CHAPITRE 6 Sauvetage in extremis (Repris)

5 minutes de lecture

 Un vent de panique se répandit à l’intérieur du bâtiment lorsque les flammes s'échappèrent du local. Des cris retentirent autour de nous. Les soldats couraient dans tous les sens. Ils s’agglutinaient devant la grande porte, se poussaient entre eux et se ruaient à l’extérieur.

 Un sifflement infernal bourdonnait dans mes oreilles et m’empêchait de comprendre ce que Claude essayait de me dire. Une odeur de brûlé m’agressait les narines et me piquait la gorge. J’avais du mal à respirer. La chaleur était insoutenable. Ma tête vacillait et je suai à grosses gouttes.

 Claude m’empoigna par le col de ma veste et m’aida à me redresser. D’un pas chancelant, je le suivis en titubant jusqu’à la sortie.

 — Au secours ! entendis-je une femme crier derrière moi.

 Je me retournai aussitôt. La jeune femme blonde que j’avais bousculée un peu plus tôt était étendue par terre. Elle me suppliait du regard. Une armoire renversée lui bloquait les jambes. Le feu se propageait à toute vitesse et des objets calcinés s’effondraient autour d’elle.

 — Viens ! hurla Claude en me tirant par le bras.

 — Elle va mourir ! protestai-je en me dégageant.

 — Ce n’est qu’une nazie, laisse-la ! Ça en fera une de moins.

 Après un instant d’hésitation, je me précipitai vers elle. Avec toute la force qu’il me restait, je poussai le meuble rempli à ras bord, mais il ne bougea pas d’un millimètre.

 Il fallait absolument que je trouve un objet pour faire levier. Je plaçai ma main en visière pour me protéger les yeux et scrutai les alentours, mais la fumée était si épaisse que je ne voyais rien.

 — Votre fusil… gémit la jeune femme entre deux toussotements.

 Je retirai l’arme que je portai toujours en bandoulière et me hâtai de la positionner sous l'armoire.

 — Vous êtes prête ? lui demandai-je en Anglais.

 Elle acquiesça d’un signe de tête. J’appuyai alors de tout mon poids sur la barre  improvisée. Le meuble se souleva légèrement et la jeune femme s’en extirpa en rampant. Je passai mon bras autour de sa taille et l’aidait à se relever. Au moment où nous franchissions la porte, une poutre incandescente se brisa en deux et s’écroula juste derrière nous.

 Au loin, nous entendîmes rugir la cloche d’un camion de pompier qui approchait à vive allure. Nous débouchâmes dans une cour d’honneur surpeuplée de militaires qui s’agitaient autour de bâtiments austères. Les officiers hurlaient des ordres que les soldats affolés n’écoutaient pas.

 Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale. La température glaciale de l’extérieur contrastait avec la fournaise de l’incendie.

 J’accompagnai la jeune femme un peu plus loin pour éviter de me faire remarquer, puis m’allongeai par terre, les bras en croix. J’avais respiré tellement de fumée qu’il me fallut un bon moment pour reprendre mon souffle. Au-dessus de moi, la pleine lune jouait à cache-cache avec les nuages.

 Lorsque mon malaise se fut dissipé, je me redressai et m’adossai contre un muret en pierres.

 — Merci, me dit la jeune femme, les mains tremblantes. Vous m’avez sauvé la vie.

 — Ne me remerciez pas. Je n’aurais jamais eu la conscience tranquille si je vous avais laissé mourir.

 — Vous êtes Américain ?

 — Pas du tout ! m’empressai-je de répondre.

 Même si je ne comprenais rien à ce qui m’arrivait, je ne tenais pas du tout à me faire torturer ou me retrouver ligoté à une chaise comme l’avait été Claude un peu plus tôt. Tous les soldats que j’avais croisés à l’intérieur du bâtiment parlaient allemand et portaient des uniformes d’officiers de la Seconde Guerre mondiale. Ils n’avaient pas hésité à abattre quatre personnes et à pointer leurs fusils sur nous. Claude avait égorgé l’un des leurs et avait fait exploser une bombe dans l’armurerie. Si quelqu’un nous avait vus ensemble, j’étais fichu.

 — Dans ce cas, pourquoi me parlez-vous en anglais depuis quinze minutes ? insista la jeune femme d’un air amusé.

 La bouche entrouverte, je me levai d’un bond et reculai de quelques pas, mais elle me retint par la manche.

 — Ne vous inquiétez pas. Je ne vous dénoncerai pas.

 Je l’observai avec méfiance. Elle m’adressa un sourire rassurant et m’invita à me rasseoir.

 — Vous êtes blessé ? m’interrogea-t-elle en jetant un coup d’œil à ma main. Laissez-moi regarder.

 Lorsque ses doigts se refermèrent sur mon poignet, un picotement désagréable me fit tressaillir. Une large brûlure s’étalait sur le dos de ma main.

 Elle fouilla dans la poche de sa veste et en sortit un mouchoir brodé de deux initiales : E.K.

 Elle interpella un soldat qui passait par là et lui ordonna de lui confier sa gourde. L’officier s’exécuta et fila sans attendre qu’elle la lui rende. Elle rinça ma plaie, puis noua le morceau de tissu autour de ma blessure.

 — Vous devriez soigner votre brûlure avant qu'elle ne s’infecte.

 — Merci beaucoup, mais j’ai déjà connu bien pire, m’esclaffai-je en repensant à toutes les opérations que j’avais subies.

 Nos regards se croisèrent à nouveau. Mon cœur se remit à palpiter. Une bouffée de chaleur m’envahit et mes joues s’empourprèrent. Je baissai aussitôt la tête en faisant mine de rattacher mes lacets. Au même moment, elle écarquilla les yeux, tendit son index vers mon autre poignet et s’écria.

 — Mais, c’est mon bracelet !

 Son visage s’illumina d’un large sourire.

 — Oh ! C’est à vous ? Je l’ai trouvé dans la cave, précisai-je en le détachant. Je vous le rends. Vous le porterez bien mieux que moi !

 — Que faisiez-vous là-bas ?

  Je ne répondis rien. À une cinquantaine de mètres devant moi, le sous-officier allemand à la chevalière qui nous avait interpellés, Claude et moi, me dévisageait. Il s’adressa à ses camarades, pointa sa cravache dans notre direction, puis s’avança vers nous à grandes enjambées.

 — Je suis désolé, mais je vais devoir partir… annonçai-je à la jeune femme en me relevant.

 Alors que je m’apprêtai à prendre la fuite, un soldat surgit de nulle part et me décocha un coup de poing dans le ventre. Le soufflé coupé, je me recroquevillai et m’affalai par terre en me massant les côtes.

 La jeune femme s’interposa entre nous, mais l’officier la repoussa d’un geste de la main. Il fut très vite rejoint par ses camarades qui m’encerclèrent aussitôt.

 — Vous allez payer pour l’attentat que vous venez de commettre ! vociféra l’un d’entre eux.

 Je tentai de prendre appui sur mes mains pour me redresser, mais la crosse de son fusil s’écrasa sur ma tempe. Mes jambes et ma tête vacillèrent. Un épais brouillard se répandit lentement dans mon esprit.

 — Que faisiez-vous avec cet homme, Éva ?

 — J’étais coincée dans le bâtiment. Il a risqué sa vie pour sauver la mienne ! entendis-je la jeune femme protester.

 — C’est un terroriste ! C’est lui qui a posé la bombe dans l’armurerie !

 — Vous n’avez aucune preuve ! Laissez-le partir !

 — Vous êtes la fille du Général Kaltenbrun ! Vous devriez faire plus attention à vos fréquentations. Que penserait votre père s’il savait que vous défendiez un ennemi ?

 — Je vous répète que cet homme m’a sauvé la vie ! Il n’est pas un meurtrier…

 — Ça suffit, Éva ! le coupa l’officier d’un ton sans réplique. Il ne fera pas exception à la règle. Il sera fusillé comme les autres ordures de son espèce.

 Les voix du soldat et de la jeune femme s’évanouirent peu à peu. Ma vue se brouilla. Mes muscles s’engourdirent. Le bracelet d’Éva glissa le long de mes doigts et tomba par terre juste avant que mon esprit ne sombre dans le néant.

Annotations

Vous aimez lire ThomasRollinni ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0