chapitre 33

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Deux étages plus haut, celle-ci se réveillait.

Marie-Aurore frappa et entra sans attendre sa réponse. Lisette l’avait rencontrée pour la première fois au chevet de Gabriel blessé et elle n’en gardait pas un bon souvenir. L’expression de la gouvernante était indéchiffrable. Elle tenait dans ses mains des vêtements propres, des chaussettes et des chaussures neuves.

— Mettez cela, dit-elle, et descendez à la cuisine. Vous ne pourrez pas voir monsieur avant un moment. En attendant vous aiderez Mariette, cela vous occupera et vous vous rendrez utile .

Puis elle partit. Il était évident qu’elle faisait là son devoir mais elle le faisait à contrecoeur. Cette nouvelle fantaisie du maître ne lui plaisait manifestement pas.

Lisette s’habilla très vite : il faisait presque aussi froid que dans le grenier de Saint-François. La robe était à sa taille. Elle était grise et très simple mais bien coupée dans une étoffe de qualité. À Paris, tout le monde s’habillait bien. Elle laissa sur la chaise la tenue qu’elle portait tous les jours. Accrochée au dossier, celle-ci pendait mélancoliquement comme un déguisement abandonné. Un vieux vêtement que l’on laisse, c’est un peu de soi que l’on quitte, pensa-t-elle confusément et saisissant dans chacune de ses mains une des manches vides, elle déclara fermement à la robe bleue :

— Ne t’en fais pas, je ne t’oublierai pas !

Elle enfila alors avec précaution ses souliers neufs et il lui fallut quelque temps pour s’habituer à leur légèreté. Ils étaient à sa taille et elle n’en avait jamais eu. Puis elle dévala rapidement l’escalier. Sans ses galoches elle avait des ailes !

Dans les cuisines, l’agitation de la veille avait disparu et le rangement était bien avancé. Après avoir servi un déjeuner à Lisette, Mariette lui fit nettoyer des pièces d’argenterie utilisées la veille et qui se trouvaient être du même service que la louche qu’elle avait donnée au chiffonnier. Le reste de sa matinée se passa à éplucher des légumes près de la porte. Personne ne semblait remarquer sa présence et cela lui convenait tout à fait. Au cours du repas de midi, les domestiques commentèrent la réception remarquablement réussie quoique improvisée. Certains répétèrent les compliments qui avaient été adressés au comte et surtout chacun s’étonna de la bonne humeur exceptionnelle du maître. La conversation était animée mais non dépourvue de la retenue qu’imposait la présence de Marie-Aurore installée en bout de table. Personne n’adressait la parole à Lisette qui se contenta de dévorer tout ce qui passait à sa portée. Elle eut même la joie de profiter d’une part du soufflé au chocolat qu’elle avait convoité la veille et dont il restait un plein saladier. Ensuite elle se remit aux tâches qu’on lui avait assignées et la journée se passa vite.

Le soir venu, elle monta au quatrième étage, ôta ses chaussures neuves, sa robe et remit aussitôt l’ancienne. Puis, elle se glissa dans la mansarde voisine, celle qui avait abrité Gabriel pour sa dernière nuit à Paris. Comme elle l’espérait, des voix montaient de l’étage inférieur où logeaient les trois servantes. Elle s’étendit sur le sol avec des précautions infinies et colla son oreille au plancher. La conversation qu’elle entendit était plus libre que celle du repas et elle arrivait au bon moment :

— Moi, j’espère qu’il ne sera pas élu, disait une voix décidée, ça va nous donner tellement plus de travail … Je me suis couchée à deux heures et dès 6 heures il fallait que je sois debout pour allumer les feux.

— Tu as raison, Sylvie, dit Mariette de sa voix haut perchée, mais il y avait le pianiste Herman et le neveu de l’empereur. Je ne les avais jamais vus et jamais je n’avais entendu d’aussi jolie musique. Ça ne se passait pas comme ça dans les maisons où j’étais avant. Et ça, je trouve que c’est bien.

— Et dis-moi, reprit Sylvie, c’est qui cette petite si mal habillée qui est arrivée hier soir et qui ne dit rien ?

— C’est une protégée du comte, répliqua Mariette.

— Comment tu le sais?

— Tonio me l’a dit. Il est allé deux fois la chercher à Saint-François-la Forêt. C’est une pauvresse, elle vivait dans la misère.

— Ça se voit…

— Moi je ne trouve pas. Et si c’était sa fille ? Tu as vu comment elle regarde Marie-Aurore ? Moi, je n’oserais pas.

— La fille du comte ? Bien sûr que non ! D’abord elle n’aurait pas ce nez là ! Elle a un nez normal alors que lui… et puis il l’aurait eue avec qui ? Avec Marie-Aurore ?

En riant, elles échafaudèrent des théories de plus en plus folles et Lisette se retint de rire aux éclats en les écoutant et puis la conversation changea à nouveau brusquement de sujet :

— Et à quoi que ça va servir l’Académie? dit la troisième voix en roulant le R.

— Ça va servir à dire que tu parles mal, Ursulette, voilà à quoi que ça va servir ! répondit vivement Mariette en riant.

Malgré leur fatigue, elles se chamaillèrent encore amicalement un instant puis se turent. Quand on n’entendit plus rien, Lisette regagna doucement sa chambre. Elle aurait bien voulu qu’elles soient ses amies.

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