CHAPITRE 18 « Coup de théâtre »

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 Adossée à la coiffeuse, Éva me fixait la bouche entrouverte et les yeux écarquillés. Voyant que je restai pétrifié, elle se baissa pour observer Heinrich qui gisait à mes pieds.

 — Il ne respire plus, pas de doute, il est mort...  murmura-t-elle en se relevant, les mains tachées de sang. Elle semblait à la fois soulagée et inquiète.

 — Je ne voulais pas le tuer… je pensais juste… vous aider… tentai-je de me justifier en bredouillant, bouleversé par ce que je venais de faire. J'avais assassiné un homme, et malgré l’urgence de la situation, j’étais incapable d’avoir la moindre réaction.

Éva s’approcha de moi et me gifla !

 — On verra plus tard pour vos états d’âme ! Nous allons devoir trouver rapidement une solution pour nous sortir de ce merdier, affirma-t-elle avec détermination.

 J’étais terrorisé, j’avais envie de vomir et je suais à grosses gouttes. Éva balaya la pièce du regard et s’exclama soudainement:

 — Nous n’avons qu’à faire croire à un accident ! On dépose le corps en bas des escaliers avec la bouteille.

 — Et le sang ? demandai-je, écœuré par le liquide poisseux qui se répandait sous la tête d’Heinrich.

 — Par pitié, ressaisissez-vous, ce n’est que du sang ! s’agaça Éva en attrapant une chemise accrochée sur un cintre.

 Elle banda avec habileté le crâne d’Heinrich pour arrêter l’hémorragie pendant que je restai planté là, à la regarder.

 — On va avoir besoin de chiffons pour éponger le sol.

Devant mon absence totale de réaction, elle m'empoigna par le col et me secoua en haussant le ton.

 — Écoutez, si vous ne voulez pas mourir, il va falloir vous reprendre ! on peut s’en sortir, mais vous allez devoir m’aider !

Ses dernières paroles eurent l’effet d’un électrochoc, et mon cerveau se remit à fonctionner.

 Je me précipitai vers le local à balais à l’intérieur duquel je m’étais caché quelques minutes plus tôt. Je revins rapidement, et tendis plusieurs chiffons et de l’eau de javel à Éva qui s’en servit pour nettoyer le sol.

 — Qu’est-ce que vous attendez pour conduire Heinrich en bas de l’escalier ? lança-t-elle d’un air irrité.

 Complètement sonné, je me baissai et attrapai ses chevilles, puis tirai le corps vers le couloir. Je dus m’y reprendre à plusieurs fois pour le sortir de la pièce, Heinrich pesait une tonne !

 Je plaçai une de ses jambes sur une marche et les bras vers l’avant, sans omettre de déposer la bouteille de Pétrus à côté de lui.

 J’observai Éva du coin de l’œil qui nettoyait minutieusement le sol. Son sang-froid m’impressionnait ! Elle avait les mains couvertes de sang, mais elle ne tremblait pas.

 Lorsqu’elle eu terminé, elle s’empara d’une besace probablement oubliée par les décorateurs, puis vida les outils qu’elle contenait sur un meuble. Elle y fourra les chiffons sales et le tissu qui entourait la tête d’Heinrich.

 J’entrouvris la bouche pour dire quelque chose, mais mes paroles furent noyées dans un tonnerre d’applaudissements qui marquaient la fin du premier acte.

— Nous devons partir d’ici rapidement! s’exclama Éva.

 Je me dirigeai machinalement vers l’entrée principale, mais Éva me retint en me tirant par la manche.

— Nous ne pouvons pas passer par là, nous sommes couverts de sang ! Suivez-moi, m’ordonna-t-elle.

 Elle me guida dans une petite cuisine, en vérifiant qu’elle était vide avant d’y pénétrer. Tout au fond, une porte vitrée donnait sur l’extérieur.

 Au moment où j’appuyai sur la poignée, j’aperçus à travers les carreaux la silhouette de deux gardes, éclairés par la pleine Lune.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? m’interrogea Éva en s’approchant d’un évier. Elle se frotta frénétiquement les doigts pour faire disparaître les traces de sang séché.

 Le cri d’une femme résonna avant même que je ne puisse lui répondre ! Le corps d’Heinrich venait probablement d’être découvert.

 Les deux silhouettes des soldats se tournant dans notre direction, je pris Éva par la main et nous nous réfugiâmes dans une chambre froide. Au moment où je refermai la porte, les deux hommes entrèrent en trombe dans la cuisine qu’ils traversèrent à la hâte.

 Je sentais le souffle précipité d’Éva sur ma nuque.

 — On va rester ici le temps que ça se calme, me murmura-t-elle à l’oreille avant de reculer vers le fond de la petite pièce.

 Autour de nous, des gâteaux nappés de fruits attendaient patiemment d’être dégustés. Même si la température était plus supportable que je ne l’aurais cru, Éva commençait déjà à trembler. Je lui proposai ma veste, mais elle refusa.

 — Je ne suis pas une chochotte ! dit-elle en claquant des dents.

Nous percevions au loin la forte agitation provoquée par la mort d’Heinrich.

 — Pourquoi m’avez-vous aidée alors que je suis allemande ? me demanda-t-elle en grelotant.

 — Je pourrais vous retourner la question.

 — J’ai posé la mienne en premier ! me fit-elle remarquer en esquissant un sourire.

 — Son comportement m’a mis hors de moi et je n’ai pas pu me contrôler. J’ai agi instinctivement, sans réfléchir aux conséquences…

 — Comme à Dijon… C’est bien vous qui m’avez sauvé à la kommandantur ?

 — Je vous ai dit ce matin que je n’y suis jamais allé...

 — Vous mentez mal. C’est dommage pour un espion !

 — Je ne suis pas un espion ! affirmai-je maladroitement, espérant la convaincre.

 — Très bien, je vais faire semblant de vous croire… merci beaucoup d'être intervenu, mais j’aurais pu me débrouiller seule. Je ne suis pas une princesse et la chevalerie a disparu il y a près de 300 ans ! 

 Gêné par sa remarque, je tentai de changer de sujet.

 — Et vous ? Je comprends pourquoi vous n’avez pas donné l’alerte, mais m’aider à maquiller le meurtre vous a fait prendre des risques inutiles. Apparemment vous êtes plutôt célèbre, vous auriez facilement pu nier toute implication…

 — Je n’ai pas vraiment eu le temps de réfléchir non plus, et je suis autant responsable de sa mort que vous...

 — Je… je ne voulais pas le tuer… bredouillai-je avec difficulté.

 La gorge nouée, je sentais les larmes me monter aux yeux et détournai le regard pour cacher mon émotion. Elle ne répondit rien et posa sa main sur la mienne. La chaleur de sa paume me fit frissonner.

 — Vous avez fait ce qu’il fallait, c’était un accident… Elle serra délicatement ma main et ajouta en s’approchant.

— Je sais que ça ne soulagera pas votre conscience, mais cet homme était une ordure.

 La présence d’Éva et sa douceur me rassuraient. Les effluves de son parfum et sa proximité accéléraient mon rythme cardiaque.

 Je remarquai qu’elle n’avait pas retiré sa main de la mienne. Alors qu’elle allait parler, mes doigts frôlèrent son bracelet et je sentis une violente décharge remonter le long de mon bras…

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