La Fin du Game

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Après toutes ces années à souffrir en silence, la colère finit par tout balayer. Agathe n’en pouvait plus. Assez d’être manipulée, piétinée, insultée, rabaissée, humiliée. Elle n’était plus la même. Une bascule intérieure s’était opérée. Désormais, elle ne laisserait plus rien passer.

Ce n’est que plus tard, lorsque la tempête en elle s’apaisa, qu’elle comprit. Ce qu’elle jugeait impossible au début de son éveil spirituel s’éclairait soudain avec évidence. Sa conscience s’était ouverte à l’inimaginable. Et la vérité éclata. Une vérité que son inconscient, lui aussi longtemps captif, tentait depuis toujours de lui souffler à travers les brumes du mensonge.

Elle vit alors ce que tant d’autres avaient refusé de nommer : les manipulations, les regards fuyants, les silences coupables. Elle vit clair. Et elle sut qu’elle ne voulait plus voir personne, ni entendre de fausses paroles. Seules les relations virtuelles avaient désormais grâce à ses yeux — ces connexions à distance qui l’avaient, paradoxalement, sauvée.

Ce n’était pas seulement de la colère qu’elle ressentait, non. C’était bien plus profond : de la rage, de la haine froide. Une haine dirigée vers ces gens de sa ville et de son passé, ceux qui savaient et se taisaient, ceux qui profitaient, ceux qui fuyaient pour ne pas se mouiller. Tous complices, à leur manière. Et au cœur de cette trahison, deux femmes : sa mère, perverse narcissique et cruelle, et sa grand-mère, froide stratège d’un jeu abominable.

Depuis sa naissance, tout avait été orchestré : elle n’était qu’un pion, une marchandise, utilisée à des fins innommables. Un corps exhibé, monnayé, souillé — tout cela sous couvert d’un "jeu" pervers où le silence faisait loi. Elle entendit quelqu'un dire à un ami, en la regardant, "t'es sûr ? Elle vaut 3000 euros", mais Agathe ne voulait pas croire à leurs histoires, juste se protéger. Aller jusqu'au bout ou presque, parfois, pour comprendre et tenter d'en savoir plus. Ils l’avaient désignée comme la coupable, la "pute", pour mieux l’avilir et justifier leurs agissements. Mais elle voyait clair maintenant.

Le brouillard se levait, comme ce jour lointain où elle avait peint ce rêve étrange, ce cauchemar sur une toile abandonnée, récupérée plus tard par un inconnu. Tout faisait sens.

Les souvenirs remontaient : les menaces voilées de sa grand-mère, ce couple où la femme semblait hypnotisée, les tirages de cartes qui n’étaient que manipulations bien préparées. Même les rumeurs lancées après son déménagement portaient la signature de sa mère, venue la salir jusque dans sa nouvelle vie. Une famille sans cœur, matérialiste, cruelle… et folle.

Et pourtant, c’était elle qu’on disait folle ou instable. Elle, la victime, désignée comme malade pour mieux la discréditer. Car si elle doutait d’elle-même, jamais elle ne pourrait voir la vérité en face. C’était leur but.

Ce soir-là, alors qu’elle cherchait son chat, elle aperçut un couple dans leur voiture, garé près de chez elle. Elle les fixa un instant, les yeux pleins de feu, puis s’éloigna en lançant d’une voix forte, assez pour qu’ils entendent :
— Viens, on les oublie, tous ces gens-là. Ceux qui parlent, ceux qui blessent. Ces connards !

C’était fini. Le jeu était dévoilé. La vérité, dite. Terminé l'amour et l'amitié basés sur des mensonges. Beaucoup allaient perdre de l’argent, leurs paris, leur emprise. Elle savait désormais qu’elle devrait vivre seule, sans parler à personne. Et cela ne lui faisait plus peur. Elle avait appris à aimer cette solitude imposée, devenue sa force.

Elle détenait enfin la clé. Et, cette fois, elle ouvrait la porte de sa propre vie. Il était temps de reprendre le contrôle, de ne plus mourir à petit feu.

Un dernier souvenir confirma tout : ce jour où, au bar-tabac de son quartier, on lui rendit son portefeuille — prétendument perdu. Elle comprit alors qu’elle n’était pas paranoïaque… seulement lucide sur l'hypnose et les abus qui suivaient.

On la prenait encore pour une idiote. Tant mieux. L’heure n’était plus à la justification. C’était l’heure de sa revanche ; une reprise de pouvoir franche, libre, sans émotions. Pas celle qu’ils avaient prévue. Pas une chute. Ni une crise, ni une colère incontrôlée. Non.

Une renaissance où, seule, mais fière de qui elle est devenue, elle demeure solitaire et intouchable.

Et telle une catharsis - elle vient de reconstituer la dernière pièce du puzzle ; ne laissant paraître que la dernière facette de ce diamant noir, comme taillé sur mesure pour la suite de sa vie.

Aujourd'hui, Agathe a choisi : entre prendre soin d’elle, ou des autres.
Par chance — ou peut-être parce qu’on ne lui a pas laissé d’alternatives — elle s’est enfin choisie, elle.
Elle a tout oublié : le passé, le présent, et même l’avenir.

Elle voulait s'en sortir, même sans tout comprendre, même sans mode d’emploi.
Elle n’a rien abandonné de ce qu’elle pouvait encore contrôler, améliorer, réparer dans sa vie. Elle a simplement laissé tomber ce qui ne dépendait pas d’elle : l’opinion des autres, leur validation, leur reconnaissance. Inutile fardeau.

De l’amour des animaux à certains forums, des réseaux sociaux aux groupes d’entraide, elle a désormais l’embarras du choix pour s’exprimer, se faire entendre, créer, évoluer. Peu importe que l’environnement soit bienveillant ou non : seules ses décisions, guidées par ses ressentis, comptent à présent.

Elle a appris à prendre du recul. Souvent. Dès qu’elle le sentait nécessaire. Grâce à un outil simple : se visualiser elle-même, son corps, son environnement, ses relations, depuis les hauteurs. Comme si elle s’observait depuis le ciel. Comme si elle conseillait une amie chère, et non elle-même.

C’était sa bouée, chaque fois qu’elle se sentait sombrer dans l’angoisse.
Elle n’écoutait plus les voix du passé, ni celles du présent, ni même celles à venir.
Les autres vivaient dans un monde qui n’était plus le sien.

Plus besoin d’insister pour lui faire du mal : elle avait fermé toutes les portes.

Et elle a écrit. De longues lettres. À eux, à elle, à l’Univers. À Dieu.
À tous ceux avec qui elle pouvait encore nouer un lien… ou le rompre.
Elle savait désormais qu’elle s’était fourvoyée, toutes ces années à mendier de l’amour, une amitié sincère, un semblant de lien fraternel.
Mais ils l’avaient tous déméritée. Tous voulu "la tuer à petits feux".
La laisser sans rien. Lui faire perdre tout ce qui comptait.

Désormais, elle est bien décidée à vivre pour elle, coûte que coûte.
Être égoïste, oui — mais sans jamais cesser d’aimer ceux qui le méritent. Et seulement ceux-là.

Ce n’est plus à elle de prouver sa valeur.
C’est à eux...

Elle a changé.
Elle a compris.
Elle a évolué.

Chacun son rythme.

Ceux qui lui ont dit que c’était trop tard sont les mêmes qui ont semé le désespoir dans son cœur.
Ils ont tenté de lui bousiller la tête, de la rendre malade d’elle-même, de lui injecter des peurs absurdes, des pensées toxiques. Ils ont réveillé ses fragilités pour mieux l’étouffer.
Mais tout cela, c’est terminé.

Agathe a cessé de tomber dans leurs pièges.
Leurs manipulations, leurs emprises, leurs tentatives de l’éteindre.

Aujourd’hui, elle respire.

Elle a retrouvé tout ce qu’elle avait cessé d’aimer : la lecture, la cuisine, le sport…
Tout ce qu’on lui avait déconseillé, elle y revient. À l’inverse de leurs voix, elle suit la sienne.

Chaque jour, elle comprend mieux les mécanismes de cette lente destruction orchestrée contre elle.
Mais elle ne crèvera pas. Elle vivra.

Et non, ce n’est pas fini.
Mais pour eux… oui. C’est bel et bien terminé.

Elle aimerait le hurler :

Game over. La partie est terminée. T’as vu ça ?

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