CHAPITRE 19 « Boston, 29 juin 2018 »
Boston, 29 juin 2018
Augustin se réveilla en sursaut dans son lit médicalisé. Totalement désorienté, il lui fallut plusieurs minutes pour comprendre qu’il était de retour à Boston.
Pourquoi maintenant ?
Il tenta d'atteindre le journal d’Éva, toujours posé sur ses cuisses, mais ce dernier tomba au sol lorsqu’il l’effleura du bout des doigts. Instinctivement, il voulut se relever pour récupérer le livre, mais ses muscles refusèrent de bouger. Il avait envie de hurler, de tout casser, et se mit à pleurer de désespoir en prenant conscience qu’il était de nouveau prisonnier de son corps…
Il y eut des bruits de pas précipités dans le couloir et la porte de sa chambre s’ouvrit brusquement. Une jeune femme blonde à la mine enjouée déboula dans la pièce. Pendant un instant, Augustin eut l’impression de voir Éva, avant de comprendre qu’il s’agissait d’Audrey.
Ses cheveux étaient impeccablement coiffés, mais elle avait trop forcé sur l’eyeliner. Elle portait un jean troué, probablement chiné dans une boutique de luxe, et un tee-shirt assorti à ses baskets compensées. Posant les mains sur ses hanches, elle déclara.
— Salut frangin, fini la grasse matinée ! aujourd’hui on va s’éclater !
— On est quel jour ? tenta-t-il d’articuler avec difficulté.
Sa voix s’étouffa à cause des glaires qui s’étaient formées dans sa gorge durant la nuit. Audrey s’empara de l’aspirateur trachéal et dégagea en quelques minutes la trachée de son frère.
— Bah, on est samedi ! lui répondit-elle avec douceur.
Satisfaite de son intervention, elle s’écarta en ajoutant.
— Voilà ! tu peux à nouveau brailler à ton aise !
S'apercevant qu’Augustin l’observait avec insistance, elle fronça les sourcils.
— Pourquoi tu me dévisages ? J’ai un truc sur la figure ?
— Je suis juste content que tu sois là, tu m’as tellement manqué. Dit-il avec émotion, en songeant qu’il ne l’avait pas vu depuis longtemps.
— On s’est vu hier, idiot !
Une seule nuit s’était donc écoulée ici, à Boston, alors qu’il avait vécu plusieurs mois à Troyes ! Ça lui paraissait complètement insensé…
— C’est quoi ça ? s’exclama Audrey en découvrant le carnet qui gisait sur le sol.
Lorsqu’elle tendit le bras pour s’en saisir, Augustin lui hurla dessus.
— C’est à moi, n’y touche pas !
Audrey écarquilla les yeux, choquée. Elle se pencha malgré tout pour le ramasser.
— Ça a l’air intéressant. On dirait qu’il y a du sang, t’as eu ça où ?
— C’est personnel ! range le dans mon sac s’il te plaît, répondit-il sèchement.
Sa sœur soupira.
— Ho la la, t’es vraiment de mauvaise humeur ce matin ! tant pis, on verra ça plus tard, mais t’auras intérêt à tout me dire !
— Oui, oui, c’est ça…
Elle glissa le livre dans la besace d’Augustin qui se détendit légèrement.
— Il n’est pas encore prêt ? demanda Lisa, en débarquant à son tour.
Comme d’habitude, elle portait un tailleur chic et sophistiqué, accompagné de talons vertigineux.
— Lisa on est là pour s'amuser, pas pour participer à une réunion de tes actionnaires ! tu ne pourrais pas mettre quelque chose de plus décontracté ?
— C’est ce que j’avais de plus simple, et de toute façon je m'habille comme je veux ! allez, on y va, j’ai prévu un programme chargé !
— Nous devions juste faire quelques musées, tu n’étais pas obligée d’élaborer tout un planning, ricana Audrey.
— L’objectif, c’est de voir le plus de choses possible ! annonça-t-elle en sortant son smartphone dernier cri. Dans une demi-heure nous devons être aux Beaux-Arts, puis nous filerons ensuite au Musée Isabella Stewart Gardner, et nous terminerons par la galerie d’art contemporain ! ajouta-t-elle avec autorité.
Le visage d’Audrey se décomposa.
— Pffff… tu recommences ! on n’aura jamais le temps de tout faire !
— Bien sûr que si ! c’est tout à fait réalisable si on ne s'arrête pas trois heures devant chaque tableau comme tu l’as fait la dernière fois…
— Ce n’est pas un marathon Lisa ! la contemplation d’une œuvre fait partie de l’art, soupira Audrey, excédée.
Augustin observait ses deux sœurs se chamailler. Entre Lisa qui aimait tout organiser et Audrey qui préférait laisser les choses se faire, il y avait souvent des étincelles … Malgré leurs caractères totalement opposés, elles s’entendaient très bien et, une fois par mois, elles mettaient en pause leur vie active pour passer du temps ensemble.
La journée s’écoula rapidement, et comme l’avait prédit Audrey, ils ne purent faire qu’un quart des activités prévues. Même si Augustin avait été ravi de revoir ses sœurs, il se sentait déconnecté de ce monde qui était pourtant censé être le sien.
Ils passèrent la soirée en compagnie de leurs parents sur le yacht familial. Augustin les observait déguster les mets délicats qu’avait commandés leur mère pour l’occasion.
Son regard se posa sur Lisa, qui refusait la coupe de champagne que lui proposait son fiancé, Michaël. Elle s’approcha de la table, prit un verre d’eau, puis le frappa doucement avec sa fourchette.
— J’ai… Enfin, nous avons quelque chose à vous annoncer, déclara-t-elle en tendant sa main vers Michaël, qui s’avança en souriant.
— Nous attendons un heureux événement, ajouta-t-elle.
Leur mère se précipita vers elle et la prit dans ses bras, les yeux brillants d’émotion. Son père serra fermement la main de Michaël en le félicitant chaleureusement.
— J’espère que ce n’est pas un garçon, lança brutalement Augustin.
Tous les regards se tournèrent vers lui.
— Augustin ! Qu’est-ce qui te prend ? demanda sa mère, surprise.
— Je ne veux pas qu’il soit comme moi ! répliqua-t-il d’un ton cinglant.
Lisa s’approcha de son frère et posa sa main sur son épaule avec bienveillance.
— Rassure-toi, nous avons fait tous les tests et le bébé va très bien.
Augustin laissa échapper un soupir de soulagement.
— Tant mieux ! je suis désolé, je ne voulais gâcher la fête… je suis vraiment heureux pour vous.
— Tu bois un peu de champagne avec moi ? lui proposa-t-elle en souriant.
— Oui d’accord, mais seulement s’il est sans alcool ! répliqua-t-il en lui adressant un clin d’œil complice.
En fin de soirée, Augustin s’avança vers l’avant du navire pour contempler l’océan. Audrey le rejoignit et s’appuya contre le bastingage. Admirant les lumières de la ville qui se reflétaient à la surface de l’eau, elle murmura.
— Et dire que notre Lisa va avoir un bébé, j’ai du mal à y croire…
— Je suis sûr qu’elle fera une super maman. Moi je n’aurais probablement jamais cette opportunité…
— Tu voudrais devenir maman ? ironisa-t-elle pour détendre l’atmosphère.
— Je n’avais jamais pensé à ça jusqu'à maintenant… j’ai l’impression de passer à côté de ma vie…
— Tu es vraiment morose aujourd’hui.
Augustin n’ajouta rien. Même si Audrey avait toujours été sa confidente, il ne pouvait pas lui parler de ce qu’il venait de vivre ni du vide immense qui l’envahissait.
Quelques heures plus tard, se retrouvant enfin seul dans sa chambre, il ouvrit précipitamment sa besace et posa le journal d’Éva sur ses genoux. Il avait attendu ce moment toute la journée, obsédé à l’idée d’y retourner…
En le feuilletant, il s’aperçut que les mots habituellement inscrits sur la page de garde avaient de nouveau disparu. Une profonde angoisse le submergea en constatant qu’il ne se passait rien…
Il insista désespérément pendant de longues minutes, mais il dû se rendre à l’évidence : le phénomène ne se reproduirait pas ce soir.
Il était épuisé, à bout de nerfs et sa tension monta rapidement. Les appareils médicaux qui surveillaient ses constantes se mirent à sonner…
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