CHAPITRE 26 Journal d’Éva, 03 mars 1942

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Je n’arrive pas à dormir, j’ai vécu tellement de choses aujourd’hui que je ne sais même pas par où commencer. J’ai vraiment cru que j’allais mourir et je pensai sincèrement y être préparée, mais je me rends compte maintenant que je n’en avais pas du tout envie. C’est étonnant de voir à quel point une seule journée peut tout faire basculer.

Quand ce salaud d’Heinrich a tenté d’abuser de moi, je me suis dit que j’allais le tuer, peu importe les conséquences… Mais l’intervention d’Augustin a tout changé. Il m’a défendu et a pris de gros risques pour moi. Il était tellement choqué qu’il était incapable de réagir. Lorsque j’ai compris la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvions, j’ai pensé que je n’avais pas le droit de l’abandonner, cette fois, c’était à mon tour de l’aider…

Après nous être débarrassé du corps, j'espérai être sortie d’affaire, mais ses amis m’ont attrapée. À ce moment-là, j’ai cru que c’était la fin…

Un peu plus tard, je me suis retrouvée seule, avec Augustin, dans la cave. Nous nous sommes battus et je suis tombée par terre. Il me maintenait de toutes ses forces et j'avais peur qu'il me poignarde. Profitant de son hésitation, je me suis saisie du premier objet à portée de main.

Je l’ai frappé sauvagement et la bouteille a explosé sur son crâne. Malgré la violence du choc, il ne bougea pas et se contenta de me dévisager avec surprise et incompréhension.

Il passa sa main dans ses cheveux, et des débris de verre se répandirent sur le sol. Il observa ses doigts, mais il n’y avait pas une seule goutte de sang.

— Ce n’est pas possible… marmonna-t-il, stupéfait de s’en tirer sans aucune blessure.

— C’était une bouteille en sucre ! m’exclamai-je, on les utilise dans certaines pièces de théâtre.

Il se redressa brusquement. J’étais persuadée qu’il allait se venger en me frappant, mais au lieu de ça, il lâcha son arme et me tendit la main pour m’aider à me relever.

— Nous n’avons pas beaucoup de temps. J’ai une idée qui devrait fonctionner. Promettez-moi que vous ne direz rien à personne.

— Très bien, vous avez ma parole, répondis-je avec curiosité.

Soulagé, il inspecta la pile d’accessoires de théâtre entreposés dans la pièce.

— Voilà ce que je cherchais ! se réjouit-il en brandissant un vieux mannequin en paille.

— Et que comptez-vous en faire ? demandai-je en fronçant les sourcils.

— Grâce à lui, nous allons simuler votre mort. Louis ne vous laissera jamais tranquille s’il pense que vous êtes vivante, affirma-t-il avant de recommencer à fouiller énergiquement en balançant derrière lui tout ce qui ne l’intéressait pas.

— Bon, je suppose que cette perruque fera l’affaire, annonça-t-il au bout d’un moment, d’un air victorieux, c’est très ressemblant, vous ne trouvez pas ? ajouta-t-il avec un large sourire.

— Vous êtes tellement odieux…lui répondis-je, outrée, je vous signale que je passe une demi-heure à me coiffer tous les matins ! Comment osez-vous comparer cette vieille loque décrépie à ma chevelure si bien entretenue ?

— Je plaisantais, Éva. Nous ne sommes pas là pour faire un défilé de mode ! Si vous voulez que ce soit parfaitement crédible, je peux toujours utiliser vos cheveux, rétorqua-t-il d’un ton cassant.

Vexée, je croisai les bras et l’observai d’un regard noir, pendant qu’il enfilait grossièrement la perruque sur le mannequin. Lorsqu’il eut terminé, il contempla son œuvre avec un sourire satisfait.

— Je suis désolé, me dit-il en se tournant vers moi d’un air gêné.

— Pourquoi vous excusez-vous ? l’interrogeai-je, méfiante.

— J’ai besoin de votre robe, vous allez devoir vous déshabiller…

— Vous plaisantez j’espère ! Vous avez renversé du vin sur la première et vous comptez également ruiner celle-ci ? Vous savez combien elle coûte ?

— Vous avez une meilleure idée ?

— Non, concédai-je en soupirant.

— Alors, dépêchez-vous ! m’ordonna-t-il en attrapant une robe de domestique accrochée à une patère.

— Quoi ? vous voulez que je porte cette horreur ?

Devant son regard exaspéré, je lui arrachai le vêtement des mains.

— Dans ce cas, retournez-vous ! Il est hors de question que vous vous rinciez l’œil une nouvelle fois !

Ses joues prirent une teinte rosée et il s'éloigna en tentant de se justifier maladroitement.

— Je ne l’ai pas fait exprès. La porte était entrouverte quand je suis passé, je ne savais pas que vous étiez en train de vous changer…

— Oui, bien sûr, et vous n’avez pas cru nécessaire de détourner le regard en me voyant, dis-je en déboutonnant ma robe.

— Vous n’aviez qu’à fermer à clef ! Ça nous aurait évité bien des ennuis…

— La serrure était cassée !

— Vous auriez pu mettre une chaise pour bloquer la porte…

— Donc si je comprends bien, c’est de ma faute si deux gros pervers sont venus me reluquer à mon insu !

— Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, bredouilla-t-il, honteux.

— Alors, n’essayez pas d’avoir le dernier mot et taisez-vous, monsieur le moralisateur ! rétorquai-je sévèrement en lui jetant ma robe à la figure.

Sans répondre, il habilla le mannequin puis le balança dans le puits d’aération.

— Voilà, avec la pénombre ils n’y verront que du feu, annonça-t-il en se frottant les mains.

— Votre plan est très astucieux, mais il y a un problème ! affirmai-je, vous pensez que les gens se font poignarder sans laisser de trace de sang ?

— Merde, jura-t-il.

— Prenez votre couteau et faites ce qu’il faut, dis-je en tendant mon bras vers lui.

Il écarquilla les yeux, hocha vigoureusement la tête en signe de dénégation et fit un pas en arrière.

— Vous êtes folle ! Il est hors de question que je vous blesse !

Comprenant qu’il ne changerait pas d’avis, je me penchai pour récupérer le poignard qui gisait au sol et d’un geste quasi chirurgical, je m’entaillai l’avant-bras.

— Qu’est-ce que vous faites ? s’écria-t-il en m’attrapant le poignet.

Il examina ma coupure et ajouta d’une voix blanche.

— Ça a l’air profond. La lame traînait par terre, votre blessure risque de s’infecter, s’inquiéta-t-il en vacillant légèrement à la vue du sang qui commençait à couler.

— Vous êtes au bord du malaise pour une égratignure, et vous voulez me faire croire que vous étiez prêt à me tuer ? éclatai-je de rire en étalant mon propre sang sur sa chemise. Après en avoir répandu sur le sol, il utilisa une écharpe pour compresser ma plaie.

— Vous êtes toute pâle, êtes-vous sûre d’aller bien ?

— Arrêtez donc de dramatiser, je ne suis pas une chochotte !

— Bon… dans ce cas, il ne nous reste plus qu'à vous cacher.

Il me guida vers le fond de la pièce et ouvrit un coffre en bois suffisamment grand pour que je puisse m’y glisser.

— Merci beaucoup de m'avoir aidé... murmurai-je en m'asseyant.

— Il n’y a vraiment pas de quoi, après tout, c’est moi qui vous ai embarquée là-dedans. Avant de rentrer chez vous, passez voir un médecin pour qu’il soigne votre bras.

J’acquiesçai d’un signe de tête en souriant, puis il ajouta.

— Nos chemins se séparent ici, et cette fois, évitez de faire du bruit ! plaisanta-t-il en rigolant.

Je le foudroyai du regard juste avant qu'il ne rabatte le couvercle, me plongeant dans le noir.

Quelques minutes plus tard, des voix résonnèrent dans la cave. Le cœur battant, je l’écoutais mentir à ses amis. Sa prestation me sembla plus que satisfaisante.

Lorsqu’ils eurent quitté la pièce, je restais prostrée au fond du coffre, de peur qu’ils ne reviennent. Épuisée et à bout de nerfs, je finis par m’assoupir.

Le couinement d’un rongeur me réveilla en sursaut. Je n’avais aucune idée du temps qui venait de s’écouler depuis que je m’étais endormie, mais je ne pouvais pas rester là. Je décidai d'abandonner ma cachette le plus discrètement possible et de rejoindre ma loge au plus vite. Le théâtre étant désert, j’en profitai pour récupérer mes affaires et enfiler une tenue convenable. En jetant un coup d’œil à ma montre, je m’aperçus qu’il était déjà six heures du matin !

Ma blessure me lançait horriblement et je me sentais fiévreuse. Je jugeai préférable de me rendre à l’hôpital, où j’avais prétexté m’être coupée en préparant à manger.

Le médecin de garde n’avait pas posé beaucoup de questions et s’était contenté de me soigner.

À peine une heure plus tard, grâce à mon laissez-passer, j’étais de retour dans ma chambre d’hôtel.

Je m'affalai sur le lit, tout habillée, sans même prendre la peine d’enlever mes chaussures. Le sourire d’Augustin tourna en boucle dans ma tête avant que le sommeil ne m’emporte.

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