Chapitre 9
Je m'endormis sans m'en rendre compte et me réveillai lorsque l'on me secoua l'épaule.
— Nous sommes arrivés, Maëlys.
Je regardai l'horloge qui indiquait 1:05.
— Ai-je dormi longtemps ?
— Un peu plus d'une heure. Si tu veux, je peux demander à emprunter une chambre pour quelques heures.
— Je ne vais pas dormir.
Nous sortîmes de la voiture et arrivâmes devant une jolie maison de campagne de style rustique.
— Entrons.
Je hochai la tête. Darren frappa à la porte et une femme trentenaire aux cheveux noirs nous fit face. Ses yeux bleus brillaient et elle souriait avec chaleur.
— Darren, ravie de te revoir.
— De même, Danielle. Laisse-moi te présenter quelqu'un.
Il se tourna vers moi.
— Maëlys, cette femme, Danielle est à la fois une amie et une soeur.
— Il dit ça parce que Marcus nous a transformés tous les deux. Mais, il n'a pas tout à fait tort. Si j'avais un frère, il serait comme Darren.
Danielle me tendit la main.
— Danielle Dubois.
— Maëlys, répondis-je. Maëlys Morgan.
— Enchantée.
Soudain, son regard se posa sur mon bracelet.
— Je vois. Le bracelet était pour toi.
— De quoi parlez-vous ?
Nous entrâmes dans un hall d'entrée tout en bois et enlevâmes nos chaussures.
— La création de bijoux est mon hobby depuis environ une dizaine d'années. Le site lui-même n’existe que depuis un peu plus d’un an. Ma fille adoptive m’a suggéré de les vendre sur internet. Laisse-moi te la présenter.
Danielle disparut dans le couloir.
— Elle semble sympathique.
— En effet.
En attendant le retour de Danielle, j'observai la pièce. Si des tableaux recouvraient les murs chez Darren, ici, il n'y avait que quelques photos, dont une de Danielle avec une jeune fille que j'assumais être sa fille adoptive. En apparence, elles ne pourraient être plus différentes. La jeune fille ressemblait plus à Darren avec ses cheveux blonds platine et ses yeux couleur chocolat.
En effet, Danielle revint accompagnée de la jeune fille de la photo. Elles s'approchèrent de nous.
— Je n'avais jamais rencontré de vampire de mon âge. Danielle, toi et moi sommes les seules à avoir moins de 100 ans, enfin, à ma connaissance.
— Dans cette maison, ce soir, c'est le cas. Mais n'as-tu pas oublié un détail important ?
— Oh, désolée.
Elle me tendit la main.
— Magdalena Hansen, mais appelle-moi juste Alena. Mon nom est un peu long.
— Alena n'a que 4 ans de plus que toi. J'étais infirmière en Allemagne à l'époque. Les parents d'Alena sont morts de la Covid et Alena elle-même était dans un état critique.
— 4 ans.
Je me tournai vers Darren.
— Vous aviez dit être revenu en France il y a 5 ans.
— Je n’étais pas en Allemagne, Maëlys. Danielle m’a téléphoné. Elle m’a parlé d’Alena et de ses intentions.
— À l'époque, il avait tenté de me convaincre de renoncer et de laisser Alena partir.
— Pourquoi ?
— Sa jeunesse, répondit Darren.
— Pourtant, Alena et moi…
— Vous avez le même âge, au sens biologique. Et toutes les deux vous battiez pour vos vies, même immédiatement après une perte tragique. Disons que je comprends les motivations de Danielle aujourd'hui.
— Alena est un peu comme la fille que je n'ai jamais eue, déclara Danielle.
— L'avez-vous adoptée ?
— Pas officiellement, mais je la considère comme telle.
Moi, j'ignorais encore ce que je représentais pour Darren. Le savait-il lui-même ?
— Avez-vous eu des enfants à vous ?
— Si seulement…
Comprenant que je touchais un sujet sensible, je me rétractai.
— Désolée.
— Ne t'en veux pas. Je sais que je suis infertile depuis que j'ai 28 ans. Alena et toi avez perdu cette chance si jeune.
— Je n'avais jamais pensé à fonder une famille. J'ai 15 ans.
— Danielle, et si je montrais la piscine à Darren et Maëlys ?
Je suspectais qu'Alena cherchait à dévier la conversation et j'appréciais le geste.
— Bien sûr. Je ne peux pas me joindre à vous. J'attend encore des invités, mais une fête est faite pour s'amuser.
Alena nous guida vers la salle d'eau du rez-de-chaussée. Une fois changées et en attendant Darren, Alena commenta :
— J'adore ton maillot.
— Merci, j'aime le tien aussi.
La porte s'ouvrant, je m'emmitouflai dans la serviette. Darren sortit vêtu d'un short de bain noir avec une chemise de la même couleur à manches courtes.
— Vous pouviez sortir. Je suis déjà venu. Je connais le chemin.
Un bain à remous pouvant accueillir 4 personnes occupait une partie de la terrasse.
— La piscine est en bas de la terrasse.
— Allez-y, nous urgea Darren. Le bain à remous m'appelle et je vais rester contempler les étoiles.
— Vous parlez comme un grand-père, gloussa Alena.
Alena et moi retirâmes nos serviettes, les plaçant sur la rampe de la terrasse. Elle me prit ensuite la main et m'emmena avec elle. Arrivées au bord de la piscine, elle demanda
— On plonge ?
— D'accord !
L'eau froide m’accueillit comme l'étreinte d'une mère. Depuis ma transformation, mon corps réagissait au chaud et au froid avec indifférence. Frissonner ou suer n'existait plus pour moi.
— On joue à chat, c’est toi le chat.
— C’est de la triche, protestai-je.
Et pourtant je nageai à sa poursuite, glissant dans l’eau avec aise. Déjà petite, j’adorais nager.
— Ton tour, dis-je en touchant l’épaule d’Alena.
Nous continuâmes un moment. Nageant sur le dos, ses cheveux formant une cape de lumière autour d’elle, Alena déclara :
— Je suis contente de te rencontrer. Danielle est géniale, mais son adolescence remonte à une soixantaine d’années.
— N’es-tu pas techniquement adulte ?
— Tu n’as pas tort. Je suis née le 27 juillet 2004.
La date me marqua aussitôt.
— C’est ton anniversaire !
Alena cessa de nager sur le dos et me rejoignit.
— Oui, j’ai 20 ans aujourd’hui, non pas que ça compte vraiment.
— Est-ce pour ça que Danielle organise cette fête ?
— Elle ne l’a pas dit.
J’ignore le temps passé dans la piscine. Les étoiles scintaillaient encore au-dessus de nos têtes.
— Tu sembles t’être fait une nouvelle amie, Alena. Une amie plus proche de ton âge.
Je reconnu la voix de Danielle et lui fit face. Pourtant, malgré que mes parents m’aient toujours dit qu’il était impoli de fixer les gens, je demeurais bloquée sur son crâne chauve.
— Je vois… fit-elle. C’est vrai que ça surprend. Je suis devenue vampire alors que je mourais d’un cancer généralisé. Avec le corps en stase d’un vampire, ils ne repoussent pas.
— Moi je le savais, fit Alena. Mais n'attendiez-vous pas des invités ?
— Ils sont déjà tous arrivés. Je songeais aller nager moi-même.
Jusqu'alors je n'avais pas remarqué qu'elle portait un maillot de bain.
— Les laisser tout seuls, c'est pas très poli.
— Marcus a apporté des rafraîchissements. Ils discutent dans le salon. Je les laisse faire comme chez eux jusqu'à ce que le soleil se lève.
— Pouvons-nous rester nager alors ? demandai-je.
— Bien sûr.
Nous sortîmes toutes les trois de la piscine et récupérâmes nos serviettes. Bien sûr, retourner à l’intérieur en étant toutes trempées ne serait pas très poli et nous restâmes dehors le temps de sécher.
— Alena, je me demandais… Es-tu retournée au lycée ?
— Depuis ma transformation ?
Je hochai la tête.
— Non. Pourquoi ?
— J’avais voulu reprendre mes études, répondis-je.
— Est-ce la seule raison ? demanda Danielle.
Je ne réfléchis qu’une seconde. Je ne cherchais pas à me faire des amis, ni à participer à des fêtes d’adolescents stupides.
— Le lycée peut attendre dix, vingt ou même cinquante ans, répondit la femme. Mais réfléchis, Maëlys, la toi maintenant, que veut-elle ? De quoi a-t-elle besoin ?
Des images de mes parents s’affichèrent dans mon esprit.
— De faire mon deuil.
— Darren a mentionné que toi et Alena vous battiez pour vos vies, même immédiatement après une perte tragique.
J’acquiesçai.
— Le 10 juillet, il y a plus de deux semaines, mes parents et moi étions en route pour la maison après avoir visité mes grands-parents. Ensuite, une voiture est entrée en collision avec la nôtre.
“Je suis la seule que Darren trouva vivante” resta muet. Je jugeai ce fait évident, et je ne trouvai pas la force de le dire à haute voix.
— Je pense qu'il n'y a pas un seul d'entre nous qui ait vécu le deuil ou ait dû se résoudre à abandonner ses proches humains. Tu dois réfléchir à ce qui est le mieux pour toi. Retourner en cours ? Ou prendre le temps de te reconstruire ? Comme je t'ai dit, le lycée peut attendre indéfiniment.
— Vous avez sans doute raison. Darren m'a prévenu au sujet de la soif de vrai sang. J'en ai même fait l'expérience lors de thérapie par exposition.
— Prends ton temps. Maintenant, que diriez-vous de rentrer ?
Danielle ouvrit la porte et un mélange de voix m’assaillit aussitôt. Je me figeai. Ça me terrifiait plus que mes cours au collège. Car, dans mon ancienne vie, tout le monde se connaissait à l’école. Je me cachais à la bibliothèque derrière des livres. Ici, j’ignorais quoi faire.
— Maëlys ? proposa doucement Danielle. Tu veux peut-être aller te changer ?
J’hochai la tête et me cachai dans la salle d’eau. Je me rhabillai en vitesse, mais pourtant je n’osai pas sortir. Mes doigts jouaient avec le ourlet de ma jupe.
Un léger coup résonna contre la porte.
— Maëlys ? C’est Alena. Tu vas bien ?
J’entrouvris la porte et murmurai :
— Je ne peux pas faire ça.
— Si tu veux, je peux t’emmener dans ma chambre.
Nous montâmes l'escalier. Alena s’arrêta devant la première porte face à nous.
— Entre, dit-elle avec douceur. Ici, c’est mon refuge. Danielle a acheté cette maison il y a deux ans et m'a laissé décorer ma chambre.
Au lieu de lampes modernes, une guirlande décorée d’étoiles dorées pendait au plafond. Des coussins colorés s’entassaient sur le lit. Un coin dédié au tricot occupait une partie de la pièce.
— Tu tricotes ? demandai-je.
— Danielle m’a appris. Elle disait que ça l’aidait à canaliser ses émotions quand elle est devenue vampire. Ça fait un peu truc que feraient nos grands-mères, mais moi, ça occupe mes mains, et mon esprit aussi.
Mon regard fut attiré par une peluche en forme de petit poulpe en laine rose posée sur le lit.
— Il est trop mignon, soufflai-je.
— Je l'ai fait.
— Vraiment ?
— Tu peux l’avoir si tu veux, me dit-elle. C’est un cadeau pour une amie comme moi.
— Une amie comme moi… répétai-je.
— Et toi, Maëlys, n’as-tu pas quelque chose qui t’apaise ?
— J’ai découvert le piano avec Darren, et j’y ai vite pris goût. Et puis, j’ai toujours adoré lire. Les livres ont été mes meilleurs amis pendant des années. J’imagine que c’est parce que ma mère était bibliothécaire et que je passais souvent mes soirées à la bibliothèque.
— J’aime lire aussi. Ça aide à s’évader de la réalité.
— Je suis d’accord. Découvrir d’autres mondes différents du nôtre… Enfin, notre monde a des secrets que je n’aurais jamais imaginés.
— Pas faux, gloussa Alena.
— Darren est écrivain et m’a dit que je pourrais devenir écrivaine.
— Tu peux devenir écrivaine, faire le tour du monde pour apprendre toutes les langues, ou fabriquer et vendre des bijoux, comme Danielle.
— Faire le tour du monde semble fascinant.
— Je pourrais te montrer l’Allemagne un jour.
— J’aimerais bien.
Après une pause, j’ajoutai :
— Je ne sais pas à quoi l’avenir ressemble. Pas encore.
— Il est très long, c’est tout ce que je peux dire.
— J'ai cru comprendre.
Nous restâmes ainsi un moment sans dire un mot, regards connectés. Alena rompit le silence la première.
— Veux-tu redescendre ? demanda-t-elle.
Je secouai la tête.
— Non, murmurai-je. C’est plus tranquille ici.
Elle me sourit et se leva. Lorsqu’elle revint vers le lit, elle tenait une pile de feuilles et deux crayons.
— Et si on jouait à un jeu ? proposa-t-elle. Devine mon dessin. C’est tout simple. L’une dessine sur sa feuille, l’autre doit deviner ce que c’est.
— Pourquoi pas ?
Je commençai, dessinant une tête de chat avec des yeux tout ronds.
— Un chat.
— J’imagine qu’il était évident.
Alena, en retour, dessina un escargot à la coquille un peu grande. Nous poufâmes de rire et continuâmes ainsi. Je dessinai une tasse fumante, Alena un soleil avec des lunettes de soleil. Le jeu s’enchaîna sans que ni l’une ni l’autre ne s’en lasse et sans que nous ne comptions les points.
Le soir venu, je redescendis enfin. J’arrivai au salon où Marcus jouait aux cartes avec Darren et une paire d’inconnus.
— Puis-je vous parler ?
— Après cette partie, je suis à toi.
J’observai et réalisai qu’ils jouaient à Uno. Darren avait-il le jeu chez lui ? Nous pourrions y jouer.
— En attendant, veux-tu boire un peu ?
La soif reléguée à l'arrière-plan n'hésita pas à faire savoir s'adapter présence. M'occuper l'esprit fonctionnait comme coupe-soif, il semblerait.
— Oui, s'il vous plaît.
Marcus me tendit une bouteille, pas un litre comme toutes celles occupant le réfrigérateur de Darren. Ma main entourait celle-ci avec aisance. J'assumai qu'elle ne contenait qu'un quart de litre.
— On dirait un format de poche.
— Elle ne risque pas de rentrer dans ta poche, mais nous avons en effet plusieurs formats.
— Pratique, commentai-je.
Je vidai la bouteille en observant la partie.
— Uno, fit Darren au bout d’un moment.
Je me perdis dans mes pensées, le petit poulpe sur mes genoux.
Je sais ce que je veux, non, ce dont j'ai besoin.
— Maëlys, m'appela Marcus.
Alors que Darren rangeait les cartes, Marcus me fit signe de le suivre. Nous nous retrouvâmes dans le couloir qui menait à la salle d’eau, face à face.
— J’ai réfléchi, dis-je, presque un murmure.
Ses yeux verts se posèrent sur moi. Il hocha la tête, comme pour me faire signe de continuer.
— Je ne retournerai pas en cours, du moins pas tout de suite.
Je baissai la tête.
— Je pensais qu’être entourée de jeunes de mon âge m’aiderait, mais je ne suis pas prête. Je ne sais pas quand je le serai. Le vampirisme n’a pas enlevé l’anxiété sociale.
Après une pause, je continuai :
— Je ne peux pas faire face à un groupe de vampires inconnus alors face à des dizaines d'humains… Leur sang…
— Retourner parmi les humains prend du temps.
— Je pense que je comprends. Je n'arrive pas à me concentrer. Mes jambes partent en flèche sans prévenir à l'instant où je me déconcentre.
— Je comprends, fit Marcus. C’est tout à ton honneur de savoir où tu en es. Ce n'est pas fuir. Tu avance à ton rythme. Après tout, tu as tout le temps du monde pour apprendre.
— Qui as dis que je ne pouvais pas apprendre autre chose ?
— Tu marques un point.
Il répartit vers le salon et je le suivis.
— Prête à rentrer ? demanda Darren.
Avant que je ne puisse répondre, Danielle s'écria :
— Un instant !
Danielle approcha et me tendit un bout de papier.
— C’est notre numéro de téléphone. Si tu as besoin, ou si tu veux juste parler, appelle-nous.
— Merci, mais je n’ai pas de téléphone à moi.
— Je n’en ai pas non plus. Danielle me prête le sien.
— Ça peut se faire, répondit Darren.
Assise dans la voiture, je serrai la peluche.
— Une amie comme moi, pensai-je.
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