71.5

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Cha dévora son corbeau cru, méthodiquement, des entrailles à la moelle des os. Cela fut bruyant et sale. L’appétit coupé, Bard cessa de déplumer le sien pour l’offrir à la sang-mêlé. Elle l’accepta sans broncher et poursuivit son massacre en toute insouciance. Au moins, elle semblait s’être ôté de la tête que ces deux oiseaux aient appartenu au roi.

— Tu avais faim, observa-t-il.

Elle avala un morceau de grosseur improbable, lécha le sang coulé sur ses doigts, puis s’éclaircit la gorge.

— Chez mon mestre, la plupart des filles sont des nymphes ou des elfes. Elles mangent pas de viande, alors personne n’en mange et j'ai pas le droit de chasser. J’ai pas bu de sang depuis des lunes.

Le fabuleux pesa ses mots avec sérieux, pour finalement risquer une plaisanterie.

— Il faut espérer que d’autres corbeaux nous suivent, dans ce cas.

Elle ne rit pas. Manifestement, la peur d’Hugin et Munin ne lui était pas passée.

— Ou n’importe quoi d’autre, se sentit-il obligé d’ajouter.

Cha reprit son repas sans se donner la peine de répliquer. Quelque part, Bard en fut soulagé.

Ils avaient trouvés refuge dans la ruine d’un cabanon de chasse, carré d’à peine six coudées de large qui, s’il n’était ni tout à fait sec, ni tout à fait confortable, les protégeait au moins du vent.

— Tu crois qu’on peut dormir un peu ici sans avec d’emmerdes ?

— Vu l’état des lieux, j’imagine que oui.

— Nan, mais je veux dire… Le proprio va pas se pointer, mais si quelqu’un est après nous ? Ou si des gamins viennent ici pour jouer ?

— Nous pourrions dormir tour à tour.

— Mm… J’suppose que c’est pas bête. À toi l’honneur, alors.

— Non, je vais prendre le premier tout de garde. C’est le moins que je puisse faire pour nous avoir embarqué là-dedans.

— Hé. T'en as déjà assez fait, arrête de jouer au héros. Je suis pas une demoiselle en détresse. Et si j’avais vraiment pas voulu, tu m’aurais embarquée dans que dalle.

L’entendre admettre qu’elle l’avait suivi de son plein-gré allégea la conscience de Bard d’un poids immense. Lors, il ne put que céder. Il se coucha sur la terre battue, dos à elle pour ne pas la fixer. Son cœur battait la chamade. Il se souvint ses premières nuits à la baronnie et le petit abri de pierres sèches qu’il avait partagé avec la sang-mêlé, les premiers décans. Ne s’était-il pas mentit à lui-même en fuyant avec elle de chez mestre Dvalin ? Ce n’était pas tant par amour de la liberté que par amour d’elle qu’il avait voulu tout quitter. À son réveil, se promit-il, il lui avouerait ses sentiments.

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