2.1 Fuir

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Lendemain du conseil des Alphas, Daniel

La lune est haute dans le ciel. Je quitte la ville en roulant prudemment. Je ne veux pas me faire repérer. Je pleure en avançant. Solène me manque déjà. J'ai tellement peur d'avoir commis une erreur en la laissant là-bas. Je m'en voudrais terriblement si jamais sa mère lui fait du mal. Je ne pouvais pas rester.

Sophie est bien décidée à me récupérer après ce sommet international. Elle n'a pas caché vouloir me dresser. Je me serais tué plutôt que de féconder la Vice Suprême. Dieu sait quels tortures cette garce me réserve. Solène comprendra ma fuite. Je croise les doigts pour que mon amour ne se trompe pas. Elle est celle qui connaît le mieux Sophie et ses vices. Espérons que l'amour maternel protégera Solène.

Les rues sont désertes. Je ne rencontre personne. C'est très surprenant de ne voir aucune force de police. Depuis le kidnapping de sa Zêta puis d'un de ses reproducteurs, la vice Suprême a intensifié les patrouilles. Je suppose qu'elle a réquisitionné toutes ses troupes pour son coup d'État.

Je suis perdu et ne sais pas quoi faire. J'avais prévu de gagner l'État d'Inès pour me mettre à l'abri. Maintenant qu'elle a été arrêtée par Sophie et ses acolytes, j'ignore où aller. Je réfléchis en conduisant. Je ne peux pas rester dans l'État 25. Sophie me retrouverait.

Au Sud, il me faudra deux jours de route pour sortir des terres de Sophie. J'arriverais alors à l'État 6 dirigé par Marie, une Alpha partisane de Cassandra et Sophie. À l'Ouest, des montagnes infranchissables en voiture me coupent la route. À l'Est, c'est l'Océan. Il ne me reste que le Nord, vers l'État 34, celui d'Inès.

C'est du suicide. Sauf si je parviens à trouver les rebelles qui se terrent dans la chaîne montagneuse et forestière entre les deux États. Les rebelles sont ma seule chance de m'en sortir. Pour parvenir là-bas, j'ai huit jours de route sans faire de pause. Mon seul espoir est que Sophie pensera sûrement que je me suis précipité au Sud ou terré dans un coin.

En supposant que Solène me dénonce à peine levée, ce que je n'espère pas, j'ai minimum six bonnes heures devant moi. Je sors de la ville en une heure. J'ai préparé mon coup. À l'extérieur, dans un petit village, j'ai dissimulé dans une maison abandonnée, une voiture que j'ai volée il y a deux semaines. J'ai changé les plaques pour mettre celle d'une des voitures de Sophie.

Je décharge donc tout le matériel que j'ai entassé dans la voiture de Solène pour remplir mon nouveau véhicule, légèrement plus grand. J'en profite pour passer du cirage à chaussures sur mes cheveux et mon visage, me rendant méconnaissable sur les caméras de surveillance qui borderont la voie rapide que je m'apprête à prendre.

Deux heures après ma fuite, me voici indétectable, fonçant au volant d'une petite voiture de ville des plus banale, au coffre bien rempli. La voiture de Solène étant bien cachée, il faudra un bout de temps pour la retrouver.

Quatre heures plus tard, j'ai déjà parcouru cinq cent kilomètres. Il faut que je dorme un peu. Le soleil pointe. Je sors de la voie rapide pour m'engager sur une petite route de campagne. Ici, il n'y aura pas de caméra. Je trouve rapidement une bâtisse abandonnée et m'y gare à l'abri des regards pour dormir quelques heures.

Après un peu de repos, je profite de la rivière voisine pour faire un brin de toilette. Le cirage à chaussures n'est pas des plus agréable. Je me fais donc une couleur avec un produit que j'ai acheté. Puis je revêt de grosses lunettes noires. Il faut que je change de moyen de locomotion. Je ne peux pas voler de véhicule sous peine d'informer de ma position les policières qui me chercheront.

Avant de partir, j'ai eu une meilleure idée. Un second véhicule acheté en liquide et mis au nom d'une voisine dort dans ma cachette depuis un bon bout de temps. Il est suffisamment grand pour tout mon barda et suffisamment petit pour être discret. C'est une jolie petite voiture de ville très courante. Après un nouveau déménagement d'affaires et un petit-déjeuner sommaire, je reprends la route.

Je regagne la voie rapide un peu anxieux. Je ne croise aucune voiture de police ni aucun barrage routier. Je roule trois bonnes heures sans pause. Je mange rapidement, sur une petite aire de repos, dos à la caméra de sécurité. Puis je repars. Je n'entends aucune alerte à la radio. Quand enfin, je vois passer une voiture de gendarmerie, je m'aperçois que les militaires ne semblent pas en émoi. Solène ne m'a pas dénoncé. J'ai encore quelques heures de tranquillité avant que Sophie ne lance les opérations de recherche.

Profitant de ce court répit, je fonce toute la journée. Au bord du soir, quittant de nouveau les grands axes, je me gare sur un petit chemin de terre en plein milieu d'une forêt. J'ai mis plus de mille kilomètres entre moi et le domicile de Sophie. Il m'en reste encore deux mille environ, cependant, à partir de maintenant, il n'y a plus de grands axes et je serais sur des petites routes de campagne ou de montagnes.

Je sors mon matériel de camping et je monte ma petite tente pour installer mon petit confort pour cette nuit. Je fais un feu pour me tenir chaud et faire cuire mon repas. Je n'entends que peu de bruits, quelques animaux de la forêt qui se promènent au loin. Tandis que mon repas cuit, je m'éloigne pour soulager ma vessie et observe les étoiles.

La nuit est sublime. Ce décor est tellement romantique. Le ciel est d'un bleu marine sombre et intense. Les quelques étoiles qui brillent ressortent si bien qu'on pourrait les utiliser comme point à relier pour des dessins d'enfants. La lune, en période croissante apparaît en moitié, formant un P gigantesque.

Les alentours sont loin d'être silencieux. Au début de mon arrivée, je n'entendais rien. Maintenant que je suis plus calme et que moi-même, je fais moins de bruit, les animaux pointent le bout de leurs nez. Mon oreille aussi s'est habituée et détecte les sons plus faibles.

J'entends la petite souris qui grignote des racines, le hibou qui vole et chasse et aussi le blaireau qui ravale le sol à la recherche de gland. Dans la nuit, la forêt fait un sacré boucan. Le vent léger qui souffle m'apporte des odeurs d'arbres et de terre. Les arbres dessinent des ombres inquiétantes sous la lueur de la lune et des phares des rares voitures qui passent au loin.

Solène n'a jamais été camping. Elle aime son petit confort. Nous aurions été bien ici tous les deux, blottis ensemble dans un même sac de couchage. Je ne peux m'empêcher de penser à elle. Je voudrais tant savoir comment elle va et ce qu'elle fait à cet instant précis.

Sophie a été blessée lors du coup d'État. Peut-être cela jouera en ma faveur et celle de Solène. La vice Suprême est sûrement à l'hôpital et peut être ignore ma fuite. Elle ne doit pas être en forme pour corriger Solène. Avec un peu de chance, le temps qu'elle se rétablisse, sa colère envers Solène sera retombée. Je m'agenouille et prie un Dieu quelconque, celui qui voudra bien m'écouter de protéger Solène.

C'est en pleurant que je mange puis que je m'endors. Je passe une très mauvaise nuit. Ma première nuit de liberté est peuplée de cauchemars. J'ai envie de faire demi-tour. Je me réveille encore fatigué et nerveux. Il faut que je me reprenne et vite. Si j'ai une sale tête, je vais me faire repérer très vite.

Je prends un petit-déjeuner sommaire, agrémenté de quelques fruits sauvages que j'ai trouvé. Je regarde ma carte, essayant de calculer ma progression quotidienne et de me donner des objectifs à atteindre. Je me trouve des zones propices pour m'arrêter pour la nuit en fonction du nombre de kilomètres que je pense faire.

Aujourd'hui, je veux quitter la forêt via des petites routes et des chemins de terre. Il faut que je la traverse le plus droit possible, en allant vers le sud au lieu de la contourner si je ne veux pas me faire prendre. La forêt est gigantesque. Si je parviens à mon objectif ce soir, je serai heureux.

Je ne m'attarde pas plus et monte dans mon véhicule. Je roule plusieurs heures, ne m'accordant que de courtes pauses pour pisser, faire bouger mes jambes et manger. Douze heures plus tard, je n'ai pas atteint mon objectif, toutefois, j'en suis très proche. Je suis fier de moi et harassé. J'expédie mon repas et m'endors comme une souche, bercé par les hululements d'une chouette toute proche.

Durant deux semaines, je progresse lentement, mais sûrement. J'ai traversé plusieurs villages sans que les troupes policières ne me paraissent en émoi. Sophie doit probablement chercher dans une autre direction. Par moments, quelques femmes essayent de savoir comment un reproducteur traîne seul. Mes fausses entraves et mon allure de moins en moins soignée rendent crédible mon mensonge de nouveau dans la région, parti faire les courses pour sa propriétaire. Mes fournitures, cachées dans des cartons de déménagement, renforcent mon alibi.

Dans le village de Montsou, à quelques minutes de la grosse ville de Marchiennes, je refais quelques courses dans la supérette. Je veux me ravitailler en produits frais pour toucher au minimum à mes conserves. Je me suis rasé et lavé dans un bras de la Scarpe. L'eau était glacée mais au moins, je sens le propre.

Alors que je me choisis des légumes, une femme s'approche de moi de manière assez brutale. Elle me bouscule pour s'emparer du sac que je remplissais. Je me fais tout petit, pour ne pas attirer l'attention. Plutôt petite et avec de nombreux kilos en trop, la dame doit peser dans les cent vingt kilos pour un mètre cinquante tout au plus. Tout son corps, y compris ses doigts sont boudinés et elle souffle fortement, ayant du mal à respirer. Ses cheveux blonds sont sales et collent à son crâne. Ils sont gras. L'odeur que la femme dégage est nauséabonde. Elle sent la transpiration et le parfum bon marché.

Elle est accompagné par un reproducteur maigre et sale lui aussi. Le pauvre n'a que la peau sur les os et présente de nombreuses traces de coups sur le visage. Ses vêtements sont usés et rapiécés maladroitement. Il porte neuf entraves et marche avec difficulté. J'ai pitié de lui. Il est en laisse, tiré par sa propriétaire acariâtre.

Je n'ai pas reculé assez vite. La femme crie au scandale et me hurle dessus. Elle veut savoir où est ma propriétaire et exige des excuses. Elle est en train de rameuter tout le magasin. J'ai beau bredouillé mes explications habituelles et demander pardon, la folle n'écoute pas un mot, trop fier de son petit effet.

Quand la sécurité arrive, je commence à paniquer. Je cherche des yeux un moyen de fuir, quitte à courir très vite. Un véritable attroupement commence à se former et mes espoirs de sortie s'amenuise au fil des secondes. L'agent de sécurité me questionne tandis que sa collègue tente de calmer l'hystérique. Je murmure mon speech, terrorisé. Soudain, j'entends une voix masculine derrière moi.

— Il ne vous ment pas. C'est le reproducteur de Delta Solène, la fille de la Vice Suprême Sophie. Nos propriétaires nous ont envoyé faire des courses pendant qu'elles discutaient de choses importantes. Vous n'avez qu'à appeler Delta Céline pour confirmation.

Je me retourne et aperçoit l'homme qui avait maté les fesses de Solène lors du gala des colombines, celui que j'avais menacé par jalousie du temps du bonheur. Il vient de citer sa propriétaire d'un air confiant. C'est une des proches de Sophie. Si l'agent de sécurité l'appelle, je suis mort.

Bizarrement, les femmes se dispersent rapidement et l'Epsilon qui faisait scandale se tait et se ratatine. L'agent de sécurité nous offre nos achats à l'homme et à moi-même. Sans bien comprendre, je le suis en silence. Une fois dehors, l'homme aborde un immense sourire.

— T'inquiètes gamin. Elles n'appelleront pas. Céline est connue comme ayant sale caractère et a puni sévèrement pour des motifs innocents plusieurs femmes. Elles ont toutes peur d'elle et n'oseront pas la déranger. Qu'est ce que tu fous ici? Tu n'est plus avec ta belle blonde?

Je hoches la tête pour indiquer que je comprends puis que je ne suis plus avec Solène. Je n'ose pas parler, de peur qu'il me dénonce. Je le vois rigoler en silence et m'observer amusé.

— T'es en fugue? J'ai vu à la télé que Sophie est blessé. Bien fait pour cette garce. T'as eu une occaz et t'as fui ton enfer? Vu que tu passes par ici, je supposes que tu veux rejoindre les rebelles. Tu n'es plus très loin. Encore trois ou quatre jours vers le Nord Est. De ce que j'ai entendu chez Céline, ils seraient dans les montagnes des Ardennes.

L'homme me raccompagne au parking et me souhaite bonne chance. Je lui promet de parler de lui aux rebelles et que si un jour, je peux venir le chercher, je le ferais.

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