chapitre 37

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La messe se termina et comme tous les assistants commençaient à se retirer, Soazick se glissa auprès d’elle :

— Bonjour Lisette… tu es belle comme ça … tu as un joli ruban, dit-elle timidement et comme Lisette ne répondait rien, elle ajouta avec un pauvre sourire : « Tu vois, je suis venue.

— Je vois, dit simplement Lisette … Et comment tu m’as retrouvée ?

— Tu avais dit qu’en arrivant à Paris, tu avais été dans une très grande église et qu’elle était près de la gare. Je suis venue ici à toutes les messes depuis deux jours.

Elle était enveloppée de chiffons bizarres et semblait épuisée.

— Je dors où je peux, reprit-elle en répondant à une question qui ne lui avait pas été posée. La première nuit, je me suis cachée dans un coin de l’église mais ensuite les prêtres m’ont chassée et hier j’ai marché toute la nuit parce qu’il faisait trop froid pour que je m’arrête.

Passant vivement entre les chaises, un prêtre s’approchait justement à grands pas. Les petites filles se turent et le regardèrent arriver avec inquiétude.

— File, dit-il quand il fut près d’elles en désignant la porte à Soazick d’un geste autoritaire, je t’ai déjà dit que je ne voulais pas que tu ennuies les paroissiens. Va mendier ailleurs et que je ne te revoie plus.

Soazick lui jeta un regard désespéré et s’éloigna. Il sourit alors à Lisette, à ses cheveux propres et à son manteau de velours vert. Sans lui rendre son sourire, celle-ci se leva et rejoignit aussitôt sur le parvis son amie qui était au bord des larmes :

— Je ne sais pas où aller, dit-elle, mon père m’a dit qu’il fallait que je travaille maintenant, mais à Paris, ce n’est pas comme à Saint-François ! Je vois bien que je n’y arriverai pas et il faut que je dorme un peu… Tu ne peux pas me loger ? Juste pour une nuit ? demanda-t-elle avec une toute petite voix. Je suis si fatiguée.

— Je ne sais pas, je ne crois pas, dit Lisette embarrassée et bien consciente que la présence de Soazick à Paris allait l’encombrer. Elle essayait de lutter contre l’agacement. Pourquoi donc était-elle venue ?

Mais le souvenir de ses premières nuits à Paris était trop vivant et lui faisait encore trop mal pour qu’elle puisse en rester là.

— Viens quand même avec moi, dit-elle, on va essayer de voir ce qu’on peut faire.

Elles partirent aussitôt. Soazick regardait sans cesse autour d’elle : le spectacle de la rue parisienne la surprenait encore alors que Lisette s’y était accoutumée. Elles marchaient côte à côte mais c’était sur Soazick et sur ses haillons que les regards de quelques passants s’attardaient quelquefois et ce n’était pas un regard bienveillant.

Comme elles approchaient de l’hôtel, Lisette la fit attendre au bout de la rue et entra dans la cuisine. Marie-Aurore l’accueillit avec un sourire plein de bonté. Cependant quand, après s’être expliquée, Lisette lui eut demandé si « on ne pouvait pas faire quelque chose pour son amie », le sourire s’effaça et la réponse claqua :

— C’est impossible, mademoiselle, elle ne peut pas entrer ici, monsieur le comte ne l’acceptera jamais. Maintenant remontez dans votre chambre, je passerai prendre votre manteau pour le ranger. Vous n’aurez plus besoin de sortir.

Pendant quelques secondes, Lisette chercha une réponse mais le ton et l’expression de Marie-Aurore étaient sans réplique. Rien ne la ferait changer d’avis. Elle contournait la table pour se diriger vers l’escalier de service quand soudain elle se ravisa et faisant demi-tour, elle se précipita vers la porte d’entrée et rejoignit en courant Soazick qui l’attendait, assise sur la borne du carrefour.

— Elle ne veut pas que tu entres, dit-elle précipitamment, sans expliquer davantage de qui elle parlait…. mais quand il fera nuit, va de l’autre côté de l’hôtel. On peut passer dans le jardin entre le dernier barreau de la grille et le poteau en pierre qui est du côté de la rivière. Je l’ai déjà fait. Tu n’auras qu’à aller dans l’écurie. Je pense que personne ne dort là. Avec les chevaux, tu auras chaud dans la paille…

Marie-Aurore apparut sur le pas de la porte, elle s’était rapidement enveloppée dans son châle. Elle était furieuse. Lisette eut encore le temps de souffler :

— Je vais chercher comment je peux t’aider.

— Merci, répondit Soazick. Elle avait à nouveau les larmes aux yeux et, alors que Marie-Aurore était toute proche, elle murmura timidement :

— Tu sais, j’ai l’or de Jeanne-Marie »… puis elle s’enfuit en courant.

Stupéfaite, Lisette la regarda s’éloigner quelques secondes puis elle se retourna : la gouvernante arrivait, manifestement hors d'elle. Et soudain Lisette sentit monter en elle-même une bouffée de colère d’une telle intensité qu’il lui sembla que sa vue se brouillait. Sans dire un mot, elle se redressa de toute sa taille, fit face et accueillit Marie-Aurore avec un regard d’adulte, le regard de quelqu’un qui sait ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. La gouvernante ne s’y trompa pas, elle s’arrêta net et se souvint tout à coup que c’était le comte lui-même qui avait ouvert sa porte à cette petite fille. En cet instant, elle comprit confusément pourquoi et sut qu’il ne faudrait pas l’oublier. Rien ne fut dit mais quand Lisette rentra la première dans la cuisine, ceux qui avaient assisté à leurs sorties successives sentirent que quelque chose s’était passé. Dans le silence général, Lisette ôta son manteau et le déposa sur une chaise. Puis elle quitta calmement la pièce et se retira dans sa mansarde dont elle ne sortit plus que pour les repas. C’était dimanche, après tout et elle avait vraiment besoin de réfléchir !

Dans le courant de l’après-midi, Miscetto gratta à sa porte et la rejoignit. Il se frotta infiniment à elle pour témoigner de son bonheur de la retrouver et ils jouèrent un peu ensemble puis il lui fit comprendre qu’il voulait sortir se promener sur les toits comme il l’avait fait aux beaux jours. Elle lui ouvrit la fenêtre. Après avoir flairé l’air avec circonspection, il se mit à courir follement dans la neige, cherchant à l’étreindre entre ses pattes de devant puis, la queue en biais, il disparut en bonds joyeux dans la poudreuse derrière les cheminées qui se dressaient sur le zinc. Heureuse de le voir heureux, Lisette s’étendit sur le lit. Elle avait enlevé son ruban blanc et remis sa vieille robe et elle pensait à Soazick. La dureté du prêtre dans l’église et celle de Marie-Aurore l’avaient ramenée sur terre. Plus de rêveries devant des rosaces bleues et rouges : il fallait qu’elle trouve comment aider son amie.

Miscetto s’était assez amusé. Il avait froid et il décida de rentrer se réchauffer. Se dressant sur les deux pattes arrière, il s’appuya de tout son poids contre la vitre. Le vantail que Lisette avait laissé entrouvert, pivota sur ses gonds et, en s’ouvrant tout à fait, il balaya une partie des statuettes d’argile posées sur la tablette. Elles tombèrent sur le sol où elles se brisèrent. Sans en être le moins du monde affecté, Miscetto rejoignit en quelques sauts gracieux le lit où il entreprit de faire une toilette approfondie dans la perspective d’une sieste. Désolée, Lisette ramassait les morceaux de terre sur le sol. Bien sûr il lui restait beaucoup d’autres modelages à Saint-François-la-Forêt mais elle n’y retournerait pas de sitôt. C’était là les plus belles, tout ce qui lui restait d’un été de travail ! Qu’allait-elle pouvoir montrer à Simon Ducoursial désormais ? Deux statuettes avaient cependant échappé au désastre : le loup assis et le chat. La seule figure de chat qu’elle ait jamais modelée ! À croire qu’il l’avait fait exprès ! Elle lui jeta un regard furieux. Mais il poursuivait sa toilette avec méthode et ayant saisi sa queue entre ses pattes, il s’employait à la nettoyer à grands coups de langue. Lisette fut tentée de le mettre à la porte sans ménagement puis elle y renonça : il ne l’avait pas fait exprès et elle ne pouvait pas risquer de perdre ainsi son seul ami parisien.

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