Chapitre 7 : Le déni.

8 minutes de lecture

Depuis son retour de chez les Ibiss, Kimi avait peu parlé. Elle n’avait jamais passé d’aussi mauvaises vacances, recluse sur elle-même. Une chose avait cependant changé depuis le début de l’été. Elle était maintenant en possession d’une boîte pleine de souvenirs liés à ses parents.

Dossan et Leroy n’avaient pas osé lui demander si elle l’avait déjà ouverte, mais au fil des jours, ils arrivèrent à la même conclusion : elle ne devait pas l’avoir fait. Kimi redoutait ce moment autant qu’elle mourait envie d’en découvrir l’intérieur. Qu’est-ce que ça lui ferait ? Et si elle ne ressentait rien ? Plus que d’avoir mal, ce sentiment, lié à l’absence de ses parents depuis ses sept ans, la terrifiait. Quand elle aurait les photos en mains, comment réagirait-elle ? Elle n’osait pas ouvrir la boîte, sa chambre en devenant une à son tour. Elle s’y enfermait et ne parlait à personne, pas même à ses amis qui en arrière-plan vivaient certainement de belles vacances. Laure avait décidé de lui laisser un peu de temps. Quand elle serait prête, Kimi lui reparlerait.

La nuit tombée, bien que dans son cocon, tout devenait encore plus difficile. Chuck Ibiss accepterait-il sa proposition complétement folle ? Laure ne lui en voudrait-elle pas trop quand elle serait mise au courant ? Ses anciens amis apprécieraient-ils son geste ? Et les Richess ne lui en voudraient-ils pas trop d’avoir pris des distances ? Elle stressait continuellement. Pour tout. Qu’est-ce que les Wolf allaient faire de plus ? Quand agiraient-ils ? Ou peut-être, jamais ? Mais surtout, quand arriverait-elle à ouvrir cette foutue boîte ?

Une fois de plus, alors que Leroy déprimait dans la chambre à côté et que Dossan écrivait sur son ordinateur, Kimi se lança sur son lit où elle s’assit en tailleur : “Cette fois, c’est bon”, s’encouragea-t-elle, la caisse entre les mains. “Ce n’est pas grave, s’il y a des photos de… Louis… mais, et si... je n’aimais plus Maman ?”

Torturée, elle secoua la tête, puis elle souleva le couvercle d’un coup. Celui-ci lui échappa des mains quand elle entendit toquer à sa porte. Elle n’eut le temps de la déposer ailleurs que Dossan s’aventura doucement dans la chambre.

  • Oh, j’ai cru que tu dormais, mais je n’étais pas… Tu regardes les photos ? s’approcha-t-il, les mains sur les côtes.
  • Non, je… Pas maintenant, enfin si… Mais…

Sans raison, elle était devenue tout rouge, affreusement gênée. La tête enfouie sous la capuche de son gros sweat rose, elle essayait de trouver une excuse. Dossan vit que ses mains tremblaient. Il s’assit sur son lit à son tour et croisa les jambes, la boîte entre eux.

  • Ça ne te dérange pas, si je… commença-t-il en se préparant à prendre un paquet de photos emballées.
  • Ah, je… ne les ai pas encore… bredouilla-t-elle, nerveuse, mais finalement impatiente qu’il continue son geste.
  • Hum, fit-il. Je peux ouvrir ? chercha-t-il son approbation.
  • Ou… Oui… hocha-t-elle plusieurs fois la tête, ses yeux s’agrandissant de curiosité.

Précautionneusement, il déballa le paquet et s’arrêta sur la toute première photo. Il laissa échappa un rire. Maintenant à genoux sur le lit, Kimi tendait le cou pour mieux voir. Dossan se rapprocha pour lui montrer :

  • Ça, c’est ta mère le jour de la photo de classe collective et individuelle. Chuck a dû demander les ratées, regarde-là…

Un doigt planté sur son nez remonté comme celui d’un cochon, Alicia grimaçait, louchant vers le plafond.

  • Tiens… lui tendit-il la première. Ahahah, non mais sérieusement…

Sur celle d’après elle tirait la langue au photographe, puis sur encore une autre, elle lui faisait un clin d’œil. Un grand sourire aux lèvres, Dossan se remplissait de nostalgie. Plongé dans ses souvenirs, il ne fit pas tout de suite attention au silence de Kimi. Il la regarda ensuite. Ses yeux brillaient, émerveillés. Un soulagement l’avait gagnée. Elles se ressemblaient et elle avait l’air tellement marrante.

  • Je t’avais bien dit qu’elle était un peu folle, plaisanta-t-il. Alicia aimait faire rire la galerie, oh… Et le plus souvent avec Elliot, d’ailleurs.
  • Waw… s’exclama-t-elle en découvrant un cliché ridicule des deux amis.
  • Elle est d’abord devenue amie avec nous… Les garçons, je veux dire. C’est seulement après qu’on a eu Katerina, puis Eglantine… Marry et… Blear, dit-il plus bas. La preuve qu’elles ne s’entendaient pas, fit-il en lui tendant une photo où les deux se lançaient des éclairs durant une compétition sportive.
  • Elle est tellement belle, déclara Kimi, admirative.
  • Eh bien, tu tiens de ta maman, lui répondit-il en caressant le haut de sa tête.

Kimi pinça les lèvres en remontant ses yeux dans ceux de Dossan.

  • Je parlais de Blear… Je me suis fait la même réflexion en la voyant dans le bureau la dernière fois.
  • C’est… vrai, articula-t-il difficilement, pris au dépourvu.

Mal à l’aise, il préféra plonger sur les autres souvenirs, mais en tombant sur un cliché de Louis et Alicia, il hésita une seconde à lui montrer. Elle n’était peut-être pas prête. Cependant, Kimi chercha à voir.

  • C’est lui… eut-elle un recul, la voix tremblante.

Chez Chuck, elle était arrivée à faire abstraction de ses sentiments en se vidant de toute pensée, mais en présence de Dossan, tout était différent. Elle se saisit de la photo. Celle d’en dessous la surpris encore plus : Alicia, Louis et Dossan en train de rire à pleines dents. Ce dernier fut embarrassé. Il avait l’impression de la trahir.

  • Tu t’entendais bien avec lui ? demanda-t-elle un peu durement, fixant le garçon brun sans savoir quoi en penser.

Il avait l’air si inoffensif et son regard d’amour envers sa mère lui brisait le cœur. Il avait fini par la tuer.

  • Oui… Nous nous entendions bien. Au point que… je lui ai suggéré de vivre quand il ne voulait pas prendre ses médicaments.

Kimi tilta. Elle savait. Les circonstances dans lesquelles il avait tué sa mère, elle les connaissait, mais malgré tout, elle ne voulait pas l’excuser. C’était impardonnable.

  • Tu as fait quoi ? l’assaillit-elle d’un regard méchant.
  • S’il ne prenait pas ses médicaments, il allait mourir. À l’époque, ça nous a tous fait beaucoup de peine et… Nous l’avons convaincu. Ensuite, ils se sont très bien entendus avec Alicia et…
  • Elle en est morte. Quelle vie de merde.
  • Kimi…

Une larme coula sur sa joue.

  • Ça va… dit-elle en l’effaçant. Je ne regrette pas d’être là… Donc, ça va.

Ces mots là dans la bouche de sa fille lui semblaient être les plus beaux du monde. Le fait qu’elle soit heureuse de vivre le soulageait.

  • Et je ne t’en veux pas, si c’est ça que tu veux savoir… Mais c’est dur… parce que… Ils avaient l’air de… - Elle renifla très fort -... de plutôt bien s’aimer, hein, dit-elle avec semblant de dégoût.
  • Ils s’aimaient très forts, oui.

C’est ce qui rendait ces souvenirs encore plus douloureux. Elle ne se souvenait que de son père dans un état de folie, en train de poignarder sa mère qui y avait laissé la vie. Comment pouvait-elle accepter qu’ils aient pu être aussi amoureux alors que leur histoire avait fini aussi mal, autant pour eux que pour elle-même. Dossan lui laissa le temps de pleurer et d’extérioriser tous les sentiments qui la traversaient. Après un temps, elle frotta ses joues palotes et parcourut avec lui le restant des photos.

Une heure, Leroy les avait rejoints, la mine abattue, au pied du lit. Il avait déposé son menton sur ses phalanges, les bras étalés sur le matelas et regardait les images passer. Tantôt Kimi avait de la peine, tantôt elle riait. Leroy aussi, en trouvant un peu de folie de sa mère en sa chère sœur. Il vivait aussi des sentiments compliqués, légèrement jaloux de sa précédente famille, mais il respectait Kimi. Puis, face à sa frimousse resplendissante, il devenait faible.

  • On arrive au bout, dit Dossan, en tournant les pages d’un album.
  • Ah, ici, il y a encore…
  • C’est qui ? se pencha Leroy avant d’ouvrir ses yeux de chats en grand. Eh ben, dit-il avec une pointe d’amertume tout en se laissant glisser à nouveau au sol.
  • Qu’est-ce que c’est ? demanda Dossan, déconcerté par leurs réactions.

Kimi ne bougeait plus d’un iota, à part ses yeux qui passaient frénétiquement de la photo au visage de Dossan. Ce dernier la récupéra à son tour pour la découvrir. Quelle mauvaise idée. Il passa une main sur sa nuque et leva les yeux au ciel, ému. C’était trop pour lui. Il aurait préféré ne pas revoir ce souvenir.

Front contre front, il se rappelait de ses cheveux le chatouillant et de l’éclat de son regard sous les lumières de la piste dansante. Ses doigts se remémoraient de la pression qu’ils effectuaient autour de sa taille pour la faire tourner. Sa robe bleue les avait tous éblouis, mais lui plus encore. Ils se souriaient, les lèvres très proches, n’ayant d’yeux que l’un pour l’autre. Chuck. Il le maudit d’avoir glissé cette photo parmi les autres. Leroy se leva pour sortir de la chambre. Dossan le comprenait : quel choc de le voir avec la mère de la fille qu’il aimait. Ils n’en avaient encore jamais parlé. Ce dernier s’arrêta au pas de la porte et planta ses ongles sur le chambranle. Puis, il se retourna vivement :

  • Tu sais que je… mais il n’arrivait pas à parler.
  • Oui, je sais, acquiesça-t-il plusieurs fois. Tu es amoureux de Lysen.
  • Et tu… dis rien ? déglutit-il, visiblement bouleversé.
  • C’est du passé, sourit-il malgré lui.
  • Ouais… C’est ça, ouais… Je te crois pas, quitta-t-il finalement la pièce.

Que pouvait-il bien lui dire ? Alors qu’ils évitaient le sujet depuis des mois. Dossan n’arrivait même pas à regarder à nouveau cette photo du bal qui l’avait uni à Blear. Il l’entendait encore, sa belle voix dans ses oreilles : “Dossan, c’est problématique, je crois bien que je t’aime.”

Il s’en mordit les lèvres, sans même s’en rendre compte. Kimi détaillait leurs jeunes visages. Eux aussi, ils avaient l’air fous amoureux. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer ? Les lois Richess ? Elle ne l’avait jamais vu avec une telle expression.

  • Vous êtes beau…
  • Quoi ? revint-il soudainement à lui. Hum, oui… Ceci, c’est…
  • Tiens.
  • Pourquoi est-ce que tu me la donnes ? s’étonna-t-il.
  • Comme ça… tu pourras la mettre sous ton oreiller… ? essaya-t-elle de plaisanter. Désolée, s’excusa-t-elle en le voyant déconcerté.
  • Mais non, sourit-il pour se sortir de cette situation.

Kimi l’observa même un peu plus attentivement. Il avait tout d’un homme amoureux.

  • La dernière fois… Tu ne m’as pas répondu…

Son sang se glaça.

  • Tu… l’aim…
  • Peu importe, se leva-t-il d’un coup. Il va falloir que je discute avec Leroy, qu’il comprenne que… ça ne change rien pour lui et Lysen que nous ayons pu être ensemble…
  • Mais…
  • Oui. C’est important que je lui dise, dit-il en partant à son tour.

Il avait beau éviter le sujet, ça ne donnait à Kimi que des raisons supplémentaires de croire qu’il l’aimait encore. Elle ne savait pas quoi en penser, cela dit. Pauvre Leroy. Ça devait être étrange pour lui. Kimi se demanda ce qu’il pouvait ressentir.

Sky. En y pensant son cœur s’accéléra. La dernière fois qu’elle l’avait vu, il… Bizarrement, elle ne lui en voulait pas.

Lysen lui vint ensuite à l’esprit :

  • J’avais presque oublié, lança-t-elle à voix basse.

Elle attrapa son téléphone. Qu’est-ce que les jeunes feraient sans technologie ? C’était tellement pratique.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Redlyone. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0