Chapitre 20 : « Nocturne n°13 »

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Nous étions sur le point de partir, lorsque la vieille femme que j’avais ramenée à la vie in-extremis, Hernanda, m’interpella depuis l’entrée de sa tente.

-Jeune fille ! Jeune fille ! m’appela-t-elle d’une voix faible et cassée.

Tout le groupe de résistants était prêt au départ et commençait à remonter le cratère progressivement. Je m’éloignai du bruit de l’attroupement pour m’approcher de la femme aux longs cheveux gris, qui lui donnaient un peu l’allure d’une gentille sorcière préparant des potions de plantes, dans une petite chaumière au fond de la forêt. Je l’imaginais se promenant dans les bois avec son panier d’osier, ramassant quelques feuilles par-ci et cueillant quelques fleurs par-là. Mais je m’égarais. Je vins à sa rencontre et elle me prit le bras, un large sourire aux lèvres.

-Avant que vous partiez, je tenais à vous remercier du plus profond de mon cœur chère enfant. On m’a dit que c’est grâce à vous que je suis encore en vie aujourd’hui et je vous en suis extrêmement reconnaissante, me remercia-t-elle avec une douceur et une sincérité qui me toucha et me fit chaud au cœur.

-Ne me remerciez pas, c’est normal. Je suis sûre que n’importe qui aurait fait de même, lui répondis-je gênée.

-Oh non, je ne pense pas… peu de gens se seraient soucié d’une vieille grand-mère comme moi ! En tous cas, faites bien attention à vous.

-Oui ne vous en faites pas.

Je lui adressai un sourire et elle lâcha mon bras pour me laisser partir. Je quittais le camp, émue par cette femme qui avait failli y laisser sa peau, alors qu’à présent elle respirait la joie de vivre. Il m’apparut soudainement si facile d’apporter mon aide à une personne dans le besoin, avec seulement quelques gestes et prises d’initiatives. J’avais sauvé une vie avec d’anciens conseils de mon père et en suivant mon instinct. Peut-être avais-je réellement des compétences particulières dans un domaine finalement ? Je m’étonnais à penser cela, maintenant que nous étions en route pour une tâche très dangereuse à laquelle j’allais participer et je n’avais aucune garantie d’en revenir indemne.

Je marchais à côté de Robin, équipée de ma veste à capuche, d’un sac de provisions et d’un poignard en clarosfène, comme chacun des hommes et des femmes qui avaient décidé de prendre part à cette ultime mission. James Cinekisse, en tant qu’ancien second du plus grand meneur de rébellions, Edmond Coronas, était à la tête du groupe naturellement. Nous avancions tous dans le silence, mais pas moins déterminés. Nous traversâmes ainsi le désert de terre rouge et essuyâmes une tempête de poussière avant de parvenir à la lisière de la haute dune qui longeait le côté Est de la cité. Nous la suivîmes en direction du Sud et parvînmes au cimetière des souvenirs en fin d’après-midi, juste avant que le soleil ne commence à descendre dans le ciel.

James ordonna à la majorité de la troupe de rester en dehors du grand terrain rempli des gigantesques écrans et de surveiller l’horizon. Ils ne devaient intervenir qu’en cas de problèmes, si les contrôleurs ou les Syrus devaient débarquer. Je faisais partie du groupe restreint choisi pour descendre à l’intérieur du cimetière. Robin m’accompagnait, avec James bien sûr et trois de ses camarades en qui il portait une entière confiance.

Nous nous faufilâmes entre les « sépultures » en tentant d’être les plus discrets possibles. Il n’y avait à priori personne d’autre pour l’instant, mais nous restions tout de même sur nos gardes. Nous commençâmes à examiner les écrans, à la recherche de Frédéric Chopin, ce qui ne fut pas aussi simple que nous l’espérions. Le cimetière des souvenirs était immense et nous ne connaissions pas la position exacte de celui-ci. Heureusement, les noms étaient indiqués sur des petites pancartes en-dessous de chaque écran, mais ce n’était pas suffisant pour être rapidement productif. Nous passâmes une bonne trentaine de minutes à parcourir l’étendue des tombes informatiques, avant que l’un des hommes de confiance de James finisse par repérer celle qui nous intéressait.

Nous nous étions éloignés les uns des autres pendant nos recherches et accourûmes au pied de l’écran devant lequel il s’était arrêté. Sur la petite pancarte, il était inscrit : « Frédéric Chopin, né le 1er mars 1810 et mort le 17 octobre 1849 ». Nous l’avions enfin trouvé et cela signifiait que l’horloge ne devait pas se trouver loin.

-Et qu’est-ce qu’on fait maintenant qu’on l’a trouvé ? demanda l’homme qui l’avait vu le premier, perplexe.

-Il faut lui parler, annonça Robin comme si c’était une évidence.

Comme pour illustrer ses paroles, il s’avança jusqu’à se retrouver juste en face de l’écran et posa le bout de ses doigts dessus, qu’il poussa ensuite vers le haut, dans un grincement désagréable qui nous fîmes tous nous boucher les oreilles. Un point blanc apparut au centre de l’écran et se mit à s’agrandir et rétrécir alternativement, quand soudain une voix grave et chantante se fit entendre.

-Bien le bonjour visiteurs, avez-vous donc daigné vous souvenir de mon existence ? annonça la voix. Il y a bien longtemps que l’on n’était pas venu me faire la conversation.

-Je suis enchanté de faire votre connaissance monsieur Chopin, je m’appelle Robin, répondit-il avec une véritable joie.

Dans un sens cela m’amusait de le voir revenir à ses vieilles habitudes. Robin m’avait dit dès notre rencontre qu’il appréciait beaucoup parler avec les esprits des morts. J’en avais à présent la preuve juste sous les yeux.

-Eh bien Robin, auriez-vous l’obligeance de me révéler la raison de votre appel ? soupira la voix, dans laquelle je distinguai une pointe de mépris. Car évidemment, nul être humain de cette ville ne viendrait me rendre visite sans une requête bien précise, n’est-ce pas ?

-Malheureusement, je ne pourrai pas vous contredire sur ce point monsieur… Si la situation n’avait pas été celle qu’elle est, je serai venu vous voir avec plaisir sans la moindre idée derrière la tête. Je peux vous assurer que je respecte énormément toutes les personnes qui ont été rassemblées ici.

Robin s’exprimait du mieux qu’il pouvait pour tenter d’amadouer le célèbre compositeur, mais je voyais qu’il était tendu et préparait à l’avance dans sa tête chacun de ses mots avec précaution. Il ne fallait en aucun cas risquer de froisser Chopin ou de le contrarier. Aussi nous nous tûmes tous pour le laisser parler. De nous tous, il était celui qui savait le mieux s’y prendre avec les grands esprits. Il avait l’habitude.

-Si vous le dites. Alors, ne me faites donc pas languir ! Que se passe-t-il et en quoi puis-je vous être d’une quelconque utilité ? s’impatienta la voix.

-Eh bien voilà, je ne sais pas si vous vous souvenez, mais il y a quelques années un homme venait vous voir souvent pour discuter. Il s’appelait Edmond Coronas et c’était mon père, lâcha Robin en déglutissant lorsqu’il sortit le nom de son père.

-Edmond Coronas ! s’écria la voix. Oui je me souviens de lui, un homme charmant et plein d’esprit ! Je fus par ailleurs très peiné qu’il ne soit pas revenu me voir depuis tout ce temps, dit-il nostalgique.

Le visage de mon ami se transforma et son sourire cette fois-ci, s’évanouit complètement.

-Donc vous n’êtes pas au courant… Il a été tué il y a maintenant trois ans, assassiné par les contrôleurs à cause de ses idées un peu trop… révolutionnaires.

Un silence pesant s’installa durant plusieurs secondes, avant que Chopin ne reprenne la parole, paraissant maintenant très affecté.

-Dieu du ciel… Je suis navré de l’apprendre. Votre père était un brave homme et je le regretterai, soyez-en sûr. Si je peux faire quoi que ce soit, je le ferai. Mon âme ne se trouve pas encore décrépie.

-Eh bien, en réalité, comme je vous le disais tout à l’heure, nous aurions grand besoin de votre aide, répondit Robin d’un air hésitant.

-Dites-moi.

-Certains de son groupe de résistants ont survécu et nous les avons rejoint avec une amie et nous savons que vous abritez, sous les ordres du gouvernement, une sorte d’horloge qui alimente les contrôleurs en une…

Chopin le coupa avant qu’il ait pu terminer sa phrase.

-Non pitié ! se désespéra-t-il. Votre père aussi s’intéressait beaucoup à l’horloge, mais je ne peux rien faire pour vous, je suis navré. Elle est bien gardée et elle le restera, répliqua-t-il fermement.

-Je vous prie écoutez-moi ! le supplia Robin. C’est vrai, je suis là pour achever sa tâche, mais réfléchissez un instant. Ce que le gouvernement fait est terriblement immoral ! Ils rendent des gens esclaves et s’en servent comme des pantins pour détruire la vie d’autres civils qui n’ont simplement pas eu la chance d’avoir une santé parfaite. Ne trouvez-vous pas cette pratique assez ignoble pour vous dresser contre eux ?

-Là n’est pas le problème jeune fils Coronas ! commença-t-il à s’énerver. Si je vous apportais mon aide, ils me feraient disparaître pour de bon et me trouveraient tout aussi rapidement un remplaçant pour protéger leur œuvre. C’est peine perdue.

James s’impatientait de plus en plus et s’agitait, voulant en finir rapidement. Je vis qu’il s’apprêtait à s’adresser au compositeur, mais je lui fis signe de ne rien faire et d’attendre calmement. Il était normal que celui-ci ait peur pour la suite, étant lui-même concerné si nous ne réussissions pas à aller jusqu’au bout des choses. Je trouvais cela parfaitement compréhensible. Il fallait d’autant moins le brusquer et lui laisser le temps de réfléchir et se laisser convaincre.

-Je vous en supplie monsieur Chopin. Vous êtes notre seul espoir. De plus, les chasseurs de souvenirs convoitent également l’horloge dans le but de la contrôler, pour imposer leur tyrannie.

-Jamais ils ne l’obtiendront, répliqua-t-il avec conviction.

-Vous ne savez pas de quoi ils sont capables, ils trouveront un moyen d’y accéder et n’hésiteront pas à vous faire du mal pour vous faire flancher.

J’avais remarqué que Robin soignait de moins en moins son langage envers Chopin. Il voulait lui aussi toucher au but et estimait sûrement qu’il n’était plus l’heure de le prendre avec des pincettes. Il fallait se dépêcher ou nous finirions par être rattrapés si quelqu’un passait dans le coin et nous voyait. La voix semblait en pleine réflexion, car elle ne disait plus un mot. Nous commençâmes à nous inquiéter qu’elle soit partie.

-Monsieur Chopin ? se risqua Robin.

Celui-ci répondit presque instantanément, à notre grande surprise.

-Je suis là. Imaginons… que je vous montre cette horloge, seriez-vous en mesure d’assurer la protection de mon âme ?

-Nous ferons tout ce que nous pourrons, je vous le promets, répondit mon ami en essayant de paraître convainquant. Je sais qu’au fond de vous, vous pensez comme nous. Alors faites-le, pour mon père si ce n’est pas pour nous.

-Si je le fais, ce sera pour toute la population de Christoval. En espérant que vous agirez comme il convient pour restructurer la ville.

-Bien évidement, c’est notre objectif premier, assura Robin.

Un nouveau silence s’installa, nous tenant tous les six en haleine, jusqu’à ce qu’une douce mélodie se lance depuis l’écran et se mette à raisonner dans tout le cimetière des souvenirs, le « Nocturne n°13 », composé par Frédéric Chopin. À peine la musique s’était-elle déclenchée, qu’une forte lumière blanche apparut et nous aveugla.

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