L'invité

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 Simon arpentait ces rues qu’il connaissait si bien. Alors qu’il tournait à l’angle d’un carrefour, il s’arrêta net au milieu du trottoir, complètement abasourdi. Le magasin vers lequel il se dirigeait n’était plus là. À la place, un grand centre commercial s’étalait face à lui. Et tout autour, d’autres commerces aussi avaient changé. La bijouterie était devenue un bar-tabac, le coiffeur une agence de voyages.

Simon resta quelques instants tétanisé, en état de choc. Puis il prit les jambes à son cou et courut jusqu’à chez lui sans s’arrêter.

Quand il déboula dans le hall de son appartement, il manqua à nouveau de hurler d’effroi. Des gens étaient là, tranquillement installés dans son canapé. Un homme, une femme et un petit garçon.

Incapable d’articuler le moindre son, Simon resta pétrifié. La panique, la terreur, la confusion le clouaient sur place. Tout ce qui lui arrivait ne pouvait pas être réel, non, il avait sans doute perdu l’esprit pour de bon… Le jeune homme avait beau chercher une explication, une justification de cette situation invraisemblable, aucune ne lui paraissait plausible.

Enfin, après ce qui lui parut durer une éternité, il parvint à récupérer le contrôle de ses pensées, de ses mouvements et de ses cordes vocales. Cette fois, il ne pouvait pas fuir. Il devait affronter ces squatteurs, leur faire peur, prévenir la police…

D’une voix qui lui sembla parvenir de très loin, il s’entendit vociférer toutes sortes d’injures à l’intention des intrus. Ces derniers l’ignorèrent superbement, le laissant s’égosiller dans le vide sans la moindre réaction.

– Eh ! beugla-t-il, aussi fou de rage que terrorisé. Vous vous foutez de moi ? Je vous cause !

Mais les inconnus ne montrèrent pas plus de signe qu’ils l’écoutaient. Désespéré, Simon songea un instant à leur balancer à la figure le vase posé sur l’étagère derrière lui – encore un élément qui ne lui appartenait pas –, mais se ravisa. Seul contre les deux parents, il ne ferait pas le poids par la force.

Alors qu’il commençait à perdre pied, que toute notion de rationalité lui échappait, une quatrième silhouette émergea de la cuisine. La vision coupa le souffle à Simon.

Son cerveau, refusant de traiter cette information, le laissa en état de sidération une fois de plus. Figé, médusé, le jeune homme contempla l’homme qui s’était planté face à lui.

– On… Oncle Benoit ? balbutia-t-il faiblement.

Un sourire triste lui répondit.

– Qu’est-ce que… Qu’est-ce qui m’arrive ? Tu ne peux pas être réel, c’est insensé… Tu es mort depuis des années…

– Tout comme toi, mon Simon, rétorqua l’apparition.

Un vertige saisit le jeune homme, qui flancha et se sentit chuter en arrière. Le visage serein de son oncle se pencha sur lui.

– Tu ne le sais donc pas ? murmura-t-il. Mon pauvre petit Simon… Malgré ce que tu pourrais penser, ton brusque décès a ébranlé toute la famille, figure-toi.

L’esprit tendit une main pour aider le jeune homme à se relever. Celui-ci l’ignora, trop sonné pour réagir. Il ne parvenait pas à détacher son regard de la vision surnaturelle, faisant abstraction des trois intrus sur son canapé, qui en faisaient autant.

– Non… Ce n’est pas…

– Tu fais partie de ces âmes qui errent sur Terre, à hanter les lieux qu’elles fréquentaient, sans se rendre compte qu’elles ont quitté leur enveloppe charnelle…

– Cette sensation bizarre… tout ce qui m’arrive… c’est parce que je suis… mort ?

Son oncle lui répondit d’un hochement de tête compréhensif. Le désarroi saisit Simon, qui comprit alors.

– Ce… ce soir où je me suis couché en me sentant étourdi…

– Une fuite de gaz. Perrito non plus n’a pas survécu. Vous ne vous êtes jamais réveillés le lendemain.

Comme assommé, Simon fixa ses mains sans les voir vraiment.

– Les voisins ont appelé les pompiers lorsque l’appartement a commencé à prendre feu, mais il était trop tard pour vous, expliqua encore son oncle. Et depuis tu n’es qu’un esprit qui erres. Je suis venu te prévenir. Il faut que tu quittes ces lieux, Simon.

Le jeune homme leva la tête, ahuri, et protesta :

– Mais je ne peux pas ! C’est chez moi, ici ! Ces gens…

Son oncle observa un instant les nouveaux habitants de l’appartement.

– Crois-moi, l’au-delà vaut mieux que ce vieux deux-pièces… Tu dois me suivre, Simon.

Ce dernier se leva brusquement, révolté. Les émotions le saisirent comme une tornade.

– C’est n’importe quoi ! Tout ça ne peut pas être réel !

Il se précipita sur le balcon, enjamba la balustrade. Et sauta.

La chute lui parut durer une éternité. Les six étages défilèrent comme par flashs sous ses yeux.

Quand il fut par terre, étalé au sol sans une égratignure ni la moindre douleur, il sut qu’il ne délirait pas.

Son oncle à ses côtés, toute peur se dissipa soudain dans son cœur. Les yeux pétillants qui le fixaient lui insufflèrent un profond sentiment de sérénité. Il savait qu’il n’avait rien à craindre, et rien à faire ici non plus.

Il poussa un profond soupir. Tout semblait prendre à sens neuf à ses yeux.

– Jolie pirouette.

– Tu me feras une visite guidée ? s’enquit Simon en se redressant. De l'au-delà ?

Son oncle sourit.

– Evidemment. Tu es mon invité VIP.

Et il l’entraina à sa suite vers le ciel et ses nuages indifférents.

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