CHAPITRE 5  Une évasion bruyante (Repris)

7 minutes de lecture

Dijon, 10 décembre 1941

 L’information sembla flotter quelques instants autour de moi avant d’être assimilée par mon cerveau. Il n’y avait plus aucun doute, j’étais forcément en train de rêver ! Je me tapotai les joues pour essayer de me réveiller, mais rien ne se produisit.

 — Qu’est-ce qui te prend ? me questionna « Claude », les sourcils froncés.

 — Rien du tout ! Je suis juste un peu fatigué.

 — Oh… Pauvre petit ! Tu voudrais peut-être que je m’apitoie sur ton sort alors que tes camarades viennent de fusiller quatre innocents ?

 — Je n’y suis pour rien !

 — Oui, oui bien sûr… Tu parles très bien le français pour un allemand. C’est pour ça qu’ils t’ont demandé de venir m’interroger ?

 — Mais je ne suis pas allemand, je n’ai rien à voir avec ces types ! Je suis américain. J’ai été scolarisé dans un lycée français et…

 — Tu n’aurais pas pu me le dire plus tôt ? m’interrompit "Claude" avec impatience. Tu vas m’aider, ou tu comptes me laisser croupir ici ?

 — Promettez-moi de ne pas me sauter à la gorge à la première occasion !

 — Je ne suis pas un sauvage !

 Avec un peu d’appréhension et une bonne dose de méfiance, je m’approchai de « Claude » et détachai ses liens.

 — Comment es-tu arrivé jusqu’ici avec tous ces schleus qui surveillent le bâtiment ? se renseigna-t-il en se frottant les poignets. Si tu as réussi à entrer sans te faire remarquer, on peut sortir de la même façon.

 — C’est impossible, il va falloir trouver une autre échappatoire.

 — Tu as une arme ?

 — Bien sûr que non !

— Décidément, tu n’es pas très utile.

 Piqué au vif, je lui lançai un regard assassin.

 — Je peux vous rattacher si vous préférez ! Les allemands auront peut-être d’autres questions à vous poser.

 — C’est bon, je plaisante… Je te remercie, tu me tires d’un sacré merdier.

 Je m’avançai d’un pas mal assuré vers la sortie et collai mon oreille contre le chambranle. Le couloir semblait silencieux. Je poussai la porte avec discrétion, mais au moment où nous nous apprêtions à en franchir le seuil, des rires se répercutèrent dans le hall et des ombres s’étendirent sur le sol.

 Je tirai « Claude » par le bras et refermai précipitamment derrière nous.

 — Qu’est-ce qu’il y a ? me souffla-t-il en reculant.

 — Quelqu’un arrive…

 La poignée en porcelaine se mit à tourner. « Claude » me poussa contre le mur et porta son index sur ses lèvres, m’intimant de garder le silence. Il s’empara de l’un des couteaux qui traînaient sur la table et se serra contre moi.

 Un homme en uniforme, fusil à l’épaule, pénétra dans la salle d’interrogatoire. Il marqua un léger temps d’arrêt en constatant que la chaise de son prisonnier était vide.

 — LE DETENU…

 « Claude » se jeta sur lui et lui plaqua une main sur la bouche pour l’empêcher de crier. Il brandit la lame du couteau et lui trancha la gorge. Du sang gicla dans la pièce.

 Je restai figé, les yeux grands ouverts, les mains tremblantes, incapable de réagir. L’odeur du sang, la vision du cadavre gisant à mes pieds me retournèrent l’estomac. Je rendis mon dernier repas sur les pieds de « Claude » qui recula d’un air dégoûté.

 — Ça va ? s’inquiéta-t-il en voyant que je suai à grosses gouttes.

 — Je croyais que vous n’étiez pas un sauvage… murmurai-je en m’asseyant sur la chaise.

 — Je n’avais pas le choix. Si je n’avais pas réagi, tous ses petits copains auraient rappliqué dans la seconde. Comment tu t’appelles ?

 — Augustin…

 « Claude » retourna le corps d’un geste du pied. Il récupéra le fusil que l’homme portait en bandoulière et me le tendit.

 — Enchanté, Augustin. Moi, c’est Claude. Je crois que j’ai une idée pour nous sortir d’ici.

*

* *

 — Arrête de paniquer, tu vas nous faire repérer, me prévint Claude en poussant la porte qui donnait sur le rez-de-chaussée.

 Le bâtiment grouillait de militaires armés jusqu’aux dents qui n’avaient pas l’air d’être là pour plaisanter.

 — Ce n’est pas une bonne idée… protestai-je en vacillant.

 — Tu as une meilleure solution à me proposer ?

 — Non…

 — C’est bien ce que je pensais. Ce n’est pas le moment de faire marche arrière. La moindre erreur de ta part risque de nous coûter la vie. Tâche d’être convaincant !

 — Oui, ça va, j’ai compris…

 — N’oublie pas que je suis censé être un prisonnier, alors ne sois pas tendre, acheva Claude en s’avançant dans le large couloir carrelé de tomettes rouges.

 Des officiers entraient et sortaient des bureaux, d’autres discutaient en allemand de tactiques militaires, des femmes en uniforme martelaient les touches de machines à écrire étincelantes et des téléphones à cadran rotatif sonnaient à intervalles réguliers.

 Captivé par cette scène surréaliste, je déviai de mon chemin et bousculai une jeune femme. Elle lâcha un soupir sonore puis se pencha pour ramasser la dizaine de documents éparpillés au sol.

 — Espèce d’idiot, vous ne pouvez pas faire attention ?

 Je m’agenouillai aussitôt et rassemblai un petit tas de feuilles que je lui tendis en m’excusant. Je ne pus m’empêcher de songer à Justin qui avait tant insisté pour que j’apprenne l’allemand… Il venait probablement de me sauver la vie !

 La jeune femme s’empara des dossiers que je lui présentai et se releva. Lorsque nos regards se croisèrent, le brouhaha ambiant se dissipa. Mon cœur palpitait. Une agréable sensation de chaleur bouillonnait au creux de mon ventre. Malgré son regard sévère, la douceur et l’élégance de ses traits donnaient à son visage une expression lumineuse, raffinée.

 — Je suis vraiment désolé, m’excusai-je à nouveau. Je ne vous avais pas vu…

 — Ce n’est pas grave. Je suis un peu tendue en ce moment. Le Général Hoffman m’a surchargée de travail, m’expliqua-t-elle en souriant.

 Je savais qu’il aurait été plus prudent de tourner les talons et de rejoindre Claude, mais je ne parvenais pas à la quitter des yeux. Un peu gênée, elle entortilla autour de son index l’une de ses mèches blondes qui retombaient le long de son chignon.

J’ai l’impression que nous nous sommes déjà rencontrés, déclara-t-elle au bout d’un moment. Vous êtes en poste à Dijon ?

Euh… non… c’est que… je viens tout juste d’arriver, bredouillai-je, hypnotisé et intimidé. Vous devez me confondre avec quelqu’un d’autre.

 — Je suis pourtant presque certaine de vous avoir déjà vu, insista-t-elle en m’examinant. Vous avez un drôle d’accent, d’où venez-vous ?

 Mais elle fut interrompue dans sa réflexion par une femme qui lui adressait de grands gestes de la main.

Excusez-moi, je vais devoir vous laisser. À plus tard, peut-être, finit-elle par dire en se mordant la lèvre inférieure.

 Cloué sur place, je continuai de la suivre des yeux lorsque les rouages du système se remirent à fonctionner dans ma tête. Où était parti Claude ? Habillé comme il l’était, il n’aurait pas pu aller bien loin sans se faire arrêter. Je jetai un bref coup d’œil dans les bureaux alentours mais ils étaient tous vides. Deux officiers en uniforme noir, plongés en pleine conversation, passèrent à côté de moi en me frôlant l’épaule.

 — On a retrouvé les pilotes de l’avion anglais qui s’est écrasé il y a quelques jours ? entendis-je l’un d’entre eux demander à l’autre.

 — Oui. Le premier est mort et le deuxième a balancé tout ce qu’il savait avant de rendre l’âme. C’était un simple vol de reconnaissance.

 Je baissai la tête et attendis qu’ils se soient suffisamment éloignés pour reprendre ma déambulation à la recherche de Claude. Je n’eus besoin que de quelques minutes pour le trouver, accroupi dans l’armurerie. En m’apercevant, il se releva en un éclair et braqua une arme vers moi.

Oh, c’est toi ! s’exclama-t-il avec soulagement. Tu as fini de roucouler avec ta blonde ?

 Il abaissa son revolver. Après l’avoir fourré à l’arrière de son pantalon, il se pencha et fouilla dans une caisse en bois.

 — Qu’est-ce que vous faites ?

 — Arrête de me vouvoyer, on a quasiment le même âge ! J’ai profité de ta diversion avec la blonde. C’était une bonne idée. T’es un petit malin, Augustin, dit-il en m’adressant un clin d’œil. Je leur laisse une petite surprise avant de partir. Maintenant, filons d'ici. Il vaut mieux ne pas rester là.

 L’air réjoui, il passa devant moi et sortit de la pièce les mains dans le dos.

 Alors que nous approchions du hall d’entrée, un soldat en uniforme noir se posta devant nous et nous barra le chemin.

Eh, vous là ! Qui vous a autorisé à laisser sortir le prisonnier ?

 — Ordre du Général Hoffman, bafouillai-je, la gorge sèche.

 Il nous examina un court instant et se gratta le menton. Une chevalière ornée d’un aigle et d’une croix gammée brillait autour de son annulaire. Il fit un pas en arrière et porta la main à son Holster.

 — Le général est absent depuis une semaine. Il n’est même pas au courant que nous détenons cet homme. Qui êtes-vous ?

 Claude dégaina, mais une dizaine de soldats s’avancèrent vers nous en nous menaçant de leurs pistolets-mitrailleurs.

 — Baissez vos armes ! s’écrièrent-ils d’une même voix.

 — Et merde, grommela Claude en lâchant son revolver. On y était presque ! Un conseil, couche toi…

 Une déflagration pulvérisa la porte de l’armurerie et une puissante onde de choc nous propulsa au sol.

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