Chapitre 2 : Une prise de conscience

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Le dimanche est arrivé bien vite.

Ce matin-là, Arthur nous a réveillées, Julie et moi, avec des croissants tout juste sortis du four, encore chauds, et des verres de jus d'orange fraîchement pressé.

Quand Julie est allée se préparer, je suis restée dehors, sur la terrasse, à discuter avec lui sous les rayons du soleil matinal. J’ai pris le temps de savourer l’instant, comme si je voulais en imprégner chaque détail.

Je n'ai pas pu m'empêcher de lui poser quelques questions sur son métier. Il m'a expliqué qu’il était interprète. Intriguée, je lui ai rapporté ce que Julie m’avait dit. Il m’a alors confirmé qu’il avait touché à plusieurs domaines. Mais, au fond, sa spécialité restait la traduction du russe.

Je n’ai pas tardé à en savoir plus sur son parcours. Lorsqu’il m’a parlé de ses études, il a mentionné l’INALCO, une école qu’il semblait autant redouter que vénérer. Il m’a décrit cette institution comme un lieu exigeant, sélectif, où la compétitivité faisait rage. « C’est une bonne école, mais il faut s’accrocher », m’a-t-il confié, un sourire en coin. J’écoutais, fascinée par sa détermination, son ambition. Puis, il a évoqué ses origines suédoises, par ses grands-parents paternels, qui vivent à Stockholm. Il m’a raconté qu’il y allait tous les ans, un détail qui m’a interpellée, car je rêvais d’aller en Suède depuis des années.

Un sourire malicieux a effleuré ses lèvres lorsqu’il a ajouté, mi-amusé, mi-sérieux, qu’il m’y emmènerait un jour. Mon cœur a manqué un battement, mais je n’ai pas laissé transparaître ma surprise. C’était un geste charmant, mais je ne me faisais pas d’illusions. Les chances que cela se réalise étaient minimes. Pourtant, l’idée d’une promesse, même implicite, m’enveloppait d’une douce chaleur.

Plus tard, il a proposé de me faire visiter Lille avant de me ramener à Paris. Il rentrait aussi. J’ai accepté sans hésiter.

Avant de quitter Julie en début d’après-midi, elle m’a lancé un regard inquiet et m’a confié qu’elle lui avait formellement interdit de « tenter quelque chose avec moi ». Elle m’a confirmé ce que je soupçonnais déjà : c’était un séducteur invétéré.

Elle m’a raconté qu’à sa connaissance, il n’avait eu qu’une seule relation sérieuse, mais qu’il multipliait les aventures sans lendemain. Avec une certaine franchise, elle m’a conseillé de ne pas me laisser prendre au jeu, ajoutant qu’elle le connaissait assez pour deviner qu’il tenterait probablement quelque chose, surtout avec une « jolie fille » comme moi.

J’étais mal à l’aise face à cette conversation, un mélange d’embarras et de contrariété m’a incitée à esquiver ses questions et à écourter nos adieux. Mais ce sentiment s’est vite dissipé dès que je me suis installée sur le siège passager de la Mercedes d’Arthur. Il conduisait vite. Très vite. Les kilomètres défilaient à 150, parfois plus, mais au lieu de me sentir inquiète, j’étais enivrée par cette allure effrénée, cette sensation de liberté qu’il semblait incarner.

Pendant le trajet, il m’a fait découvrir plusieurs groupes de hard rock qu’il affectionnait. Je me suis laissée porter par la musique, avec un sourire incrédule sur les lèvres. Entre deux morceaux, nous avons discuté. Je lui ai parlé de Mathéo, mon petit frère, tandis qu’il évoquait sa sœur aînée, diplômée d’une école de commerce, et son grand frère, comptable.

Petit à petit, il s’est dévoilé : il jouait de la guitare, pratiquait l’escrime, adorait les échecs et passait des heures à lire. Il parlait avec passion des auteurs russes, comme Tolstoï, Dostoïevski, Nabokov... Son érudition me fascinait autant qu’elle m’intimidait.

Et là, comme une ombre dans ce moment de légèreté, je me suis sentie décalée. Petite. J’ai parlé timidement de Mélissa Da Costa et Virginie Grimaldi, et immédiatement, un sentiment de honte m’a envahie. Je n’avais pas encore les mots de Bourdieu pour l’expliquer, mais cette impression naissante allait bien au-delà de l’argent ou de la culture générale. C’était un fossé, plus profond, plus insidieux, entre nos mondes respectifs, entre ce qu’il était et ce que je croyais être.

Mais peu m'importait alors. Lille fut merveilleuse. Arthur me fit découvrir ses coins préférés de la ville, des endroits qu'il disait « authentiques » et loin des sentiers battus. Nous avons flâné dans le Vieux-Lille, et déambulé sous les façades colorées et les balcons ornés de ferronneries.

Puis nous avons fait une halte dans un café discret, l’un de ces lieux où l’on sent le bois et le café fraîchement moulu. Il a commandé un expresso pour lui, un chocolat chaud pour moi. La conversation s’est poursuivie, fluide et légère. Il m’a raconté ses nombreux voyages, ses escapades dans des villes et des pays que je ne connaissais que de nom. Moi, en retour, je lui parlais de mes projets d’avenir avec une timidité certaine, consciente que mes aspirations paraissaient modestes à côté des siennes.

Mais il semblait tout écouter avec intérêt, et posait des questions sur mes études, mes rêves, comme si rien d’autre n’avait d’importance à cet instant. Lorsqu’il riait, c’était franc, communicatif, et je me surprenais à souhaiter que ce moment dure encore et encore.

En fin d’après-midi, nous avons grimpé le beffroi de la ville. La vue était spectaculaire, un panorama qui semblait s’étirer à l’infini sous le ciel changeant.

Quand il m’a ramenée à Paris ce soir-là, la ville semblait différente. Les rues que je connaissais m’apparaissaient sous un autre jour, baignées dans une lumière particulière. C’était peut-être simplement l’effet qu’il avait sur moi, un mélange d’émerveillement et de confusion. Mais une chose était sûre : rien ne serait plus tout à fait comme avant.

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