Dernière douceur

Une minute de lecture

Rosie avance lentement. Rien ne la presse.

Sa fine canne parvient péniblement à maintenir, dans un équilibre précaire, ses frêles jambes et le lourd fardeau de ses années.
Ses petits pas la portent doucement vers le jardin. Derrière elle, la porte de la terrasse est restée négligemment ouverte. Un souffle chaud lui frôle la nuque. Le printemps est enfin arrivé.

Le dernier hiver lui parut si long, si froid.

Même Moustache, son vieux matou, n’a pas survécu à sa rigueur. Il était devenu son unique compagnie depuis que son tendre mari l’avait quitté. Elle se sentait maintenant terriblement seule. Encore quelques efforts pour atteindre le large banc en mélèze qui l’attend sous le cerisier en fleur.

– Nous y sommes, dit-elle de sa voix tremblotante, ce n’était pas facile mais le voyage en vaut la peine.

La nature renaît à l’ouverture de cette saison, et le jardin s’en trouve magnifié.
Le soleil, de ses chauds rayons, caresse cet écrin de nature et dépose des reflets cuivrés sur chacune des touches de couleur. Les muscaris bleutés, le carmin des tulipes, l’or des dernières jonquilles et de la rangée de forsythia.
Bien calée entre le dossier et l'accoudoir, Rosie se détend lentement. Les mains posées sur son tablier, paumes levées vers le ciel. Elle hume le parfum léger des primevères, écoute le bruissement des insectes, admire une dernière fois son monde bigarré, et ferme les yeux.

Son passé lui revient.

Les joies, les peines, les amours.

Elle revoit en songe sa vie passée comme un guerrier contemple le champ de bataille après la victoire. Une victoire à quel prix ? Pour combien de sacrifices ?

Elle est lasse.

Sa poitrine peine à soutenir le rythme lent de sa respiration. Une cage invisible semble la ceinturer. Elle se gonfle dans un ultime effort, expulse un souffle chuintant et s’immobilise. Tranquillement, comme la mèche d’une bougie privée de cire, la flamme de Rosie s'éteint. Reste une braise, une fumée, le néant.

Une brise légère se lève, message de l'au-delà. Les fleurs du cerisier se détachent à son passage. Pluie rose. L’une d’elles se dépose délicatement au creux de la main de Rosie.

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