Altération
L'obscurité ne constituait pas une simple absence de lumière ; elle était une présence visqueuse, froide, presque une entité tangible collée à moi telle une seconde peau.
Bien avant que les premiers éclairs de ce cauchemar rouge déchirent le voile de ma réalité, elle s’était déjà ancrée en moi. Une part sombre, comme une lancinante mélancolie, une sourde tristesse qui me serrait constamment la poitrine, rendant chaque inspiration lourde et plus difficile que la précédente.
Alors, quand ces visions s’étaient imposées à moi, qu’elles avaient envahi chaque parcelle de mon être à la manière d’un virus, elles n'avaient fait qu'exacerber ce tourment préexistant, le transformant petit à petit en une terreur viscérale : chaque vision de ce monde baigné dans la sinistre lueur d'une lune de sang violait mon esprit et mon âme. L'émerveillement jadis ressenti devant le spectacle des heures vespérales s'évanouissait, supplanté par une angoisse prégnante propre aux visions de ces teintes funèbres.
Un simple rire, autrefois source de joie, se diluait dans les méandres de ma conscience jusqu’à devenir un gloussement monstrueux. La chaleur des rais du soleil sur ma peau se muait instantanément en froid glacial au contact de ce brouillard imaginaire auquel j’étais incapable d’échapper.
J’aurais voulu pouvoir partager ce fardeau, mais comment décrire l'horreur qui me submergeait sans passer pour un fou ? Imaginer les regards de pitié mêlés d'inquiétude m’était insupportable. La solitude, autrefois fuie, était devenue mon refuge, un havre de regrets, loin des regards faussement compatissants de ceux qui ne pourraient jamais comprendre l'abîme dans lequel je sombrais.
Lorsqu’il m’arrivait encore de me mêler à la vie, je me sentais tel un spectre errant parmi la foule, incapable de partager sa réalité, consumé par cette monstrueuse affliction qui, peu à peu, me rongeait.
Progressivement, la dépression, comme une veuve noire, tissait un cocon duquel je ne pouvais m’échapper, un suaire de plus en plus épais qui, lentement, m'étouffait. Je ne souffrais pas physiquement. Toutefois, une profonde lassitude, un désespoir qui rendait pénible chaque pensée, prenait possession de mon être. La vie perdait ses couleurs, ses saveurs, ses senteurs ; seul persistait le goût cendreux de la peur et l'odeur âcre de l'abîme qui s'ouvrait sous mes pieds.
Par un progrès presque imperceptible, la frontière entre le rêve et la réalité s'effaçait, me laissant halluciné, chaque jour plus incapable de distinguer la créature imaginée de l'ombre sur le mur.
Graduellement, mon état d’esprit se détériorait ; j’avais désormais l’impression de glisser vers une inexorable folie. Ces visions ne figuraient-elles pas les projections d'un esprit malade, cherchant à extérioriser une souffrance indicible ?
La vivacité de ces songes, qu’ils soient diurnes ou nocturnes, la persistance des visions de ce monde baigné de sang, la sensation grandissante que cet autre univers tentait de se substituer au mien, réduisaient chaque jour l’espoir qui demeurait en moi.
Parfois, une terreur lucide, entre deux cauchemars trop vivides, s'emparait de mon être : non, je n’étais pas fou ! Un autre plan d’existence, effroyable, cherchait vraiment à m’engloutir. J’étais prisonnier des tentacules visqueux d’un rêve trop authentique duquel je ne pouvais m’échapper, face à un ennemi invisible, mais d'une terrifiante réalité.
Cet astre de sang, même voilé par les nuages de mon ciel privé d’astres, parvenait à étendre son emprise sur mon âme, me laissant présager une fin où la folie ne serait plus une menace, mais une douce délivrance face à l'horreur imminente.
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