me disais que j’étais ta coiffeuse. C’est fou comme ces mots sont restés en moi. Après le collège, j’ai même passé un CAP que j’ai obtenu, comme si ce geste d’enfant avait laissé une trace. Même si je ne suis plus dans ce domaine aujourd’hui, cette image me suit encore. Et le soir, on jouait aux cartes, à la bataille. Tu gagnais toujours. Comme au jeu de dames. Tu n’aimais pas perdre, et ça me faisait rire, même quand je râlais. Et puis, je me souviens de la couverture. Ce soir-là, j’avais eu peur. Il faisait froid. Tu l’as posée sur mon lit sans un mot. Tu ne l’as pas dit, mais tu me l’as donnée ce jour-là. Et maintenant, je l’ai toujours. Ma mère l’a choisie au hasard, mais on sait bien que ce n’était pas vraiment un hasard, n’est-ce pas ? Tu avais dit, un jour, que tu me la donnerais. Et je crois que tu avais déjà compris, avant moi, à quel point elle comptait.
Parfois, je me demande si tu serais fière de moi. Pas pour ce que j’ai accompli, pas pour les cases cochées. Mais pour la personne que je deviens. Tu sais, j’ai appris à observer les gens, à lire dans leurs silences. Peut-être que c’est toi qui m’as transmis ça. Et si je pouvais te parler aujourd’hui, vraiment, je crois que je te poserais mille questions. Je les garde dans un coin de ma tête. Un jour, peut-être, les réponses viendront autrement. Je n’ai plus onze ans. Mais il y a une partie de moi qui ne t’a jamais vraiment quittée, là-bas, dans ta cuisine, un mercredi, avec tes câlins réconfortants, et ton toi qui me souriais tant.
Je t’écris parce que je n’ai jamais pu te le dire. Merci d’avoir été là, même un peu. Merci pour ce que tu m’as laissé, sans le savoir. Je t’embrasse fort. Comme une petite-fille qui n’a pas fini de grandir.

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