CHAPITRE 5 « Une évasion bruyante »

8 minutes de lecture

 Je mis quelques instants à reprendre mes esprits. Si j’analysais bien la situation, je me retrouvais en France occupée, en pleine seconde guerre mondiale. L’homme en face de moi était de toute évidence un résistant, capturé par les ennemis.

 Que devais-je faire ? Je pouvais aider cet homme. Je ne risquais rien, surtout s’il s’agissait d’un simple rêve, du moins j’essayais de m’en persuader.

— Bon alors, la torture, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? Parce que je commence à m’ennuyer, lança l’homme avec dédain.

 Je réfléchis rapidement. Justin m’avait souvent parlé de lui et de ses anciens camarades. Émergeant de ma mémoire embrumée, un prénom me revint : Claude. J’allai le prononcer, mais n’étais pas censé le connaître, je me ravisai.

— Ne vous inquiétez pas, je suis de votre côté, tentai-je de le rassurer en détachant ses liens.

— Tu n’aurais pas pu me le dire plus tôt ? Comment es-tu entré ici ? Le bâtiment grouille de Schleus.

J’éludai la question en entrouvrant la porte de la cellule.

— On verra ça plus tard.

Claude se massait les avant-bras, les cordes l’avaient marqué au sang.

— Justement non, si tu es entré sans te faire remarquer, on peut sortir de la même façon. N’étant pas sûr de pouvoir lui faire confiance, je décidai de clore le sujet.

— Ce n’est pas possible, il va falloir trouver une autre échappatoire.

— Tu as une arme ? me demanda Claude.

— Non.

— Décidément, tu n’es pas très utile.

 Sa remarque m’ayant piqué au vif, je le fusillai du regard.

— Je peux vous rattacher, si vous voulez ! Les Allemands auront peut-être d’autres questions à vous poser.

 Claude, l’air inquiet, examina les outils étalés sur l’une des tables. Il s’empara d’un couteau à la lame effilée. Constatant que ce dernier était couvert du sang du précédent « client », il concéda.

— C’est bon, je plaisante, je te remercie, tu me tires d’un sacré merdier.

J’ouvris prudemment la porte et crus apercevoir une silhouette qui descendait les escaliers. Je refermai précipitamment.

— Quoi ? m’interrogea Claude.

— Quelqu’un arrive.

 Au même moment, la poignée en porcelaine se mit à bouger. Claude me poussa contre le mur et porta son index sur ses lèvres, m’intimant de garder le silence.

Il se colla contre moi. La porte s’ouvrit vers nous, nous dissimulant à moitié. L’homme qui venait juste d’entrer portait un uniforme allemand et son fusil en bandoulière, un Mauser 98K.

Il remarqua rapidement que la chaise était vide. Surpris, il s’apprêta à donner l’alerte, mais Claude ne lui en laissa pas le temps.

— Aler… tenta-t-il de bafouiller, la voix étouffée par la main de Claude qui, sans la moindre hésitation, lui trancha la gorge. Du sang gicla dans la pièce.

 Choqué, je restai pétrifié, incapable de réagir face à cette scène d’une extrême violence. Mon pouls s’accéléra et l’odeur métallique du sang ne fit qu’exacerber mon mal-être. Pris de nausées, je rendis mon dernier repas sur les pieds de Claude qui recula d’un air dégoûté.

— Ça va ? s’inquiéta-t-il en voyant que je suai à grosses gouttes.

— J’ai besoin de m’asseoir, murmurai-je.

— Prends la chaise.

Une fois assis, mon malaise se dissipa.

— Comment t’appelles-tu ? m’interrogea Claude.

— Augustin.

— Et bien, Augustin, je crois que je sais comment sortir d’ici. Restes là, je n’en ai pas pour longtemps. Encore nauséeux, j’observai Claude se diriger vers le couloir, me laissant seul avec le cadavre du soldat allemand dont les yeux vides semblaient m’accuser.

 Je fis une prière silencieuse pour lui. J’étais plutôt du genre athée, mais je ressentais le besoin de faire quelque chose. Le rêve virait au cauchemar et j’avais hâte qu’il prenne fin.

 Claude revint quelques minutes plus tard avec des vêtements dans les bras. Il s’agissait d’un uniforme de la Wehrmacht flambant neuf.

— J’étais sûr d’avoir vu un vestiaire lorsqu’ils m’ont conduit ici. dit-il d’un air satisfait.

Et je suis censé en faire quoi ? demandais-je naïvement. Souriant, Claude m’annonça avec fougue :

— Tu vas devenir un soldat allemand !

*

* *

— Arrête de paniquer, chuchota Claude qui avançait devant moi. Je ne me sentais pas à l’aise dans cet uniforme trop grand pour moi. Nous étions devant la porte qui donnait sur le rez-de-chaussée. Le bâtiment grouillait de militaires armés jusqu’aux dents. En les voyant, je compris qu’ils n’étaient pas là pour plaisanter et murmurai à l’oreille de Claude.

— Ce n’est vraiment pas une bonne idée…

— Tu as une meilleure solution à me proposer ? questionna-t-il, irrité.

— Euh… grommelai-je.

— C’est bien ce que je pensai. Ce n’est pas le moment de faire marche arrière, la moindre erreur de ta part risque de nous coûter la vie. me répondit-il agacé. Voyant que j’hésitai, il ajouta d’un ton autoritaire :

— Il va falloir qu’on y aille…

— Si vous le dites…

— N’oublie pas que je suis un prisonnier, alors ne sois pas tendre, dit-il en s’avançant. Mon cœur battait la chamade et mes mains moites tremblaient légèrement.

 Le large couloir couvert de tomettes rouges desservait de nombreuses pièces transformées en bureaux. Des femmes en uniforme tapaient consciencieusement sur des machines à écrire. Le son métallique des touches, les soldats que nous croisions, la sonnerie des vieux téléphones me donnaient l’impression de participer à une reconstitution historique !

 Captivé par cette scène surréaliste, je déviai de mon chemin et bousculai quelqu’un. Surpris, mes yeux se posèrent sur une jeune femme blonde, visiblement exaspérée, qui se pencha pour ramasser la dizaine de documents éparpillés au sol. Alors qu’elle se redressait, elle m’invectiva en Allemand.

— Idiot, vous ne pouvez pas regarder où vous allez ?

 Constatant que de nombreuses personnes nous dévisageaient, et me sentant responsable, je me baissai pour l’aider en oubliant complètement Claude. La femme était à genoux. Je constatai qu’elle portait la jupe réglementaire kaki de la Wehrmacht. Je ramassai les feuilles les plus proches, puis je les lui tendis en m’excusant dans sa langue natale, afin de ne pas me compromettre.

 Lorsqu’elle leva les yeux vers moi, je fus subjugué par son regard pétillant, d’un bleu profond. Le temps sembla s’arrêter l’espace d’un instant. Son visage arrondi dégageait quelque chose de singulier et mon cœur se mit à pulser dans ma poitrine. Malgré l’urgence de la situation, je me sentis incapable de réagir devant son charme naturel.

 Elle récupéra les documents étalés sur le sol et les rangea dans une chemise en carton. J’avais l’impression d’avoir déjà rencontré cette femme et pourtant c’était impossible.

— Ce n’est rien. Je vais faire en sorte d’oublier votre maladresse, murmura-t-elle. Sa voix était douce et chantante. Me relevant, je lui tendis la main, l’invitant à prendre appui sur mon bras.

Lorsqu’elle me toucha, une vague de chaleur m’enveloppa tout entier.

Je ne vous ai jamais vu ici. lança-t-elle, surprise.

Je déglutis, toujours hypnotisé. J’inventai rapidement un mensonge.

Je viens d’arriver.

Vous avez un drôle d’accent, remarqua-t-elle en tenant la chemise en carton contre sa poitrine.

J’avais du mal à détacher mes yeux des siens et les mots restaient coincés dans ma gorge.

— J’ai l’impression de vous avoir déjà vu.

— Je ne crois pas, répondis-je, embarrassé.

Elle allait ajouter quelque chose lorsque son regard fut attiré par une autre femme qui lui faisait signe.

Excusez-moi, on m’attend. À plus tard, peut-être, finit-elle par dire en se mordant la lèvre inférieure.

 Je la regardai s’éloigner vers le large bureau où sa collègue l’attendait. Je ne pus m’empêcher d’admirer sa silhouette gracieuse s’appuyer sur le pupitre en bois.

 Réalisant que je restais planté, comme un idiot au milieu de la pièce, je repensai alors à Claude. Je balayai le couloir des yeux, mais il n’était plus là.

 Habillé comme il l’était, il n’aurait pas pu aller bien loin sans se faire remarquer. J’inspectai discrètement un premier bureau, mais il était vide. Alors que je me dirigeai vers la seconde porte, deux Allemands vêtus d’uniformes noirs de la Gestapo passèrent à côté de moi.

— On a retrouvé les pilotes de l’avion anglais qui s’est écrasé il y a quelques jours ? demanda l’un d’eux.

— Oui, l’un était mort et l’autre a balancé tout ce qu’il savait avant de mourir. C’était juste un vol de reconnaissance.

 Je fixais le sol pour ne pas me faire remarquer, la peur au ventre. Une fois qu’ils furent hors de mon champ de vision, je repris ma recherche.

J’entrai dans une troisième pièce, à l’intérieur de laquelle une dizaine d’armes étaient entreposées. J’y retrouvai Claude, affairé devant une caisse en bois. Il se retourna immédiatement en me braquant avec un pistolet luger P38.

— Qu’est-ce que… commença-t-il, mais il abaissa aussitôt son arme.

Tiens, te voilà ! tu as fini de roucouler avec ta blonde ?

 Encore chamboulé, et sous le coup de l’émotion, j’ignorai son sarcasme en secouant la tête d’un air distrait.

Remarquant Claude qui farfouillait frénétiquement dans les caisses en bois, je l’interrogeai :

— Que faites-vous ?

— Arrête de me vouvoyer, on a quasiment le même âge ! j’ai profité de ta diversion avec la blonde. Bonne idée, j’ai tout de suite compris ton plan en voyant l’armurerie. Une chance, ils y stockent tout ce qu’ils nous confisquent.

Devant mon regard interrogateur, il ajouta, un large sourire malicieux s’étirant sur son visage.

— Je leur laisse une petite surprise avant de partir. Maintenant, filons. Il ne vaut mieux pas rester ici. Sans attendre, il passa devant moi et sortit de la pièce les mains dans le dos.

Nous étions presque arrivés devant la grande porte lorsqu’un officier de la Gestapo m’arrêta.

Et vous là ! Qui vous a autorisé à laisser sortir le prisonnier ?

La gorge sèche, je lui répondis en bafouillant.

— Ordre du général. Ma réponse ne sembla pas le convaincre, car il porta la main à son Holster.

— Le général est absent depuis une semaine. Il n’est même pas au courant que nous détenons cet homme. Qui êtes-vous ?

 Claude réagit rapidement et le poussa violemment, mais ce dernier s’empara de son arme et nous mit en joue. La situation provoqua l’alerte dans le bâtiment. Une dizaine de soldats s’avancèrent vers nous en nous menaçant de leur pistolet-mitrailleur. Nous étions cernés de toute part.

— Halt ! s’écrièrent-ils.

— Tire-leur dessus ! S’exclama Claude.

 Paralysé par la peur, j’étais incapable de réagir. Réalisant qu’il n’y avait pas d’issue, Claude soupira. Il lâcha son arme et posa ses mains sur sa tête en marmonnant :

— Et merde, on y était presque… un conseil, couche-toi…

 Il n’eut même pas le temps de finir sa phrase qu’un bruit assourdissant résonna dans le bâtiment, suivi d’une déflagration. Le souffle de l’explosion pulvérisa la porte de l’armurerie et provoqua une puissante onde de choc qui nous propulsa au sol.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 10 versions.

Vous aimez lire ThomasRollinni ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0