proposition 3

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Miscetto quitta l’ombre de l’auvent qu’avait déployé Lisette et alla s’étendre bien à plat à l’extrémité du balcon, sur le dallage clair que le soleil de juillet rendait brûlant. Quelques jours avaient suffi pour qu’il s’adapte à sa villégiature niçoise et la vie d’hôtel lui convenait parfaitement.

« C’est un chat philosophique », se dit Lisette. Ce mot entendu récemment l’enchantait et elle l’employait à tout propos. Elle ne put s’empêcher de laisser là son ébauche pour aller le caresser et en se relevant, elle jeta un coup d’oeil par dessus la rambarde. Un joyeux brouhaha montait de la foule estivale qui arpentait le chemin du bord de mer. Ce n’était qu’ombrelles blanches et tenues élégantes, charrettes tirées par des ânes et enfants accompagnés de leur bonne… Paris s’était installé sur la Côte, enfin le Paris qui avait les moyens de le faire.

On frappa. Son chapeau de paille à la main, Lisette traversa la chambre restée fraîche dans l’ombre des persiennes. Un domestique se tenait sur le seuil :

— Un colis pour vous, mademoiselle, dit-il poliment.

Encore étonnée d’être appelée mademoiselle, Lisette remercia timidement et prit le paquet qui lui était tendu. Mais le garçon resta planté là, semblant attendre quelque chose. Il aurait peut-être fallu qu’elle lui donne un pourboire… elle ne savait pas faire cela ni s’excuser de ne pas le faire. Comme elle allait fermer la porte sans un mot, il partit enfin avec une expression où elle crut lire du mépris. Il l’avait probablement percée à jour, se dit-elle. Il connaissait trop bien les riches pour ne pas sentir qu’elle n’était pas de ce monde depuis longtemps… Tant pis ! Un jour elle apprendrait à rendre mépris pour mépris…

D’ailleurs la curiosité effaça cette courte altération de son humeur : elle n’avait jamais reçu de colis de toute son existence. Il ne pouvait venir que du comte qui était reparti à Paris quelques jours auparavant : la publication de son nouveau livre qu'il allait présenter à ses amis académiciens, était imminente.

Elle s’assit sur le grand lit pour déchirer joyeusement le papier brun. C’était un livre. Son titre : « Souvenirs diplomatiques », s’étalait largement sur une couverture soignée. Elle l’ouvrit à la première page et la dédicace lui sauta aussitôt aux yeux :

— À Lise, mon rayon de soleil, sans qui ce livre n’aurait jamais vu le jour.

Émue elle se redressa.

Lise! C’était son nom de baptême, cela lui plaisait d’être appelée ainsi et non Lisette. Il lui sembla qu’on la prenait un peu plus au sérieux, qu’on la considérait davantage. Pendant quelques secondes, elle chercha un moyen d'obtenir un peu de respect de la part du valet de lui faire savoir que son don pour la sculpture, désormais reconnu, lui promettait une place de tout premier ordre dans le monde de l’art.

Et puis elle l’oublia à nouveau. En serrant le volume contre son coeur, elle repassa sur le balcon et se mit à contempler rêveusement la Méditerranée. Chaque vaguelette bleue qui étincelait semblait lui sourire et lui promettre le bonheur jusqu’à la fin du monde. Désormais elle oserait y croire.

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Loin dans le Nord, Soazick était debout sur la falaise. À ses pieds, les rouleaux venus du large venaient s’écraser l’un après l’autre et, inlassablement, le ressac ramenait en arrière les galets dans un grondement brutal. Juste avant que la vague n’éclate, l’eau se teignait fugitivement d’un vert très doux en dessinant une courbe qui explosait ensuite en écume blanche ... l’encolure et la crinière d’un cheval de mer.

Comme chaque fois qu’elle voyait quelque chose de beau, Soazick se demanda ce que Lisette en aurait dit. Sa pensée se tourna une fois de plus vers son amie. Elle leva la tête vers les nuages qui filaient vers le sud et à travers la pluie et l’espace, elle lui adressa à nouveau sa dernière question :

— Tu crois pas qu’on se reverra quand on sera grandes ?

                                                                    FIN

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