Prologue : Aquarelle.

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“Ploc.”

Le journaliste ne broncha pas à la goutte d’eau qui s’écrasa contre sa capuche transparente. Sous la couche plastique, son regard cafardeux et obsédé n’avait même pas décroché un battement de cils. Il attendait. La respiration coupée, il patientait au pied d’un immeuble, dont on ne voyait plus le gratte-ciel, obstrué par un rideau de pluie de plus en plus épais. L’eau s’écoulait en chute dans les rigoles à la manière dont un alcoolique se remplirait le gosier. Ce même personnage qui, titubant entre les passants pressés, pataugeait dans les mares de la ville. Genève était noire, uniquement éclairée par les vitrines et les phares des voitures qui voyaient rouge aux feux. Les roues patineuses crachaient de grosses vagues sur les côtés des trottoirs, menaçant chaussures cirées et talons d’être trempées. Parmi les belles pompes, des zanottis ouvertes en vinyle se mêlèrent aux pavés, sorties tout droit du tourniquet de l’hôtel, dès lors guetté. Succinctement, des Italiennes pour homme les accompagnèrent.

Les orbites de l’insecte caché dans l’allée s’arrondirent, des rivaux dans son dos. Il leur jeta un regard oblique, glissant sous la pluie, sur les arrières des deux paires qui vagabondaient dans la ville vivante.

Sous la grande ombrelle noire, l’homme suivi serra la taille de sa compagne et abaissa le parapluie sur leurs nuques, un de ses yeux verts se plissant en guise d’avertissement avant de disparaître derrière la toile. Il pressa le pas et la main de la femme à ses côtés entièrement dans la sienne.

  • Ils sont là !

Quand ils sursautèrent, emboîtant une marche plus rapide, le poursuiveur émit un son entre ses dents, sortant l’arme qu’il avait jusqu’ici dissimulée sous son manteau de pluie. Il courut se placer à l’opposé de ses collègues qui mitraillaient le couple. Les flashs volèrent autour, se répercutant sur les lunettes colossales de la jeune femme. Cette dernière repoussa farouchement sa longue crinière noire défaite du dos de sa main et garda le menton bas. Le parapluie comme bouclier et son large dos pour cacher son amante, le roux massif fit obstacle aux journalistes. D’une main sur son épaule, il poussa la Richess dans la voiture qui déboula et freina à peine pour les réceptionner, les pneus crissant contre le tarmac. L’îlot de lumières blanches s’agrandit jusqu’à ce qu’ils disparaissent derrière les vitres teintées. Les objectifs perlés s’abaissèrent, déçus ou revigorés. Fuyant ses collègues affamés, le journaliste disparut de l’autre côté de la ville. Entre deux doigts serrés, il tenait une petite carte.

À défaut, ils seraient dans leurs mémoires.

***

L’épaisse atmosphère qui régnait à Paris avait forcé la plupart des têtes de chiens à fermer leurs fenêtres précédemment battantes sur un ciel découvert. Cherchant refuge, une grosse bourrasque s’engouffra dans un des appartements encore ouvert à l’hospitalité. Elle voyagea du balcon jusqu’à une large feuille qu’elle souleva de son chevalet. Une fine main plongea dessus pour éviter qu’elle ne s’envole en même temps que l’autre calait ses longs cheveux blonds sur sa nuque.

  • Non ! Reviens-ici ! s’exclama la jeune femme en se levant d’une traite de son tabouret, récupérant la feuille qui était carrément passée par le dessus le support.

Les nuages gris avaient envahi l’étroit salon, la lumière bleue de l’écran accroché au mur de briques en face s’accentuant. L'éclat frappa ses yeux noisette. Les doigts accrochés au bois, la blonde regarda la télé d’un air grave.

Elle criait : “... Veuf depuis moins d’un an, Elliot Fast est apparu aujourd’hui en bonne compagnie, sinon audacieuse aux côtés de Katerina Hodaïbi. Elle-même à peine divorcée depuis quelques mois, les deux Richess sortaient d’un hôtel quand…”

“Ploc.”

Une goutte se mêla à la peinture encore humide sur le papier. La deuxième fut chassée expresso quand une tête émergea depuis le fauteuil :

  • Maman ? lança le jeune ado aussi endormi que rêveur, d’un air songeur. Tu veux que je ferme la télé ?
  • Oui… Ça... me déconcentre, le remercia-t-elle d’un large sourire forcé.

Tout en baillant et en grattant sa tignasse aussi claire que des amandes, il s’étendit de tout son long, avant de s’affaler sur le dossier du canapé.

  • Dis... Tu peins quoi ? demanda-t-il le menton planté dans le coussin, ses yeux, aussi bruns que ceux de sa mère, fixés avec curiosité sur le chevalet.

En observant son dessin ravagé par une auréole entre deux nuages blancs, elle ramassa son pinceau entre ses doigts salis de peinture et s’apprêtait à le déposer quand elle bascula un regard nostalgique par la fenêtre :

  • De l’aquarelle… Je n’avais jamais essayé.

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