Jour 6 : Dénouement

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Huit heures du matin, les yeux rougis par le manque de sommeil, Plantin décrocha :

« Aujourd’hui est venue l’heure de la révélation. L’ultime meurtre, après, j’aurai tout le temps pour me reposer. L’adresse est située au 6, rue du bon Repos, à Passy. A tout à l’heure, Plantin, je vous attends ! »

Le visage de Plantin blêmit. L’adresse qu’avait donnée le tueur était celle de sa fille et de son gendre.

Catastrophé, il fonça toutes sirènes hurlantes, manquant d’avoir un accident.

La porte de l’appartement était ouverte. Au milieu du salon, sa fille gisait sur la table, livide.

Il s’approcha du corps, constata qu’elle ne respirait plus et se mit à pleurer. Sur la poitrine de sa fille se trouvait un petit livre, recouvert d’une peau de chamois toute douce.

L’inspecteur enfila des gants et saisit le livre avec précaution. Il était sobrement intitulé : La Genèse d’un succès. Au dessous, un trou rouge béait dans la poitrine de sa fille.

Il l'ouvrit et en parcourut les premières lignes :

« Je suis le diable, et je suis venu ici faire le travail du diable. »

Charles Manson

L'inspecteur Plantin frappa à la porte de la maison de Mademoiselle Morisset. Trois coups brefs, comme il en avait l’habitude.

Perplexe, il continua sa lecture : le livre évoquait chacun des cinq meurtres précédents dans le détail, jusqu’à la découverte et la lecture du livre qu’il tenait dans les mains. Il réalisa la mise en abyme de cet inspecteur qui lit les aventures de cet inspecteur qui lit les aventures de cet inspecteur et eut le vertige de constater à quel point tout était prévu depuis le début, ses réactions, ses pensées, l'annulation de sa partie de pêche à la mouche avec son gendre, la chanson de Charles Trénet, et ce jusqu'au fait qu’il ne découvrirait la vérité qu’à la fin, en ouvrant le livre. L'auteur de l'ouvrage — sans mauvais jeu de mots — avait lu en lui comme dans un livre ouvert.

Tout était devant ses yeux depuis le début et il n’avait rien compris. Le petit livre à la peau recouverte de chamois était présent sur la première scène de crime relatant dans le détail tous les événements à venir. Si seulement il l'avait trouvé et lu, il aurait pu éviter tous ces drames ! Mais Plantin ne faisait pas partie de ces policiers qui ont l'oeil, le tueur le savait très bien.

L'inspecteur apprit également, mais trop tard, que le livre était présent dans la maison-piscine, chez la femme suspendue, dans le parc, et dans la maison des rats... mais jamais on n'y avait prêté attention.

Soudain, il entendit un bruit. Même cela était consigné dans le livre qu’il tenait dans la main.

Il leva la tête et interrompit sa lecture.

Un jeune homme sortit de l’ombre et lui sourit. Julien, son gendre. Un visage d'ange, une silhouette élancée. Tout le contraire de celle, gélatineuse et molle, de l'inspecteur qui s'était liquéfié sur place. Julien venait de cesser d'être le gendre idéal.

Car Julien était l'artiste-meurtrier.

Je suis l'auteur de la nouvelle que vous lisez.

Je suis celui qui a tout organisé dans les moindres détails.

Eh oui, j'ai poussé le vice jusqu'à m'inviter sur chaque scène de crime, me grimant parfois pour ne pas être reconnu. C’était moi, le passant avec mon chien laineux, Plantin m'avait reconnu mais n'avait pas fait le lien avec le crime. Je me tenais dans la foule des badauds lors du crime de la maison remplie d'eau. Caché parmi les journalistes le jour suivant, je m'étais même autorisé le luxe de poser une question dans le brouhaha général. Je m'étais déguisé en employé du parc, et Plantin, aveugle et dénué de toute jugeotte, m'avait laissé repartir sans se poser de question. Je m'étais improvisé concierge pour ouvrir la porte de l'avant dernière victime...

Et maintenant, j'étais là, triomphant, face à l'inspecteur Plantin abattu. Tout s’était — bien évidemment — passé comme prévu. J'avais réussi à assister à toutes les scènes pour vérifier que mon livre “prémonitoire” collait bien à la réalité, sans que le "fin limier" ne s'en rende compte. Je suis un véritable génie du crime qui avait tout anticipé à la perfection — en toute modestie, bien sûr.

Je récitai alors un texte que j'avais appris par cœur, par souci du détail, encore. L’apothéose de mon œuvre :

« Nous voilà réunis, beau-papa ! Pour le grandiose final de ce petit ouvrage que vous tenez dans vos grosses mains de flic. Voici venu le temps de la révélation ! La levée du voile ! Car je ne veux pas que le lecteur de ma nouvelle La Genèse d’un succès reste sur sa faim, il faut qu’il sache. Ne dit-on pas qu’un bon livre ne laisse jamais le lecteur sur sa faim, que toutes les réponses à ses questions doivent être données ? »

Fier de moi, je m’arrêtai pour observer le visage décomposé du policier, avant de continuer

« Savez-vous comment Boris Vian est devenu célèbre ? Si on n’avait pas retrouvé son roman J'irai cracher sur vos tombes sur les lieux d’un meurtre, personne n’aurait jamais eu connaissance de ce livre sulfureux et son auteur n’aurait jamais atteint la postérité ! Boris Vian n’avait pas prévu ce succès soudain, il l’a d’ailleurs très mal vécu. En revanche, moi, j’ai tout calculé, du début à la fin, dans le moindre détail avec le but précis d’atteindre la consécration. J’ai repris l’idée de lier mon ouvrage à des crimes réels en posant le livre sur les scènes de crime comme un ultime pied de nez, un témoin muet de l’horreur. Les lecteurs auront le sentiment de tenir dans leurs mains un objet interdit, qui leur brûlera les doigts. Et l’interdit, n’est-ce pas ce qui excite le plus les gens ? Mais ce n’était pas suffisant, je voulais aller plus loin. Il fallait frapper un grand coup, et pour cela, j’ai imaginé mes crimes comme des œuvres d’art qui marqueront les esprits. Du visuel, du marketing, des images choc, de la mise en scène, c’est ce qui marche aujourd’hui ! Vous avez pu admirer le soin esthétique que j’ai mis dans chacun de mes tableaux... »

Je marquai une petite pause pour profiter de mon petit effet.

« Vous ne me demandez pas quel est le message qui se cache derrière chacun de mes crimes ? Eh bien là aussi, tout est calculé. La thématique religieuse, c’est un must, ça fait vendre, voyez le Da Vinci Code par exemple. Moi, j’ai eu cette idée géniale de raconter la Genèse sous la forme de meurtres, c’est original, non ? Après tout, ne suis-je pas un Créateur ? Dieu, Diable, Ecrivain-génie du Mal, tous ces surnoms m'iront très bien lorsque la postérité viendra choisir le meilleur d'entre eux, ils sont à la hauteur de ce que je suis... Comme vous le savez, la Genèse a eu lieu en six jours, et chacun de mes crimes s'est inspiré de cette succession de créations : la séparation du jour et de la nuit, le premier jour de la création du monde . « Il y eut un soir, il y eut un matin. », vous connaissez ? Le deuxième jour, la création des océans. Le troisième, la lune, le soleil et le ciel étoilé. Le quatrième, les plantes. Le cinquième, les animaux. Le sixième, Adam et Eve. Moi et votre fille, paix à son âme, mais j’avais besoin d’elle pour mon tableau final, et elle devait être la fille d’un flic médiocre et prévisible, vous comprenez ? Le septième jour, demain, je me reposerai, tout comme Dieu. Ne vous inquiétez pas, je vais à présent vous laisser m’arrêter, vous partirez à la retraite sur un joli succès. Les médias ont tous reçu mon ouvrage et doivent le lire en ce moment-même. Je vais enfin devenir célèbre, entrer dans la postérité, moi dont les maisons d’édition ont rejeté tous les manuscrits car, soi-disant “les recueils de nouvelles ne se vendent pas” ! Ils seront verts de rage en voyant une simple nouvelle s’arracher à des millions d’exemplaires ! La suite de cette histoire, mon cher Plantin, vous pourrez la suivre à la cour de justice où je me ferai une joie d’évoquer l’œuvre de ma vie. Les journaux et les réseaux sociaux feront le reste pour en assurer la promotion. Le deuxième volet de ma nouvelle ne m’appartient plus à présent. C’est vous, Plantin, c'est vous, lecteurs et lectrices qui l’écrirez… en la lisant et en parlant d’elle autour de vous. »

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