CHAPITRE 16 « Le théâtre »

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Paris, 2 mars 1942

 Je n’aurais jamais pensé voir autant de monde dans le métro. Les Parisiens, qui semblaient ignorer la présence des nombreux soldats de la Wehrmacht, s’agglutinaient dans les rames dans un silence total.

 Depuis le début de l’occupation, l’essence se faisant rare, les citoyens se déplaçaient à vélo ou à pied. Le métro était le seul moyen pour traverser Paris rapidement.

 Il ne nous fallut qu’une dizaine de minutes pour franchir les quelques kilomètres qui nous séparaient du théâtre.

 Lorsque nous sortîmes des profondeurs de la terre, mon regard se posa sur l’une des majestueuses entrées du Louvre. De l’autre côté du passage de Richelieu, je m’aperçus immédiatement qu’il manquait un élément essentiel…

— Ils ont détruit la pyramide ! m’exclamai-je tout haut.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Il n’y a jamais eu de « pyramide », on n’est pas en Égypte ! ricana Louis.

— Ah ! Ces Américains … se moqua Claude.

Je me rappelai alors que la célèbre pyramide ne serait construite que dans plusieurs années...

— Ce n’est pas le moment de faire du tourisme, le théâtre est par là, m’indiqua Louis en me tirant par le bras.

 Nous descendîmes la rue Saint-honoré, puis celle de Valois, et traversâmes le jardin pour rejoindre l’arrière du théâtre du Palais-Royal.

*

* *

 Le buffet de réception qui accueillait les spectateurs avant le concert était somptueux. Sur les tables, des mets délicats étaient présentés avec élégance. Ce n’était pas étonnant, la majorité du haut commandement allemand établi en France était présente. À leur arrivée, la plupart des officiers allemands avaient réquisitionné les théâtres pour leur usage personnel.

 Claude et moi avions été mobilisés pour servir les « invités ». Nous déambulions entre les officiels avec nos lourds plateaux d’argent, chargés de coupes remplies d’un champagne certainement volé dans les caves des plus grands hôtels de Paris.

 Louis m’avait demandé d’écouter discrètement les conversations des gradés pour glaner le maximum d’informations. Claude, quant à lui, devait repérer notre cible, le maréchal Heinrich Wageber. Il me fit un petit signe de la tête lorsqu’il le localisa.

 L’homme, à l’uniforme bardé de médailles, paraissait inoffensif avec son regard porcin et son ventre bedonnant. Louis nous avait vivement conseillé de nous méfier de ce cinquantenaire, responsable de la déportation de milliers d’indésirables du troisième Reich.

— Et qu’est-ce qu’il a de particulier, ce Heinrich ? avais-je demandé alors que nous nous changions dans les vestiaires.

— C’est simple, il torture, il viole et il assassine. Il aime beaucoup assister aux sévices que l’on pratique sur les femmes. Tout cela en toute impunité, bien sûr.

— Cet homme est un monstre ! avait conclu Claude en laçant ses chaussures.

— Tu n’as pas idée. Malheureusement, il ne paiera pas pour ses crimes aujourd’hui.

— On devrait en profiter pour en tuer le plus possible ! avait lancé Claude, dégoûté.

— J’y ai déjà pensé, mais ils vont encore se venger sur la population… Et ce n’est pas le but de notre mission, avait répondu Louis avec amertume.

*

* *

 Le buffet ayant été rapidement englouti par les convives, je les guidai vers la grande salle dans laquelle ils s’installèrent. Comme convenu, Claude avait profité de l’agitation pour s’éclipser.

 Les lumières s’éteignirent puis l’orchestre se mit à jouer. Je décidai de me retirer à mon tour lorsqu’une magnifique voix cristalline résonna dans la pièce.

 Une agréable sensation d’allégresse m’envahit, et le temps sembla s’arrêter. Au centre de la scène se tenait Éva ! 

 J’étais hypnotisé devant son charisme et son élégance. Elle rayonnait dans sa superbe robe de soirée satinée.

 Elle enchaîna quelques chansons en allemand et même une en anglais. Lorsqu’elle eut terminé, la salve d’applaudissements me fit revenir à la réalité.

— Augustin ! m’interpella Louis, visiblement exaspéré.

— Euh… bredouillai-je en sursautant.

— Qu’est-ce que tu fais à rester planté là ?

— Euh…

— T’étais en train de baver devant mademoiselle Kaltenbrun ! soupira-t-il sur le ton du reproche.

Il m’invita à le suivre d’un geste de la main.

— Tu la connais ? questionnai-je en espérant en apprendre un peu plus sur elle.

— Juste de nom, elle est très célèbre en Allemagne. Méfie-toi, elle est aussi belle que dangereuse. Elle est issue d’une famille de nazis entièrement dévouée à cet enfoiré d’Hitler, me prévint Louis alors que nous atteignons le hall d’entrée.

— Mais peut-être qu’elle ne partage pas les idées de sa famille…

— On s’en fout ! On n’est pas là pour elle ! s’agaça-t-il en attrapant une bouteille de rouge et un verre en cristal.

— Tu te souviens de ce que tu dois faire ?

— Oui, répondis-je un peu anxieux, en me remémorant le plan que Louis avait mis en place quelques heures plus tôt…

— Comment Augustin va-t-il s’y prendre pour approcher Heinrich ? j’imagine qu’il est constamment entouré, avait questionné Claude lorsque Louis nous avait révélé le véritable objectif de notre mission.

— Avec ça ! avait annoncé Louis en exhibant la bouteille de Petrus d’un air triomphant.

— Et pour le faire sortir de sa loge ? m’étais-je inquiété.

— Tu lui diras que Liliane Morgane veut le voir.

— Liliane Morgane ? C’est qui ?

— C’est une célèbre comédienne française, très appréciée par la population. Heinrich lui fait la cour depuis des mois, m’expliqua Louis.

— Ça n’a rien d’étonnant, la majorité des hommes sont tombés sous son charme ! avait surenchéri Claude en souriant.

— Pourquoi prend-elle le risque de nous aider ?

— Elle a rejoint la résistance et profite de sa notoriété pour soutenir son pays. Elle a accepté de distraire Heinrich pour qu’on puisse accéder à sa mallette !

— Tu es sûr que ça va fonctionner ? avais-je demandé, sceptique.

— On voit que tu n’as jamais croisé Liliane, personne ne lui résiste ! avait ajouté Louis en m’adressant un clin d’œil appuyé.

Je sursautai lorsque ce dernier me tendit la bouteille de vin et le verre.

— Augustin, tu es avec moi ?

— Euh, oui… Répondis-je en m’en emparant.

— On n’a pas le droit à l’échec, alors concentre-toi s’il te plaît ! Tous les regards sont braqués vers la scène, c’est le moment où jamais !

Je tentais d’oublier la présence d’Éva pour me focaliser sur notre mission. Nous devions distraire Heinrich, pour laisser le temps à Claude de photographier les documents contenus dans sa mallette.

L’escalier menant aux loges privées était gardé par deux soldats SS en uniforme noir.

— Halte ! me fit le plus jeune d’entre eux.

— J’apporte du vin pour le maréchal Heinrich Wageber, annonçai-je d’un ton assuré.

— Monsieur Wageber ne souhaite pas être dérangé. Faites demi-tour.

— Je suis désolé d’insister monsieur, mais il s’agit d’un Petrus 1924, offert par son amie, Liliane Morgane.

— Et bien ça attendra quelques heures de plus…

— C'est que madame Morgane semblait vraiment y tenir... Je ne voudrais pas avoir de problèmes, et je suppose que vous non plus !

Furieux, il me foudroya du regard et empoigna ma chemise, mais son collègue l’arrêta d’un geste de la main.

— Il a peut-être raison. Tu connais Heinrich, s’il a vent de ça, on risque d’être envoyé sur le front de l’Est.

 Son camarade grimaça et sembla hésiter quelques secondes, puis il me dit en s’éloignant.

— Attendez ici !

 Il rejoignit l’officier qui se trouvait sur le palier et échangea quelques mots avec lui avant de revenir vers moi.

— D’accord, vous pouvez monter.

 Soulagé, j’empruntai les escaliers, puis traversai le couloir pour me diriger vers la loge privée réservée à Heinrich Wageber. Comme l’avait prévu Louis, il n’y avait aucun garde à cet étage.

Je frappai à la porte et attendis patiemment qu’on vienne m’ouvrir.

— J’avais pourtant exigé de ne pas être dérangé ! s’agaça Heinrich en m’observant d’un air hautain.

— J’ai du vin pour vous, Monsieur. Me justifiai-je en lui montrant la bouteille.

Ses yeux s’illuminèrent.

— Du Petrus ! C’est l’une des rares choses que, vous les Français, savez faire de bien. Servez-moi et disparaissez ! ajouta-t-il avec dédain.

 Je déposai la bouteille et le verre sur une petite table, et jetais un coup d’œil furtif vers la porte dérobée, derrière laquelle Claude se cachait. Je sortis le tire-bouchon de ma poche, lorsque quelqu’un frappa.

— Mademoiselle, je suis ravi que vous ayez pu venir ! s’exclama Heinrich en lui ouvrant.

— Je n’ai pas vraiment eu le choix…

— Allons, allons, ne le prenez pas mal… Je voulais juste m’assurer que vous ne me feriez pas faux bond.

— Je ne vous avais rien promis, et j’ai d’autres choses à faire…

— Et bien ça attendra… entrez donc ! ordonna-t-il avec impatience.

 Elle soupira puis s'avança à contrecœur. Je restais figé sur place, le plan de Louis était parfait, mais il n’avait pas pris en compte la présence de cette magnifique femme blonde…

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