Chapitre 20 : "Un verre aux leaders ! "

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Irina Noëlle passait totalement inaperçue dans sa classe. Vu les profils présents, il n’y avait rien de surprenant. Entre le groupe des Richess, le duo qui tenait Saint-Clair dans le creux de la main, et quelques autres pointures, elle se comptait parmi les élèves sans intérêt.

Parmi ceux-ci, un garçon dénommé Kenji, se démarquait malgré tout par son allure particulière. Aux premiers abords, il ne l’avait en rien attiré. Sur base de ses premières observations, elle le pensa d’abord de sa trempe, constatant ses efforts pour devenir invisible. Son point de vue changea radicalement lorsqu’elle l’aperçut dans la rue principale de l’école, accompagné de Steve et Kyle.

Un thé glacé entre ses mains, tout juste emporté depuis le café du coin, Irina les suivit de son regard lunaire, les lèvres pincées sur sa paille. Est-ce qu’ils s’étaient fait un nouveau copain ? Si c’était le cas… La fille de petite taille pensa qu’elle pourrait très bien s’immiscer dans leur groupe. Jusqu’à présent, elle avait toutes les chances de son côté de se rapprocher du journaliste.

Depuis leur première rencontre, elle en rêvait. Quelque chose chez lui l’attirait irrésistiblement. D’un air curieux, elle se dirigea à son tour vers l’internat, distraite par les piaillements de plusieurs oiseaux. Dès lors, plongée dans un autre univers, elle arriva plus vite qu’elle ne l’aurait pensé dans le couloir qui menait à sa chambre.

  • Mince…

Elle avait complètement oublié de les suivre. Irina s’égarait souvent. En attrapant ses clés, elle fut surprise en découvrant les deux garçons en question, chacun un bras autour de Kenji, venir depuis son dos. Comment avait-elle fait pour arriver en première ?

Quand ils passèrent, elle fit de son mieux pour se faire toute petite, intimidée. Kyle l’impressionnait. Elle le percevait comme le boss de cette école, car il savait tout sur tout. Le savoir, c’était le pouvoir. Irina se raidit dans un premier temps quand durant une microseconde, son regard croisa le sien. Elle en fut toute retournée.

Aux anges, elle ne remarqua même pas les têtes qui se retournèrent sur le trio et rentra dans sa chambre. Dans le couloir, Kyle se détacha de Kenji. Ce dernier resta cloué sur place, apeuré, juste devant Steve qui restait toïque. Ils étaient entrés dans la nouvelle annexe de l’internat où résidaient tous les anciens étudiants du lycée Gordon. Dans un esprit libre, ceux-ci avaient laissé leurs portes ouvertes, certains déballant leurs valises dans l’allée.

L’arrivée du duo machiavélique, Kenji entre leurs mains, ne plut à aucun d’entre eux. Depuis l’autre bout du couloir, Silka observa la scène, adossée à un mur, les bras croisés. Les élèves essayèrent de ne pas y prêter attention.

  • Sachez ! s’écria Kyle en ouvrant ses bras légèrement pour attirer leur attention. Que quiconque tentera encore de s’en prendre à notre ami, ici présent, dit-il en lui caressant la tête, ne s’en sortira pas sans conséquences.

Les dévisagements qu’il reçut lui firent plaisir à l’instar de leur silence. La plupart d’entre eux souhaitaient repartir sur de bonnes bases. Saint-Clair représentait un nouveau point de départ. Malgré tout, il restait des élèves profondément touchés par la présence d’un “Wolf” dans les parages. Ces fous avaient mis le feu à leur lycée. Jamais ils ne leur pardonneraient.

Il n’empêcha qu’ils s’appliquèrent à ne pas avoir l’air intéressé. Kyle pensa qu’il était trop tard pour agir avec intelligence. Satisfait, il se tourna vers Kenji et déposa sa main sur son épaule :

  • Essaye de survivre, lui murmura-t-il vicieusement.

Encore une fois, Steve, par prise de recul, le trouva différent. Son ami avait perdu l’étincelle qui animait autrefois son regard. Habituellement, il n’en venait jamais aux gestes. Or, il poussa Kenji vers l’avant, un sourire narquois aux lèvres.

Lorsque Kyle l’invita à quitter les lieux, il constata que même sa voix avait changé :

  • On va gagner cette partie.

Laquelle ? Steve se posa la question. Il se demandait surtout si ça en valait la peine. L’envie de se blottir contre Sylvia devint plus forte. Pour mieux réfléchir, il avait besoin de calme et alors qu’ils partaient, Kenji se retrouva seul dans la fosse aux lions. Sans quitter le sol des yeux, conscient de la tension, il parcourut le chemin semé d'embûches jusqu’à sa chambre où ses jambes devinrent coton.

  • Tiens, tiens…

Son sang se glaça. Au seuil de la porte voisine, le profil de Tiger lui apparut à peine. Il fit un pas pour se glisser à ses côtés, appuyant son épaule sur le mur entre leur deux chambres.

  • Nous voilà voisins… Comme c’est ironique, dit-il d’une voix mélodieuse. Cher “croc”, l’appela-t-il par son ancien surnom en secouant sa tête blonde, puis en croisant les bras. Tu as décidément un don pour choisir le mauvais camp. Je pense que Kimi va être très déçue de ton comportement, déclara-t-il ensuite avant de pivoter dans sa tanière.

Le bruit de la porte qu’il referma avec douceur provoqua des tremblements aux mains de Kenji. Derrière lui, il verrouilla sa porte avant de se laisser tomber au sol à quatre pattes.

Ce n’était pas qu’il choisissait toujours le mauvais camp, mais qu’en aucun cas, il ne pouvait rejoindre le bon. En plus de manquer de courage et de force, il se devait de rester fidèle à son ancienne cheffe.

***

Un verre d’eau à la main, Loyd traversait le réfectoire de Saint-Clair d’une démarche légère. Tout de grâce, il tira la chaise qui lui était due à la table des Richess avant de s’y asseoir et d’y croiser les jambes. En prenant une gorgée, par-dessus son verre, il parcourut ses amis un par un : l’ambiance n’y était pas. Pour une rentrée, aucun d’entre eux ne montrait un tant soit peu d’excitation, sauf Selim, mais il s’agissait d’un cas à part. De ses beaux yeux bleus, il fit un autre constat : les habituels moins confiants étaient devenus redoutables et les trouble-fêtes ne se démarquaient plus. Kimi et Sky ne semblaient aucunement à leur aise devant la posture de Nice qui se faisait droite et ouverte à un combat. Alex, toujours aussi attentif à ses couverts dès le début de l’année, discutait aisément avec Selim. Faye se tairait dans un silence et les écoutait à côté de Laure, dont il devinait la rage intérieure, celle-ci dissimulée derrière sa sympathie légendaire. Les deux filles discutaient de temps à autre.

Loyd, lui-même, savait que sa place avait changé depuis tout ce temps à Saint-Clair. En bout de table, il comprenait parfaitement ce qui se jouait : le groupe avait évolué. Les timides prenaient de plus en plus d’espace et les leaders se voyaient acculés.

Comment gérer cette crise ? Le temps mis en suspens, Loyd réfléchissait à la vitesse lumière. En position de force, il ne voulait pas en profiter. Du moins, pas comme il avait pu le faire l’année précédente. L’équilibre. C’était ce qu’il souhaitait retrouver. De manière inévitable, il se voyait prendre les commandes. Surtout quand l’atmosphère autour d’eux perdait de son sens. Loyd sentait les regards autour et devinait les pensées des nouveaux arrivants : “Alors, c’est ça, les Richess ?”. Quand bien même il ne se sentait pas menacé par l’arrivée massive des étudiants de Gordon, il n’était pas question de donner une mauvaise image d’eux-mêmes et que leur statut soit remis en question. Il ne fallait pas que le groupe perde pied et que leur amitié se dégrade à cause des récents événements.

Dans cette idée, Loyd prit une décision :

  • Ça vous dit de jouer à un jeu ? interpella-t-il le groupe en leur lançant un sourire adorable et en s’appuyant au bord de la table.
  • Un jeu ?? répondit immédiatement Faye, toujours partante.
  • Totalement ! balança Selim avec joie.

Il prit le hochement d’Alex pour un oui et guetta la réactions des autres.

  • Pourquoi pas, fit Kimi en tirant sur leur bout de ses manches.

Sky ne semblait pas contre non plus. Seules, Laure et Nice y semblaient fermées. Les deux filles avaient un mauvais préssentiment. Il avait l’air trop content. Les explications qui suivirent ne les enchantèrent guère :

  • Voici mon verre, le présenta-t-il en le surélevant. Il représente la paix. Ca, c’est…
  • De la purée, lâcha Laure, écoeurée quand elle coula dans le récipient.
  • Tout juste, lui fit-il un clin d'œil. Elle représente la guerre. À tour de rôle, nous allons nous passer ce verre, mais évidemment, pas dans n’importe quel sens, expliqua-t-il d’une voix guillerette. Le but est de le donner à la personne à qui nous avons le moins envie de parler, là, maintenant, tout de suite, autour de cette table. Qu’elle qu’en soit la raison.

Le roi pouffa aux paroles de son valet. Celui-ci l’invita à s’expliquer d’un mouvement de tête tandis que les filles s’écrasaient contre leurs dossiers.

  • Tu es complètement fou… Je t’adore, souffla-t-il.
  • Tant d’amour, répondit-il par un baiser volant. Il y a bien évidemment un enjeu ! les anima-t-il. Un problème résolu égale un aliment en plus dans ce verre. Celui qui n’est pas honnête ou refuse de jouer, boit le contenu. Je pense que les règles du jeu sont assez claires ?
  • Quel psychopathe, lâcha Alex en croisant ses bras, lui aussi, l'air content.
  • Et tu joues, j’espère ? lui demanda Selim qui ne montrait aucunement son appréhension.

Ce dernier avait combattu contre la colère de Nice toute la journée. De peur qu’elle n’explose, il prit sa main sous la table et se rapprocha dans l’espoir qu’elle prenne le jeu à la légère.

  • Bien sûr ! lança Loyd, heureux.
  • Tu n’as qu’à commencer…

Ce n’était malheureusement pas le cas. Selim déglutit en sentant la tension chez sa petite-amie. Loyd, quant à lui, vit qu’elle était mal à l’aise.

  • Disons que la purée compte pour mon aliment… Alors, réfléchit-il, les yeux au ciel.

Qui allait-il choisir ? Laure, en face de lui, s’impatientait de le savoir.

  • Sky, tu peux prendre ça.
  • Moi ? fut-il surpris en détaillant plusieurs fois son ami tout en réceptionnant le verre.
  • C’est si étonnant ? rit-il ouvertement. A cause de toi, je n’ai pas pu accéder au titre de président. J’avais plein de projets et encore une fois, tu t’es mis sur ma route.
  • Je n’ai pas…
  • Mais je ne t’en veux pas vraiment, lui sourit-il. Je suis plutôt curieux de voir comment tu vas mener le conseil des délégués. Si tu te plantes, peut-être, le taquina-t-il, que je serais derrière. En attendant, j’ai foi en toi.
  • Eh ben… resta-t-il interloqué un moment. Au moins, toi tu crois en moi.
  • Je t’en prie, l’invita-t-il à continuer d’un geste.

À sa demande, Sky plongea des morceaux de son poisson dans l’eau, arrachant du dégoût à l’ensemble de la table. Il le tendit à Nice sans hésitation. Celle-ci le prit entre ses mains, les mâchoires serrées. Son cœur tapait dans ses tempes. Sky attendit qu’elle lui accorde toute son attention pour s’expliquer :

  • Parce que tu ne crois pas en moi, dit-il calmement.
  • En même temps, tu…
  • On s’écoute, média Loyd.
  • Je peux comprendre que la manière dont les élections se sont passées te paraît injuste, parce que… C’est le cas. Je sais pertinemment pourquoi on m’a choisi…
  • Tu es vraiment un prétentieux, souffla-t-elle en fixant son assiette. Si tu le sais alors pourquoi tu…

Lui aussi avait baissé la tête. Nice le vit ailleurs. Il chipota à sa fourchette, glissant son pouce sur le métal.

  • Je sais que… - sa voix manquait légèrement d’assurance -... Je suis beau et populaire, mais je crois que je ne suis pas que ça… Ou au moins, j’aurais voulu que… Toi, tu ne vois pas que ça chez moi, déclara-t-il, cette fois un peu plus fermement.

Il n’ajouta pas le fond de sa pensée : “surtout depuis le temps que nous sommes amis”. L'honnêteté qui se dégageait de ce vieil ami fit redescendre Nice. Une culpabilité naissante la rongea, devinant ce qui lui faisait petite mine.

  • Je m’en fous que les autres pensent que je mérite pas cette place, mais quand ça vient des mes amis proches… Bah, ça fait mal, poursuivit-il alors que Kimi l’observait attentivement. Tu m’en veux pour un truc que j’ai pas choisi. La seule chose que j’ai décidé, c’est de me présenter et tant mieux, j’ai été élu. Toi, tu as choisi de m’en vouloir…
  • Mais non ! s’exclama-t-elle, à fleur de peau. Non, ce n’est pas ça… grogna-t-elle ensuite entre ses dents, mordillant ses lèvres.
  • Alors quoi ? Parce que je ne suis pas aussi capable que toi ?
  • Oui, sortit-elle, trop franchement. Je veux dire…

Nice n’arrivait pas à s’exprimer, écrasée par les regards de ses amis. Ceux-ci ne cherchaient pourtant pas à le faire. Elle se sentait toute petite, comme elle l’avait toujours été dans le groupe. C’était sa place. Alors même que Selim était le dernier dans la hiérarchie de leurs familles, elle avait dégringolé derrière lui. Elle ne représentait rien d’autre que la plus jeune, celle qui ne s’exprimait pas, qui n’osait pas, toujours bien gentille et conciliante, ou encore, celle en désaccord. Elle voyait sa franchise comme de la traîtrise, alors qu’au fond, Sky la voyait comme son plus grand atout. Nice osait. Elle partageait ses convictions quitte à ne pas entrer dans un moule et à devoir faire preuves de critiques. Il la connaissait bien et depuis longtemps. Sky trouva rare qu’elle s’exprime avec colère. Quelque chose n’allait pas. Il titilla la corde sensible :

  • En gros, tu voulais juste que ce soit toi, lâcha-t-il avec nonchalance.

Ce fut l'électrochoc. D’un coup de fourchette, elle plongea un morceau de poisson dans le verre et le repoussa de ses deux mains comme une offrande à Sky et Kimi. Son dos légèrement voûté, elle cacha son menton entre ses bras qu’elle garda allongés, de manière à ce qu’on ne voit pas la montée de ses larmes. Celles-ci s’écrasèrent sur la table.

  • C’est toujours moi… Je suis toujours la dernière, celle à qui on ne pense pas ! C’est toujours moi, craqua-t-elle en enfouissant plus son visage. Même quand Loyd m’a choisi… J’étais un second choix, hoqueta-t-elle. J’ai fait mes preuves ! J’ai tout donné…

Un gros hoquet sortit de sa gorge serrée. Laure grimaça de douleur.

  • J’ai été présente… J’ai travaillé… J’ai tout fait pour que ça marche, pour qu’on m’apprécie… et je n’ai rien en retour ! Je ne sers à rien, s’énerva-t-elle contre elle-même.

À côté, la respiration de Selim s'accélèra. Il resta paralysé, les mains calées et fermées sur ses genoux. Il ne supportait pas la voir souffrir et même à lui, elle s’était abstenue de partager ce lot de souffrance. Si c’était pour la voir pleurer de cette manière, à quoi servait-il ?I Il était impuissant.

  • Je suis pas assez bien, c’est ça ? pleura-t-elle en ramenant ses mains sur sa poitrine, n’osant un regard que sur ses propres genoux. Pas assez belle, pas assez cool, populaire pour être présidente ??

Tout compte fait, Alex s’en voulait de ne pas avoir voté pour Nice ou plutôt que son vote ait eu autant d'impact. Il chercha instinctivement le regard de Kimi. Celle-ci avait les yeux ronds, désespérée, les lèvres écrasées l’une contre l’autre.

  • Ce n’est pas vrai… essaya Sky.
  • Si c’est vrai ! déclara-t-elle, cette fois en osant planter son regard dans le sien.

Elle fut touchée en y trouvant de la lumière. Elle se sentit encore plus coupable en constatant que Kimi disparaissait de plus en plus dans son siège.

  • C’est parce qu’ils vous préfèrent vous… dit-elle en frottant le coin de ses yeux avec ses manches. Moi, je… je n’attire jamais l’attention, se remit-elle immédiatement à pleurer, émettant un long couinement qui lui fit tourner la tête. Fais chier.. jura-t-elle entre ses dents, à la grande surprise de tout le monde.
  • Chérie, ça veut pas dire que tu n’es pas capable, en profita Selim pour la réconforter.
  • Tout à fait, le suivit Alex, brièvement.
  • Nice… Je t’ai dit que…. je savais que c’était injuste, continua Sky. Tu as raison, ils ont voté pour nous parce qu’on est cool et populaire, mais toi, tu es incroyable...

La manière dont il lui fit ce compliment lui arracha un tout léger rire. Ses prunelles noisette s’illuminèrent. Sky devint gêné :

  • Ne te moque pas de moi quand je te dis des choses que je pense, cacha-t-il ensuite son visage dans sa paume.
  • Tu es malaisant, lâcha-t-elle entre deux trois pouffements. C’est bon… revint-elle à la réalité. C’est bon… Merci, murmura-t-elle à peine, les joues empourprées.
  • Doute pas de toi, grommela-t-il.
  • … Toi non plus ? lui répondit-elle avec l’envie de s’excuser à son tour, sans avoir à le prononcer, un minuscule sourire aux lèvres.

Tout rouge, il bégaya des mots inaudibles.

  • Dites… Vous arrêtez de vous draguer là ? fit Selim qui se raccrocha à sa petite copine. Bien sûr que t’es capable. Tu es la meilleure. La plus belle, la plus mignonne. T’as compris ? l’agressa-t-il de petits baisers le long de son bras.
  • T’entends ça ? l’attrapa Faye à son tour en venant taquiner le bout de son nez.
  • Oui, j’ai compris ! rit-elle en retour.

D’autres larmes, mais cette fois de soulagement, s’échappèrent sur ses joues. Elle avait le poids des paroles en moins sur le cœur. Il ne lui restait plus qu’à croire en Sky et Kimi… Ses pensées se dirigèrent alors entièrement vers sa copine. Bien que cette dernière avait l’air rassuré, elle avait la mine décomposée. Nice se tortilla les doigts :

  • Hum, mon verre… Puisque avec Sky, nous avons pu… parler… Il est pour toi… Je t’en voulais pour les mêmes raisons, avoua-t-elle maladroitement.
  • C’est pas grave… lui répondit Kimi, la tête haute. Je comprends…

Elle le pensait sincèrement. En la voyant se gratter l’arrière du crâne, le regard triste, Nice s’en voulut aussi.

  • Je suis désolée…
  • Ne t’excuse pas, la coupa Kimi. Je comprends, répéta-t-elle, elle aussi, les larmes aux yeux. C’est moi qui m’excuse, dit-elle durement.
  • Si, j’y tiens. J’ai été jalouse… Encore…

Selim se tortilla sur sa chaise. Il ne savait pas de quoi elle parlait. Nice faisait référence à leur troisième année, quand elle avait été envieuse de la relation de Kimi avec ce dernier. Elle ne lui en avait pas tenu rigueur.

  • Excuse-moi, prononça Nice le plus sincèrement possible. Je suis certaine que tu peux faire une bonne sous-déléguée. En fait, vous n'avez qu'à me le prouver et comme Loyd, peut-être que… je ne serais pas loin… leur sourit-elle maladroitement.

En même temps qu’elle acquiesça, une larme dégringola la joue de Kimi. Sa confiance en elle avait aussi été mise à rude épreuve. Personne ne s'était attendu à ce qu’elle pleure. Kimi ne voulait pas rester là-dessus, timide.

  • J’allais te mettre toi, dit-elle en pointant son verre. Alors, comment on fait ? s’adressa-t-elle ensuite à Loyd.
  • Que d’émotions… Hum, se râcla-t-il la gorge, ému. Passe-le à qui tu veux.

Tout en plongeant une autre cuillère de purée, puis en remuant le liquide visqueux, Kimi passa son verre à Selim. Ce dernier n’avait rien contre personne.

  • À vrai dire, je pensais te le passer à toi, s’adressa-t-il à Nice. Parce que je t’ai senti tendue toute la journée et je ne savais pas comment m’adresser à toi.

D’une mine désolée, elle l’écouta attentivement. Son amoureux attrapa sa main pour l’embrasser.

  • Je voudrais… que tu comptes un peu plus sur moi. Tous tes soucis, ce qui te tient à cœur, j’ai envie d’en être, déclara-t-il, le regard brûlant. Je suis là pour ça.

À la suite de la déclaration, Nice se pencha pour déposer un baiser volage sur les lèvres de Selim. Lui, l’attaqua plus profondément, se faisant alors acclamer par ses copains.

Loyd fut heureux de constater que la bonne humeur était revenue parmi eux. Il suivit le verre en même temps que les excuses respectives. Nice décida ensuite de le donner à Alex. Celui-ci ne fut pas étonné. Il la couvait comme une mère poule. Cette fois, il ne l’avait pas fait. Forcément, elle avait été déçue.

  • Quand tu as voté pour Kimi, je ne m’y attendais pas. J'ai cru que tu penserais à moi, expliqua-t-elle, embarrassée.
  • Je n’arrivais pas à choisir entre vous deux, dit-il d’un ton monotone.

Elle comprit. Dans le même état d’esprit, Alex le passa à Faye. Celle-ci la regarda avec des yeux brillants.

  • Je n’ai pas tellement apprécié que tu me reprennes sur mon vote, mais bon… dit-il en chipotant à ses mèches blondes. C’est parce qu’elle était triste.
  • Oui, acquiesça-t-elle. C’est juste pour ça, enchaîna la rousse.

Faye se mentait à elle-même. Elle avait plus pensé aux raisons qui l’avaient poussé vers Kimi qui s’entendait de mieux en mieux avec Alex qu’au propre bonheur de sa meilleure amie. Elle en avait honte. Tellement, qu’elle ne se voyait pas tendre le verre à Kimi. Elle jugea qu’elle avait déjà assez pleuré. Aucunement, Faye ne voulait la rendre encore plus triste. Son envie d’enterrer sa jalousie mal placée était si forte qu’elle arriva à la camoufler aux yeux du groupe.

  • Je l’aurai passé à Alex, pour les mêmes raisons, décréta-t-elle. Du coup, tiens, le donna-t-elle à Laure.

Cette dernière le réceptionna en se replaçant sur sa chaise. Loyd avait attendu son tour avec impatience. Serait-elle honnête ?

  • Il n’y a personne à qui je n’ai pas envie de parler…

Non. Depuis l’autre bout de la table, il l’observa se raidir sur sa chaise, décaler ses cheveux en arrière et agir avec grâce. Elle faisait de son mieux pour que ses belles lèvres s’étendent, pour que ses micros expressions crispées ne soient pas visibles. Son monde tournait autour de Laure. Il mourrait pour le battement de ses paupières. À la simple idée de croiser son nez au sien, de grignoter son sourire. Elle méritait tous les baisers de l’univers. Il pouvait mentir pour son bien, l’accompagner dans ses projets les plus fous, mais il refusait de la laisser se détruire et encore moins de s’éloigner de ses amis.

  • Alors, tu vas boire ce verre ? lui demanda-t-il en le pointant de son index depuis sa place.

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