CHAPITRE2:« Un drôle d’héritage »

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Boston, 11 mai 2018

 Dans l'ensemble du pays comme à l'international, le décès de Justin fit les gros titres des journaux télévisés qui diffusèrent plusieurs reportages sur la vie et l’empire du multi milliardaire. Cet ancien résistant Français était devenu un géant mondial de l'industrie, et il avait largement contribué à la relance économique d'après guerre.

 Augustin se sentait affligé devant le battage médiatique entourant la mort de son arrière-grand-père. Il détestait particulièrement les journalistes et spécialistes qui pensaient tout connaître à son sujet.

 Il resta donc muet les jours qui suivirent, y compris à l’enterrement, auquel une foule compacte était venue lui rendre hommage. Il ne s’exprima pas plus lorsque le notaire leur signifia que son grand-père, ses grands-oncles et grand-tantes ainsi que leurs enfants respectifs héritaient de son immense fortune.

 Alors que le notaire annonçait les dernières volontés de Justin, Augustin, perdu dans ses pensées, contemplait la baie vitrée qui lui renvoyait son propre reflet.

 La richesse cumulée de l’empire Augun était vertigineuse. Même si Justin avait eu de nombreux descendants, il resterait assez d’argent pour subvenir aux futurs besoins d’une dizaine de générations. Malgré ça, Augustin ne pouvait s’empêcher de ressentir de l’amertume. Tout cet argent ne serait d’aucune utilité pour lutter contre sa maladie. Combien de temps lui restait-il à vivre ? Deux, peut-être trois ans avec de la chance…

 Il était en colère contre la vie et même s’il ne l’avait jamais reconnu, il était envieux de la vie qu’avait pu mener son arrière-grand-père. Justin Augun avait vécu cinq fois plus longtemps que son corps défaillant ne le lui permettrait.

 Il fut pris d’une quinte de toux et sentit qu’il ne respirait plus. Il appuya sur son bouton d’urgence, prévenant immédiatement ses parents.

Comté de Boston, 29 mai 2018

 Suite à sa trachéotomie, Augustin avait été envoyé pour se reposer dans la maison de campagne de son arrière-grand-père. Ce petit cottage niché dans un parc arboré de 36 hectares à l’écart de Boston était de la plus pure tradition américaine.

 Possédant moins d’une dizaine de pièces réparties sur un seul niveau, la maison témoignait de la simplicité de vie qu’avaient eue ses arrière-grands-parents. Malgré l’immense fortune qu’ils avaient amassée au cours de leur longue vie, ils n’avaient jamais cessé d’y vivre.

 Toute la famille avait pris l’habitude de s’y réunir, aussi dans ses dernières volontés, Justin avait insisté pour que la maison reste un refuge pour chacun de ses membres.

 C’est pour respecter cette volonté qu’Arthur, l’ainé des trois enfants de Justin, avait organisé un grand vide maison. Celle-ci, surchargée d’objets qu’ils avaient accumulés tout au long de leur vie, avait besoin d’un bon ménage de printemps. Une bonne partie du clan Augun s’était donc réunie, si bien que le cottage d’ordinaire si calme, était plus animé qu’un champ de foire.

 Arthur, le grand-père d’Augustin, était donc à la manœuvre. Il avait donné à chacune et chacun une tâche bien précise.

 Pour sa part, Augustin, accompagné de ses deux sœurs, Lisa et Audrey, devaient s’occuper de ranger la grande bibliothèque.

 Ce dernier les observait emballer dans des cartons des dizaines d’œuvres d’art qui seraient offertes aux musées de la ville. Rien n’avait bougé depuis la mort de Maryse. Ce lieu était devenu un sanctuaire aux yeux d’Augustin qui était attristé de voir tous ces souvenirs disparaître aux quatre vents.

Même si ses sœurs lui affirmaient le contraire, Augustin avait la désagréable impression d’être inutile.

— C’est marrant, on fait le tour du monde, dit soudain Audrey en rangeant une statuette égyptienne dans un carton.

— Maryse et Justin ont voyagé dans de nombreux pays. Répondit Augustin avec difficulté, gêné par le tuyau qui lui permettait de respirer.

Encore une chose que je ne pourrai jamais faire, songea-t-il.

 Perdu dans ses sombres pensées, il quitta la bibliothèque. Traversant le couloir il salua Arthur, aux prises avec sa sœur concernant le partage des tableaux. Ne voulant pas en savoir d’avantage, il s’avança vers le bureau de son arrière-grand-père qui était resté figé dans le temps, comme le reste de la demeure.

 Les meubles de cette immense pièce étaient assez espacés pour que son navire à quatre roues puisse circuler aisément dans la pièce. Les rayons du soleil traversaient la grande baie vitrée, et inondaient le bureau d’une lumière apaisante.

 Au-dessus de la cheminée trônait un grand cadre photo. Le cliché avait été pris à Marxheim le 26 avril 1945 pendant la Seconde Guerre mondiale. On y voyait des G.I. posant devant la carcasse encore fumante d’un char allemand. Au milieu d’entre eux, quatre résistants français, coiffés de béret, se tenaient fièrement. L’un d’entre eux, la main recouverte d’un bandage, n’était autre que Justin. Augustin se remémora les questions qu’il posait à propos de cette période qui l’horrifiait autant qu’elle le fascinait.

 Le jeune homme « navigua » vers le grand bureau style napoléon situé devant la baie vitrée. De son bras valide, il caressa machinalement le plateau en chêne qui recouvrait le meuble en se souvenant que, petit, il jouait souvent ici.

 Comme tous les enfants, il y avait fait des bêtises et ses parents l’avaient fréquemment réprimandé. Curieusement, Justin prenait systématiquement sa défense, et ce malgré les dégâts qu’il occasionnait. Il leur disait souvent qu’on a qu’une seule jeunesse. S’il avait su qu’un jour il finirait dans ce fauteuil, Augustin en aurait certainement bien plus profité.

 Un petit sourire espiègle au coin des lèvres, il effleura une balafre qui défigurait le bois. Elle datait de l’époque où il se prenait pour un chevalier. Le bureau avait été un formidable dragon vaincu par une épée, une vieille canne noire à la poignée nacrée...

 Ses doigts s’arrêtèrent sur deux loquets en cuivre dissimulés sous le plateau du bureau. Il se souvint alors qu’il y avait une trappe secrète dans le bureau, dont seuls Justin et lui connaissaient l’existence. Il appuya dessus et le tiroir se libéra dans un léger déclic.

 Par chance, celui-ci était à sa hauteur. Il regarda à l’intérieur et en sortit un modeste coffret en bois blanc, plus petit qu’une boîte à chaussures. Il le saisit par la poignée dorée située à son sommet. L’objet était léger, et malgré la fébrilité de son bras, il put aisément le poser sur ses genoux. Une serrure à code en protégeait l’ouverture. Il remarqua un papier avec une phrase écrite en allemand : « Pour mon petit fils : Augustin ».

 Son arrière-grand-père parlait couramment l’allemand, il avait toujours apprécié cette langue. Malgré la guerre et l’occupation, il avait toujours nourri une forte passion pour la culture germanique. C’était certainement la raison pour laquelle il avait poussé ses descendants à apprendre cette langue.

 Pour accéder au contenu, Augustin devait composer un code à quatre chiffres. D’instinct et sans trop vraiment y croire, Augustin essaya son année de naissance. Il y eut un déclic et le coffre se déverrouilla.

— Presque trop facile... Murmura-t-il interloqué. Il souleva le couvercle et découvrit à l’intérieur un joli bracelet patiné. Une chaine en argent reliait entre elles des perles noires recouvertes de symboles en or.

 Son regard s’arrêta sur un carnet en cuir rouge, pas plus grand qu’un livre de poche. Piqué par la curiosité, il s’en saisit et commença à feuilleter l’ouvrage. Étonnamment, toutes les pages étaient trouées et noircies d’une écriture manuscrite aux lignes fluides. C’était de l’allemand.

 Il plissa légèrement les yeux en découvrant que la majorité des feuilles étaient maculées de sang séché. En palpant la couverture, il sentit une bosse. Il resta figé quelques instants en s’apercevant qu’il s’agissait d’une balle de revolver encore logée dans l’épaisse couverture.

À qui donc appartenait ce livre ? Pourquoi Justin l’avait-il gardé ? S’interrogea-t-il.

 Après avoir vérifié que ses sœurs étaient occupées, il posa le livre sur le bureau et constata qu’il y avait un second livre au fond de la boîte. Il s’en empara.

 Plus volumineux que le premier, il renfermait des clichés en noir et blanc, sur lesquels apparaissaient une jeune femme qui devait avoir son âge. Il crut d’abord qu’il s’agissait de photos de jeunesse de son arrière-grand-mère, mais ce n’était pas le cas. Un commentaire au bas de chaque photographie lui renseigna son nom : Éva Kaltenbrun.

 Fasciné par la sincérité et la joie de vivre se dégageant de cette jeune femme, Augustin resta de longues minutes à contempler la beauté de son visage et la profondeur de son regard.

 Les onze coups de l’horloge le tirèrent de sa rêverie. En regardant la vieille comtoise au balancier fissuré, il soupira.

Son père serait bientôt là pour le ramener à l’hôpital et lui répéterait des dizaines de fois de ne pas oublier ses rendez-vous.

 Il était épuisé par tous ces traitements qui lui semblaient inefficaces, et ne rallongeraient certainement pas son espérance de vie. Il s’y pliait de bonne grâce, uniquement pour rassurer sa famille.

 Préférant cacher sa trouvaille, il glissa les livres dans la besace grise et délavée, accrochée à son fauteuil. Bardée de pin’s provenant du monde entier, celle-ci l’accompagnait partout. Augustin remit le coffret vide dans sa cachette. Intrigué par ce mystère à élucider, il s’avança vers la sortie.

Boston, 29 mai 2018

 La pleine lune baignait l’hôpital d’une lueur fantomatique. À cette heure tardive, tous les patients étaient plongés dans un profond sommeil. Augustin quant à lui n’arrivait pas à dormir. L’image de cette femme tournait sans cesse dans son esprit.

 Il ouvrit les yeux, et de son bras valide, attrapa la télécommande de la chambre. Il appuya sur l’écran tactile et ouvrit l’application qui l’intéressait pour relever son buste.

 Le lit s’exécuta et lui permit de se remettre en position assise. La pièce était plongée dans un lourd silence, troublé par le bruit intermittent des appareils médicaux.

 Prenant soin de ne débrancher aucune machine, Augustin s’empara de sa besace. Il farfouilla dans la sacoche et en sortit le livre à la couverture rouge. Il remarqua une carte glissée entre les deux premières pages. Au premier abord, il n’y vit que des lettres alignées qui semblaient n’avoir aucun sens. Puis il se remémora les soirées passées avec son arrière-grand-père, à déchiffrer des textes codés utilisés par les alliés et leurs opposants pendant la Seconde Guerre mondiale. Il prit un crayon et commença à griffonner. Après quelques minutes de travail, le message de son arrière-grand-père fut enfin déchiffré.

« Comté de Boston, le 27 avril 2018 »

 Surpris, Augustin interrompit sa lecture. C’était la date de la mort de son arrière-grand-père. Comment aurait-il pu écrire ce message alors qu’il était alité et mourant ? Il supposa qu’il avait simplement demandé à l’un de ses fidèles majordomes d’écrire pour lui.

Mon cher Augustin,

Depuis ta naissance, j’ai toujours su qu’après ma mort je devrais te faire partager mon secret.

Petit, tu aimais les énigmes et le décryptage de codes secrets, et le fait que tu lises ces lignes me confirme que tu t’en souviens toujours. Il était indispensable que toi seul puisses traduire et décrypter ce texte.

Tu as dû découvrir en ouvrant ce coffre un journal intime taché de sang. Il appartenait à l’actrice Éva Kaltenbrun. J’imagine que tu te demandes pourquoi il est en ma possession. Tu auras la réponse, mais pas tout de suite.

Lis son journal intime et tu découvriras le destin tragique de cette jeune femme. Je suis responsable de sa disparition ainsi que celle de son amant.

Sers-toi de l’album photo qui l’accompagnait pour reconnaître son visage. Ce que tu vas y découvrir ne doit en aucun cas être révélé, afin de préserver le destin de ceux que nous aimons.

Pourquoi tant de mystère ? Songea Augustin, intrigué par les mots de son arrière-grand-père. Poussé par la curiosité, il se remit à lire.

Je te réserve un cadeau bien particulier. Tu devras découvrir seul la raison pour laquelle il t’est destiné. Disons qu’il s’agit d’un échange de bons procédés. Désolé d’être avare en explications, je n’ai pas le choix.

Je sais que ta maladie ne te donne guère d’espoir pour ton avenir et qu’il n’y a pas eu d’évolution malgré les recherches effectuées par nos laboratoires, mais rappelle-toi ce que je t’ai toujours dit :

Ne baisse pas les bras, même dans les moments les plus sombres de ta vie il y a toujours une solution.

Tendrement, ton arrière-grand-père, Justin Augun

 Augustin resta de longues minutes à contempler le livre taché de sang. Devait-il le lire ? Quel secret son arrière-grand-père voulait-il lui léguer ? Il ne savait pas s’il avait vraiment envie de le découvrir.

 Il commença à feuilleter le livre et s’arrêta sur la première page. Il mit un moment à comprendre que les premiers mots étaient écrits en Grec ancien, qu’il avait étudié au lycée. Il traduisit donc aisément le texte qu’il avait sous les yeux :

« Il y a des choses dans la vie que l’on ne peut pas comprendre, et d’autres qui restent immuables. Mais lorsqu’elles vous entraînent vers de nouveaux horizons, il est inutile de lutter. »

 Le jeune homme tourna la première page et découvrit que la suite du texte était rédigée en Allemand. La calligraphie était fine et légère, pleine de boucles élégantes. Il n’y avait aucun doute, c’était l’écriture d’une femme…

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