CHAPITRE 10 Le maquis (Repris)

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 Jean se leva, ouvrit la porte de la pièce et m’invita à le suivre.

 — Je vais devoir partir, Claude. Augustin sera sous ta responsabilité. Donne-lui des vêtements appropriés, sinon, l’un d’entre nous va l’égorger, prévint-il avant de se retirer.

 Je me sentais soulagé d’être sorti indemne de cet interrogatoire même si je soupçonnais Jean d’avoir demandé aux autres de me surveiller. Ma future rencontre avec Justin m’enthousiasmait. J’avais hâte de voir à quoi il ressemblait dans sa jeunesse, et surtout, de découvrir pourquoi il m’avait envoyé ici.

 — Bienvenu au maquis, Augustin. Comme tu peux le constater, l’endroit est un peu lugubre. Nous sommes dans les souterrains d’une ancienne forteresse perdue en pleine forêt, à quelques kilomètres de Troyes, m’annonça Claude en me guidant dans un dédale de couloirs mal éclairés. Nous nous sommes servis de notre réserve pour t’interroger. J’espère que tu ne nous en veux pas top. Il faut comprendre mes camarades, ils sont méfiants.

 Nous pénétrâmes dans un dortoir plutôt sommaire à l’intérieur duquel des lits vétustes avaient été alignés le long des murs. Claude ouvrit la porte d’une vieille armoire en bois et en sortit une pile de vêtements qu’il me tendit.

 — Ils sont un peu usés, mais ils sont propres et confortables. Nous n’avons pas de quoi chauffer le bâtiment, donc couvre-toi bien.

 — Tu peux regarder ailleurs, s’il te plaît ?

 — Ne t’inquiète pas, tu n’es pas du tout mon genre, ricana Claude qui consentit tout de même à me laisser un peu d’intimité.

 Je retirai mes chaussures et mon uniforme que je posai par terre.

 — Qu’est-ce que tu as sur la poitrine ? s’enquit Claude qui s’était retourné sans me prévenir.

 — Ce n’est rien, répondis-je en me hâtant d’enfiler un pantalon à bretelles.

 Je jetai un œil à la blessure que j’avais remarqué en sortant du puits de la Kommandantur. Elle n’était plus douloureuse et avait cicatrisée en quelques heures seulement. Peut-être qu’ici, je possédais des pouvoirs surnaturels, un peu comme « Naruto » avec son démon renard à neuf queues. Mais en enfilant ma chemise, le tissu frotta contre ma brûlure au poignet. Ma peau toujours à vif me faisait souffrir. Mes fantasmes de super-héros s'envolèrent aussitôt.

 — C’est beaucoup mieux comme ça ! m’assura Claude lorsque j’eus terminé de me changer. Tu ne ressembles plus à un sale schleu. Que dirais-tu d’une petite visite ?

 Claude s’improvisa guide et me conduisit jusqu’à l’extérieur du bâtiment. Les ronces et les lierres avaient envahi les vestiges des murs d’enceinte. L’édifice était parfaitement camouflé parmi la végétation et invisible depuis le ciel. Il ne restait de l’immense forteresse médiévale que les vastes sous-sols qui serpentaient sur des kilomètres sous terre.

 — Quand j’étais enfant, nous venions jouer ici avec mes copains. Nous n’avions pas le droit d’y aller car c’était trop dangereux, mais nos parents n'en ont jamais rien su. Lorsque les boches ont débarqué, mes amis ont eu l’idée d’y installer le maquis, me raconta Claude en se faufilant dans une trappe camouflée par des fougères.

 À l’intérieur, des dizaines de salles avaient été aménagées avec les moyens du bord. Malgré le délabrement apparent du lieu, nous étions très loin de l’amateurisme. Chaque pièce de ce complexe clandestin avait son propre usage.

 Dans l’une d’entre elles, un poste radio permettait aux résistants de capter les messages en provenance de Londres. Claude m’expliqua que les antennes avaient été dissimulées dans les branches d’un sapin qui avait poussé dans les ruines d’une tour.

 Un ancien cachot servait désormais de QG. Des cartes de la région étaient éparpillées sur une table et indiquaient les positions des troupes allemandes.

 La cellule d’à côté avait été transformée en armurerie. Des fusils, des pistolets, des caisses de munitions et une quantité d’explosifs non négligeable avaient été rangés sur des étagères.

 — Comment vous êtes-vous procuré tout ça ? demandai-je, les yeux ronds.

 — Volés à l’ennemi, mon cher. Ou plutôt, récupérés à l’ennemi.

 — C’est pour tuer des Allemands ? dis-je en apercevant une arbalète qui traînait par terre.

 Claude s'esclaffa bruyamment.

 — Bien sûr que non ! Nous disposons de moyens plus efficaces pour nous défendre. C’est à Jaël, un gamin qui nous a rejoints. Il l’a trouvé chez ses parents et nous l'a rapporté en pensant qu’on pourrait s’en servir…

 Des éclats de voix et des échos de pas précipités retentirent dans les couloirs du bâtiment.

 — Claude, CLAUDE !

 — Tiens ! Quand on parle du loup…

 Un enfant d’à peine douze ans, la tignasse en bataille, se rua vers nous en bousculant des hommes qui discutaient. La respiration haletante, il s’arrêta devant Claude dans une glissade mal maîtrisée.

 — Claude ! Il paraît qu’il y a un Américain ici !  s’écria-t-il d’un air surexcité.

 Claude se baissa et lui caressa les cheveux.

 — Les nouvelles vont vite, Jaël.

 — Où est-il ? J’ai plein de questions à lui poser !

 — Il est juste derrière toi !

 Le jeune garçon se retourna et m’examina de haut en bas. Son sourire s’évanouit aussitôt et ses épaules s’affaissèrent.

 — C’est lui l’américain ? demanda-t-il, visiblement déçu.

 — Tu t’attendais à quoi ? répondis-je, vexé.

 — Je ne sais pas… Où sont vos holsters et votre chapeau, monsieur ?

 — Je l’ai perdu quand mon avion s’est écrasé, mentis-je en réprimant un éclat de rire. Comment sais-tu que je portais un chapeau ?

 — J’ai vu des Américains dans un film ! Ils avaient tous des chapeaux de Cowboy !

 — Bon, Jaël, tu peux nous laisser ? l’interrompit Claude. Nous avons des choses à faire.

 — D’accord, à plus tard monsieur l’américain !

 Le garçon fit volteface et disparut aussi vite qu’il était arrivé.

 — Vous enrôlez de très jeunes recrues ! plaisantai-je en le suivant des yeux.

 — La Gestapo a arrêté ses parents. Ils étaient juifs… Nous n’avons reçu aucune nouvelle d’eux depuis des mois. En attendant, nous le cachons ici.

 Un frisson me parcourut l’échine. Les horribles images des camps de concentration défilèrent soudain dans mon esprit.

 Quelques minutes plus tard, Claude m’invita à entrer dans un réfectoire d’où s’échappait une odeur alléchante. Mon ventre se mit à gargouiller. Je n’avais rien avalé depuis des heures.

 Claude s’installa à côté de deux jeunes hommes qui se ressemblaient comme deux gouttes d’eau et me fit signe de les rejoindre.

 — Augustin, je te présente les jumeaux, Jacques et René.

 Je relevai brusquement la tête et les observai avec insistance. Ces prénoms et ces visages me revinrent alors en mémoire. La vieille madame Duval me les avait montrés sur la photo prise à Bundenthal. Eux aussi avaient été des amis et des compagnons d’armes de Justin. Je n’arrivais pas à y croire. Allais-je faire la connaissance de tous les proches de mon arrière-grand-père ? Je n’avais toujours pas rencontré Louis ni ce fameux « cousin américain ».

 Mon rythme cardiaque s’accéléra à cette pensée. Ce cousin américain… Se pourrait-il qu’il s’agisse de moi? Je ne parvenais pas à me souvenir de son visage. Madame Duval m’avait raconté qu’il avait disparu après la guerre. Cela signifiait-il que je resterais ici pendant quatre ans ? Je me trompais forcément. Justin devait avoir d’autres cousins que je ne connaissais pas.

 — Qu’est-ce qui t’arrive, Augustin ? m’interpella Claude en déposant un morceau de pain et un bol de ragout devant moi. Les jumeaux ne mordent pas, tu peux t’asseoir !

 Je saluai Jacques et René, plongeai ma cuillère dans la drôle de tambouille et la portai à ma bouche.

 — Cette viande est délicieuse. Qu’est-ce que c’est ?

 — Vous n’en mangez pas, aux États-Unis ? m’interrogea l’un des jumeaux en laissant échapper un petit rire narquois.

 — Ça ne me dit rien du tout.

 — C’est du nazi premier choix ! claironna-t-il, un large sourire aux lèvres.

 Mon estomac se retourna. Je recrachai aussitôt dans ma main le morceau que je n’avais pas encore avalé en retenant un haut-le-cœur.

 — Vous mangez de la viande humaine ?

 — Oh, tu sais, les nazis ne sont pas vraiment humains.

 — Mais … Vous êtes… Dégueulasses !

 — Pas de gaspillage chez nous ! On en a tué un l’autre jour, on l’a dépecé, désossé, et voilà le résultat.

 — Je crois que je vais vomir… me lamentai-je en me levant de ma chaise, le teint cireux.

 — Ce que tu peux être crédule, Augustin, pouffa Claude en me donnant une grande claque dans le dos. C’est du cerf ! Jean en a chassé un en début de semaine. Personne ne voudrait manger du boche, ils sont pourris jusqu’à la moelle.

 — Ce n’est pas drôle… Vous m’avez coupé l’appétit.

 Mais face à l’hilarité générale, je ne pus m’empêcher de rire à mon tour.

 À la fin du repas, Claude m’accompagna jusqu’au dortoir. Quelques personnes, dont le jeune Jaël, dormaient déjà profondément.

 — Installe-toi ici pour cette nuit, chuchota Claude en me désignant un lit.

 Il retira ses chaussures et s’allongea sur celui d’à côté.

 Je m’inquiétais un peu des conséquences de cette aventure. Si j’avais bel et bien remonté le temps, tous mes faits et gestes pouvaient avoir une influence sur le futur et sur ma famille. Je n’avais aucune idée de ce que j’étais censé faire. Justin avait été plutôt avare en informations. J’appréhendais notre rencontre autant que je l’attendais. Que pourrais-je bien lui dire ? Justin ne me connaissait pas encore. J’allais devoir gagner sa confiance pour découvrir de quelle manière lui venir en aide.

 — Claude, murmurai-je. Tu as déjà croisé Justin ?

 — Oui, me répondit-il à voix basse. Je l’ai vu plusieurs fois à l’hôtel de ta tante. Elle fait souvent appel à mes services, je suis électricien.

 — Qu’est-ce que tu sais à propos de lui ?

 — Et bien, pour tout te dire… Ton cousin est un peu… Spécial.

 — Comment ça ?

 — On raconte des choses sur lui, m’avoua-t-il d’un ton hésitant.

 — Lesquelles ?

 — Et bien… Marie l’a accueilli à l’hôtel il y a un an environ, mais apparemment, ça ne se passe pas très bien. Elle lui aurait trouvé un emploi dans une boulangerie, mais il aurait été viré. Il paraît qu’il est un peu feignant et qu’il boit beaucoup. Personne ne le connaissait avant qu’il n’arrive à Troyes, mais en peu de temps, il a réussi à se faire une mauvaise réputation. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé à Dijon, mais j’ai l’impression que ça l’a traumatisé.

 Je n’appréciais pas vraiment la tournure de cette conversation. Entendre Claude critiquer mon arrière-grand-père et le traiter de fainéant alors qu’il avait travaillé dur pour bâtir son avenir me contrariait beaucoup.

 — Ce ne sont que des rumeurs, marmonnai-je. J’ai hâte de le rencontrer.

 — Ne te fais pas trop d’illusions, tu risquerais d’être déçu. Il est plutôt désagréable.

 — Tu lui as déjà parlé pour te permettre de dire ça ?

 — Vite fait. Il est introverti et pas très bavard. Maintenant, nous devrions dormir, conclut Claude en bâillant.

 J’avais du mal à trouver le sommeil. Une multitude de pensées et d’émotions contradictoires fusaient dans mon esprit. Je me retournai sur mon oreiller pour changer de position, mais le bandage que je portais autour du poignet se détacha.

 L’agréable parfum d’Éva se diffusa dans l’air. J’étais déçu de ne pas l’avoir revu. Et maintenant que j’étais à Troyes, il y avait très peu de chances pour que nos chemins se recroisent. De toute façon, je n’avais pas été envoyé ici pour elle, mais pour Justin. J’allais devoir l’oublier… Si je le pouvais.

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