10.1

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Un spasme violent souleva le maître de manège de son lit de poussière. Il toussa une, deux, trois fois, puis par quintes, sans se douter que l’expression de sa détresse respiratoire brisait un silence d’une solennité oppressante. Bientôt, sa toux se gorgea d’impuretés grasses. Étouffé, il se tordit désespérément jusqu’à l’expulsion d’une gerbe de sang mêlée de bile.

Rin prit appui sur ses avant-bras, laissant le flot visqueux s’écouler sur le sol pour ne pas le ravaler. Il ouvrait les yeux sans voir et, du plus loin qu’il tendait l’oreille, n’entendait rien.

Autour de lui, les forains, les soldats et les étrangers dont la présence suscitait tant d’interrogations restaient cois. Les uns étaient dépassés depuis trop longtemps déjà, les autres indifférents.

— Qu’avez-vous fait à lui ? s’enquit l’intruse au regard d’obsidienne.

— Après l’avoir traîné jusqu’ici dans cet état, vous avez le mauvais goût de me demander ce que je lui ai fait ?

L’air offusqué de Makara démontrait une honnête indignation. Il en voulait autant à Rin d’avoir tourné en ridicule son auguste mise en scène qu’à celle qui l’accusait de l’avoir amoché personnellement.

Plus courageux que les autres, ou seulement trop téméraire, Merric se jeta sous les projecteurs de tenter de porter secours à Rin. Le maître de manège s’arracha des mains du lanceur de couteaux avec la vigueur et la maladresse d’un animal blessé.

— Hé du calme, idiot ! C’est Merric, tu me reconnais, non ?

— Éloignez-le d’ici, exigea Makara en désignant Rin. Je prétends entretenir une conversation civilisée avec nos hôtes.

— Oh, mais ta gueule ! cracha Merric. Tu nous prends pour quoi, en fait ? On est pas tous à toi, ici, merde ! Je sais pas ce que toi et tes gros bras êtes en train de faire, mais là, ton petit préféré est peut-être en train de crever et la gamine glauque a raison de croire que c’est de ta faute !

Makara fit montre d’une irritation forte, mais digne. Pétrissant chaque mot de mépris, il répliqua :

— En t’excusant maintenant, tu as quelque chance de ne pas te faire arracher la langue.

— La belle affaire. Vous prendrez quoi à la place ? Une oreille ?

La peur, sans doute, exhortait Merric à la folie.

Une quinte de toux plus intense que les précédentes secoua les épaules accablées de Rin. Une seconde gerbe de sang vicié lui traversa la gorge. Merric jura.

— Voyez ? se récria-t-il. ‘Croyez que c’est pourquoi qu'il est dans c’t’état ? Ou mieux, c’est comment que vous pensez qu’il arrive à remonter sur scène depuis qu’vous l’avez forcé à prendre une putain et tout le bazar ? Il se grille le cerveau toutes les fois qu’il a trop la trouille pour monter sur scène ! Vous mettez sa fille sous la gueule d’un dragon, fallait s’y attendre !

Par suite successive de contractions musculaires, le visage de Makara se cristallisa en une illisible expression. Absorbé par cette sordide mimique, Merric ne vit pas, ou ne vit que trop tard, la poigne du mestre se raffermir sur son double canon d’argent.

La balle partit en une fraction de seconde. Il sembla qu’elle atteignit sa cible avant même que la détonation ne résonnât sous le chapiteau. L’impact réduisit le crâne de Merric à une plaie béante, provoquant une giclée prodigieuse. Un cri aigu s’échappa des rangs spectateurs : celui de Sila, sa sœur et seule amie. La seule à qui il manquerait.

Le corps du lanceur de couteaux ne maintint l’illusion de la vie qu’un court instant avant de s’écrouler, inutile.

Une aquosité pourpre et visqueuse se déversa du cadavre sur le sable graveleux de l’arène. Suivant le cours que lui imposait ces obstacles, la mare vint se confondre aux rejets sanglants de Rin. Replié sur lui-même, celui-là ne bougeait plus, ne toussait plus, mais respirait avec force et saccades.

— Je visais l’œil, admit Makara un peu déçu. Dommage.

Transperçant la torpeur générale, un rire sardonique éclata ; une raillerie de dément à qui le souffle menaçait de manquer. Lith faisait tonner une voix forte, plus grave et profonde que ne le laissait présager la modestie de sa carrure et la jouvence de ses traits. Son hilarité le prenait au corps. Faisant fi de toute dignité, il alla jusqu’à prendre appui sur l’épaule robuste de son garde barbu pour ne pas défaillir.

Il ne se reprit que lorsque la larme lui vint à l’œil.

— Le cirque est un endroit très amusant. Je m’attendais à voir vos tiges de métal qui crachent le fer et le feu tournées vers nous plutôt que vers vos propres hommes. Ma surprise est grande. Je vous remercie pour cette charmante mise en scène, Collectionneur Makara.

Son accent était musical et rugueux. Le même aigre-doux se lisait dans son regard, accentuant toutes les contradictions de sa physionomie. Cet homme semblait une âme chimérique prise dans le corps d’un mortel et dont la figure s’en serait trouvée affectée.

— Je suis ravi de plaire au Puissant, fit savoir le mestre en fin diplomate. J’espérais lui faire bon accueil, mais avoue ne pas avoir orchestré d’avance cette incongruité.

— Étions-nous attendus ? comprit Gerane.

Léopold couva la cage de son dragon avec orgueil en repensant à la façon dont il l’avait acquis. Les collectionneurs n’avaient pas pour habitude d’obtenir facilement leur titre. Au sein de cette caste, le don gracieux d’une créature de l’acabit d’un vulcanien était une invraisemblance. Le cas échéant, il fallait savoir lire entre les lignes d’un accord. Léopold le savait. Dès le premier moment, il avait compris ce que le Seigneur Obsolom d’Izie avait vraiment cherché à faire en lui confiant sa chimère.

— Une de mes connaissances vous fuyait, résuma-t-il, aussi avais-je quelque idée de votre venue prochaine. Vous semez le trouble en Terre Connues depuis des lunes en visant particulièrement les détenteurs de spécimens rares. La discrétion est un luxe que vous ne pouvez plus vous permettre. Je vous supposais apatride, mais j’ignorais que le Puissant en personne vous dirigeait. Comme vous le voyez, je suis ouvert à la discussion comme au conflit. Il ne tient qu’à vous de me désigner l’option que vous préférez.

— Ne vous laissez pas abuser par votre nombre, prévint Gerane. Une armée de votre sale engeance de meurtriers avides ne peut rien contre le plus faible d’entre nous.

— Sans vouloir vous vexer, je pense avoir moins tué que vous depuis l’an dernier. Mon engeance est-elle vraiment si meurtrière ? Est-ce pour nous éradiquer froidement que vous avez quitté Arë’n ?

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