80.2

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L’aile vétérinaire, jumelle d’une serre médicinale et d’un petit laboratoire d’étude, accueillait une foule de dragons petits et grands au cœur d’un haut bâtiments en atrium. Il s’y dispensait des soins de première nécessité comme des contrôles de routine. Tous n’avaient pas dessein à être montés. Certains ne possédaient tout bonnement pas d’ailes, d’autres n’atteindraient jamais la taille requise pour supporter le poids d’un Homme : ceux-là trouvaient leur utilité ailleurs, notamment en produisant du poison pour les venimeux ou tout autre ressource exploitable. Certains encore servaient au contrôle de populations sauvages ou faisaient office d’oiseaux messagers.

Ce lieu de désordre était le plus effervescent de la draconnerie. Bard eut peine à trouver quelqu’un de disponible pour se faire indiquer la marche à suivre dans sa situation.

Le Professeur Xhoga, doyen de l’établissement, vint à son secours tandis qu’il girouettait dans le chaos. Bard le connaissait pour avoir été examiné par lui le jour de son arrivé. Prévenu de la visite prochaine du fabuleux, quoiqu’étonné qu’il la fît si tôt, et seul, le professeur l’accueillit, puis l’installa dans une salle privative.

— Ce n’est pas tous les jours qu’un dragon s’accompagne tout seul à la clinique, souligna-t-il en fouillant dans ses dossiers.

Xhoga étudiait les dragons, les chimères et les sciences arcaniques en général depuis des décennies. Cette passion lui avait valu autant de blessures, sinon plus, qu’à un vieux soldat. Son œil droit manquait, remplacé dans son orbite par une bille de verre terne. Ses mains, toujours présentes à l’exception de deux doigts, revêtaient des gants de peau calcinées qui le privait de sensations. D’innombrables cicatrices se mêlaient à ses rides, dont certaines saillaient blanches sur sa peau sombre. Encore cachait-il bien des lésions sous son habit et son attitude joviale. Bard ne s’était pas encore tout à fait habitué à son apparence. Il lui arrivait encore de le fixer à la dérobé – et de se le reprocher.

— Je suppose que la demoiselle doit être plus occupée que d’habitude. Tu as sa permission écrite ou son tampon ?

— J’ai ceci, montra Bard.

— Un bijou d’armoirie ? Voilà qui est légèrement surfait. Ce sont des manières de diplomates et d’assassins. Cette enfant semble avoir reçu une drôle d’éducation… Puis-je te la prendre une seconde ?

Le fabuleux céda la clef et guetta la professeure d’un œil anxieux tandis qu’il encrait la boucle pour en recueillir l’emprunte au bas d’une feuille. Elle eut la délicatesse de la nettoyer pour la restituer intacte.

— Merci. Faut-il que je me transforme immédiatement ?

— Non, commençons par discuter. Puisque ta voltigeuse n’est pas là, tu vas devoir me fournir quelques renseignements à sa place.

— Que voulez-vous savoir ?

— Tu ne rentrerais jamais chez toi si je t’interrogeais sur tout ce que je veux savoir, plaisanta Xhoga. Tu ne le sais peut-être pas mais tu es un spécimen hors du commun. Les vulcaniens sont en voie d’extinction et cette rareté n’est rien comparée à celle de l’arcane qui te permet de maintenir cette forme. Allons à l’essentiel. Parle-moi de tes habitudes de vol, de ton régime alimentaire et de ton rythme de sommeil de ces derniers décans.

Bard énuméra tout ce qui lui parut pertinent. Hormis pour les entrainements de Yue, il vivait sous forme humaine de façon assez commune.

— Tu ne vis jamais sous ta forme draconique plusieurs jours d’affilé ?

— Non. J’ai des responsabilités en dehors de mes heures de vol.

— Rien de trop pénible ?

— Non.

— Ressens-tu des douleurs persistantes sous une forme ou l’autre ?

— Il m’arrive d’avoir mal à dos. Sous forme draconique, j’ai une sorte de gêne à la base de l’aile gauche qui fait quelle fatigue plus vite que l’autre depuis quelques lunes.

— Tu es là parce qu’un instructeur trouve que tu as tendance à dévier quand tu voles seul, c'est ça ?

— Oui. Je tire sur la droite selon lui.

— Avec une aile abimée, tu volerais de travers, et ce serait pire avec le poids de ta voltigeuse sur le dos. Dans la mesure où ta trajectoire est rectiligne déviée, je pense avoir une meilleure théorie. Quel système de guidage utilise majoritairement ta mestresse ?

— Ses étriers, hasarda-t-il. Il me semble qu’elle appuie dessus pour me donner des directions. Pourquoi ?

— M’est avis qu’elle a une jambe beaucoup plus forte que l’autre. Tu as l’habitudes de compenser pour elle, alors lorsqu’elle n’est plus là, tu compenses dans le vide. Cela peut tenir à une malformation de naissance, un long entrainement asymétrique ou blessure mal soignée.

— Oh… Yu… Ma mestresse s’est tordue la cheville droite quand elle avait huit ans. Plusieurs fois d’affilée.

— A-t-elle fait de la rééducation ?

— Pas à ma connaissance. Est-ce que je dois m’inquiéter pour elle ?

— Il possible qu’elle ait guéri correctement mais qu’elle ait pris l’habitude de forcer sur son côté valide. L’un dans l’autre, il faudrait qu’elle aille voir un spécialiste. Je mettrai mes recommandations par écrit à ta mestresse.

Cela risquait de mal lui plaire. Yue vivait dans le déni de ses faiblesses et supportait mal que quiconque les lui fît remarquer, fut-ce pour les soigner.

— Ne négligeons pas cette gêne sous ton aile. Transforme-toi, je vais t’examiner.

Bard se dévêtit, réserva son habit et prit l’espace nécessaire. Bientôt, ses yeux brûlèrent de lumière, sa peau se couvrit d’écailles scintillantes, qui s’épaissirent à mesure que les ailes lui sortaient du dos, que les cornes lui poussaient sur le crâne. Toutes ses caractéristiques humaines furent supplantées par celle du vulcanien.

Au repos, il se tenait dressé sur ses pattes avant à la façon altière des chats, une image de majesté renforcée par ses ailes pliées en cape et l’image de couronne que donnait ses cornes incrustées de particules adamantines. Profil élancé, muscles puissants, taille moyenne… en cette position, il toisait Xhoga d’un peu plus d’un mètre.

— Je sais que tu obéis aux ordres oraux de ta mestresse. Est-ce que tu comprends tous les humains, ou seulement elle ?

Le dragon pencha la tête, interrogatif.

— Ouvre tes ailes, tenta Xhoga.

La chimère n’en fit rien. Le professeur mima le geste en ouvrant les bras. Il obtint ainsi le résultat escompté. Les ailes de peau du vulcanien remplirent l’espaces, immenses.

— Bon… Au moins, tu es docile dans la mesure où tu comprends.


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