6. La Trace
La porte du cabinet se referma doucement derrière John. Le silence retomba, dense et chargé de tout ce qu’il venait de laisser derrière lui. Chaque hésitation, chaque inflexion de voix, chaque micro-gestuelle semblait imprimée dans l’air, et dans le carnet, le mot elle flottait, énigmatique et lourd de conséquences.
Le bruit léger de pas dans le couloir annonça l’arrivée de son mari. Il entra, un gobelet de café à la main, sourire poli mais les yeux trahissant une inquiétude inhabituelle.
— Je passais près du cabinet après une visite avec un client, dit-il doucement, hésitant. J’ai pris un café… je me suis dit que tu aimerais peut-être ça.
Elle accepta le gobelet sans rompre son observation. Le silence qui suivit pesait autant que les mots non prononcés. Son regard croisa celui de son mari quelques instants : il scrutait le carnet, l’expression concentrée sur le visage de sa femme. Une inquiétude nouvelle, presque maladroite, émergeait de ce regard. Une attention qu’il n’avait jamais montrée et qui, plus tard, pourrait se transformer en jalousie.
— Je ne comprends toujours pas pourquoi il a dit ça, murmura-t-elle pour elle-même.
Le mari posa doucement le gobelet sur le bureau et s’assit face à elle, les yeux fixés sur le carnet. — Tu vas trouver, dit-il avec sollicitude. Même si… je sens que cette fois, ce mot-là a laissé une trace plus profonde que d’habitude.
Elle hocha la tête, consciente que chaque micro-gestuelle de John, chaque silence, chaque détail observé devait maintenant être replacé dans le cadre plus large de sa psyché. Le mystère de elle, peut-être une sœur ou une figure perdue, n’avait jamais été aussi présent. La prochaine séance serait déterminante.
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Chez John, la maison débordait de vie : le parfum du dîner, les rires de Clara et la chaleur rassurante de Sophie. Le sanctuaire de John, sa chambre verrouillée, l’attendait. Les cigarettes, compagnons silencieux, offraient un rituel de contrôle et de pause physique dans le tumulte de ses pensées.
Il repensa au mot "Elle", à la faiblesse involontaire qui avait laissé un indice. Sa vulnérabilité s’était glissée dans la séance, et il savait qu’elle l’avait perçu. Une idée fugace traversa son esprit : Sophie, inquiète pour lui, avait insisté pour qu’il consulte. Il ne lui en voulait pas ; c’était un geste d’amour, une marque de confiance. Il avait naïvement pensé que la psychologue allait lui donner un médicament miracle, une solution simple et immédiate. Presque aussitôt, il comprit que ce n’était pas le cas, mais cette illusion l’avait poussé à franchir la porte du cabinet.
Quelques instants suffirent pour qu’il reprenne son masque social. La maison vivait autour de lui, mais son monde intime restait inviolé.
Dans la cuisine, il rejoignit Sophie et Clara. Les rires reprirent, les conversations légères et chaleureuses. John ajouta, par sa présence, son attention et son humour discret, à l’atmosphère joyeuse. Il semblait parfaitement intégré. Pourtant, la trace de sa vulnérabilité au cabinet flottait encore, invisible mais bien présente, comme un fil ténu reliant les deux mondes.

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