CHAPITRE 2   Un drôle d’héritage  (Repris)

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 — Bonjour, Augustin, s’éleva une voix derrière lui.

 Le jeune homme sursauta et fit pivoter son fauteuil. Dans l’encadrement de la porte, une vieille dame lui souriait. Elle boitilla jusqu’au tableau de Maryse qu’elle observa quelques instants. Augustin en profita pour fourrer le coffret et l’enveloppe dans sa sacoche couverte de stickers.

 — Je connaissais bien Maryse, reprit-elle au bout d’un moment. Je l’aimais beaucoup. Quant à Justin, même s’il n’a pas toujours été l’homme que tu as connu, c’était quelqu’un d’exceptionnel. Dans notre jeunesse, nous venions souvent les voir en Angleterre. Lorsqu’ils ont déménagé à Boston, nous leur rendions visite plusieurs fois par an. Ils vont beaucoup me manquer.

 — Qui êtes-vous ? demanda timidement Augustin.

 — Oh, oui, j’oubliais. Tu ne te souviens sûrement pas de moi. La dernière fois que je t’ai vu, tu n’avais que huit ans. Je m’appelle Colette Duval. Mon mari, Claude, était l’un des meilleurs amis de Justin. Ils se sont rencontrés en France pendant la Seconde Guerre mondiale.

 Elle s’approcha du bureau de Justin et observa le petit tas d’objets étalés sur le sous-main. Elle attrapa le cadre photo en évitant de faire tomber un pistolet FN Browning à la crosse nacrée exposé sur un socle.

 — Où as-tu trouvé cette photo ? Je croyais que tes arrière-grands-parents avaient perdu tous leurs albums lors d’un déménagement ?

 — Elle était rangée dans le tiroir avec mes jouets, expliqua Augustin.

 — Tu sais que j’ai exactement la même dans mon salon ? Elle a été prise à Bundenthal, le dix-huit décembre 1944.

  La vieille dame posa son index sur le petit cliché en noir et blanc. Assis sur la carcasse d’un char Tigre nazi, une dizaine de GI américains souriaient au photographe. Au premier plan, six hommes accroupis prenaient la pose.

 — Tu vois les résistants devant le char ? C’étaient les meilleurs amis de Justin. Il y a Jacques et René, les jumeaux, précisa madame Duval. Juste ici, à gauche, c’est Louis. À côté, c'est Justin, avec son bandage à la main. Et là, sur la droite, avec sa Thompson sur l’épaule, c’est Claude, mon mari. Ça ne se remarque pas beaucoup sur la photo, mais il avait une tâche de naissance sur le cou qui descendait jusqu’à sa poitrine. Je lui disais toujours qu’il s’agissait de sa marque de fabrique.

  À l’évocation de ce souvenir, les yeux de Colette se voilèrent. Elle caressa tendrement le visage jauni de son mari, puis elle reposa le cadre là où elle l’avait trouvé.

 — Qui est l’homme avec le casque sur la tête, à côté de Justin ?

 — C’était son cousin. Un américain qui a disparu à la fin de la guerre.

 — Papy avait un cousin américain ? s’exclama le jeune homme en écarquillant les yeux. Il ne m’en a jamais parlé. Comment s’appelait-il ?

 — Augustin ! s’écria Audrey en déboulant dans la pièce. Qu’est-ce que tu fais ? Papa et maman te cherchent partout. La cérémonie va bientôt commencer !

 — Je vais devoir y aller. C’est bientôt l’heure de mon discours. Ma fille va s’inquiéter. Elle pense que je deviens sénile, s’esclaffa la vieille dame en traînant des pieds jusqu’à la porte. C’était un plaisir d’avoir discuté avec toi.

 Elle hésita quelques instants, tourna la tête vers Augustin et ajouta.

 — Au fait. S’il t’arrive dans les prochains jours de te réveiller dans un endroit sombre et humide, ne sors pas par le soupirail, s’il te plaît.

 Et elle disparut dans le couloir.

 — Qu’est-ce qu’elle raconte ? fit Audrey en la suivant du regard.

 — Aucune idée ! répondit Augustin en haussant les épaules.

 Le jeune homme suivit sa sœur jusqu’au chapiteau où Lisa les attendait, les mains sur les hanches.

 — Ah, vous voilà ! Venez avec nous, les membres de la famille ont une place au premier rang.

 James et la fille de madame Duval aidèrent cette dernière à monter sur l’estrade et lui tendirent le micro. Elle sortit un papier de sa poche et se racla la gorge.

 — J’ai connu Justin Augun alors que la plupart d’entre vous n’étaient même pas nés. Je l’ai rencontré à Troyes, en 1941, pendant l’occupation allemande. À cette époque, c’était un homme très différent. Il n’avait pas un sou en poche. Il était un peu effacé et réservé. Les jours sombres et les épreuves difficiles qu’il a traversées l’ont parfois fait dévier de sa route. Personne n’aurait pu soupçonner qu’il deviendrait un jour l’un des plus grands résistants français. Avec le soutien de mon mari et de ses amis, il a pris confiance en lui. Il a prouvé son courage et sa grande force morale en effectuant des missions qui ont sauvé la vie de centaines de personnes et contribué à affaiblir le régime nazi. Après la guerre, il s’est installé en Angleterre où il a rencontré sa femme, Maryse. Ensemble, ils ont fait le tour du monde et se sont battus pour construire leur avenir. Grâce à leur travail acharné et à leur amour, ils se sont bâti un empire, une fortune colossale qu’ils lèguent aujourd’hui à leur descendance. Mais Justin était avant tout mon ami. Je me souviens qu’il…

 Augustin n’écoutait plus. Des larmes coulaient le long de ses joues. La longue existence de son arrière-grand-père avait été ponctuée d’aventures incroyables, d’une magnifique histoire d’amour, d’amitiés sincères et durables. Quatre-vingt-dix-neuf années de souvenirs et d’expériences extraordinaires.

 Même si Augustin aimait profondément son arrière-grand-père, il se sentait jaloux, en colère, révolté. Il enviait toutes ces choses qu’il n’aurait jamais l’occasion d’expérimenter. Il n’avait pas d’amis, ne voyagerait jamais. Aucune femme ne partagerait sa vie. Combien de temps lui restait-il avant de mourir ? Quelques années, dans le meilleur des cas. Son cœur s’emballait. Combien de battements avant que celui-ci ne s’éteigne définitivement ? Combien de traitements, de souffrances, de journées vides de sens ? Cette injustice se répandait dans ses veines comme un venin. Il suffoquait, ses oreilles bourdonnaient. Le cercueil de Justin oscillait en face de lui. Ses muscles secoués de spasmes incontrôlables ne lui obéissaient plus.

 — Aidez-moi ! Augustin a fait un malaise ! hurla Audrey en se redressant de sa chaise.

Trente minutes plus tard, le jeune homme était admis aux urgences du Brigham and Women’s Hospital.

 Après toute une batterie d’examens, la sentence s’abattit sur Augustin comme un couperet. Un chirurgien à la mine sinistre lui avait annoncé le lendemain matin que son insuffisance respiratoire nécessitait une intervention dans les plus brefs délais, et qu’il devrait procéder à une trachéotomie.

Boston, soirée du 29 mai 2018

 La pleine lune inondait la chambre d’hôpital d’une lueur fantomatique. Allongé sur son lit, Augustin ne parvenait pas à trouver le sommeil. Il ne supportait plus de devoir rester enfermé ici à regarder les heures défiler et le bruit des machines lui tapait sur les nerfs.

 Il ressassait en boucle la discussion qu’il avait eue avec le médecin le jour même. Celui-ci avait jugé que son état ne lui permettait pas de rentrer chez lui. Il s’en voulait de ne pas avoir pu assister à la mise en terre du cercueil de Justin qui reposait désormais dans le cimetière du cottage, aux côtés de Maryse.

 Épuisé par toutes ces ruminations, il appuya sur la télécommande pour redresser sa tête de lit. Puisqu’il était réveillé, il comptait en profiter pour rattraper ses cours. Il tendit son bras et attrapa sa sacoche posée sur sa table de chevet. En farfouillant à l’intérieur, ses doigts frôlèrent le coffret en acajou. Les évènements récents l’avaient tellement ébranlé qu’il en avait oublié cette trouvaille. Il posa le coffret sur ses genoux, décacheta l’enveloppe et déplia la lettre qui lui était adressée.

 Des phrases incompréhensibles avaient été écrites sur la feuille. Augustin soupira, persuadé que Justin lui avait fait une mauvaise blague. Frustré, il la chiffonna et s’apprêta à la jeter, mais il se ravisa. Tout en bas de la page, une seule phrase lisible lui avait tapé dans l’œil. Il aplatit la lettre sur sa couverture et la défroissa avec la paume de sa main.

 — La machine à explorer le temps de H.G.Wells, lut-il à voix haute.

 Un large sourire se dessina aussitôt sur le visage du jeune homme. Les souvenirs des soirées où Justin lui avait appris à utiliser les méthodes de cryptage utilisées lors de la Seconde Guerre mondiale lui revinrent en mémoire. Il attrapa sa tablette et téléchargea le livre mentionné par son arrière-grand-père. Il prit un crayon, un bloc de papier et griffonna.

 Après quelques minutes de travail, le message fut enfin déchiffré.

Comté de Boston 11 mai 2018

 Augustin fronça les sourcils. Comment son arrière-grand-père avait-il pu écrire cette lettre le jour de son décès, alors qu’il était censé être alité et mourant ? Peut-être avait-il senti sa fin approcher et avait demandé à James de la rédiger à sa place?

Mon cher Augustin,

C’est avec une très grande émotion que je t’écris ces quelques mots. J’ai toujours su que ce jour viendrait. Je t’ai appris à décrypter les messages codés pour qu’après ma mort, tu sois le seul capable de lire cette lettre. Le secret que je m’apprête à te révéler a bouleversé ma vie et bouleversera aussi la tienne.

Tu trouveras dans ce coffret un cadeau très particulier. Il s’agit du journal intime d’une chanteuse allemande. Elle s’appelait Éva Kaltenbrun. Son carnet est un lien entre ton futur et mon passé. Il fut un temps où j’étais bien différent de celui que tu as connu. Grâce au journal de cette femme, tu pourras me retrouver. Aide-moi à découvrir et devenir qui je suis afin de préserver le destin de nos proches.

Cet échange de bons procédés t’apportera les réponses aux questions que tu te poses. Je sais que ta maladie ne te donne guère d’espoir pour ton avenir, mais ne baisse pas les bras. Tout est sur le point de changer. Suis ton instinct, reste toi-même et écoute ton cœur.

Je peux désormais partir l’esprit tranquille.

Avec tout mon amour, ma tendresse et mon affection,

Justin.

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