80.4

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Amis Lecteurs, je ne suis pas morte, seulement victime de mes circonstances.

J'osscille entre la grippe et la page blanche, dernièrement. Pourtant, je sais ce quoi doit ce passer dans cette partie et j'ai même hâte de vous le faire découvrir, mais j'ai l'impression que tout ce que j'écris sonne faux... Bref. J'essaie aussi de reprendre mes lectures, mais c'est toujours tellement génial ce que vous écrivez que ça me donne envie d'écrire et que le serpent se mord la queue.

Oui, longue intro, je sais.

Ana.

— La mestresse devrait sortir de l’étude d’ici un quart d’heure, reprit-elle de sa voix la plus neutre. Il faut absolument qu’elle mange avant son entraînement avec le Commandant Klalade. Je dois lui apporter son repas.

— Veux-tu que je m’en charge ? Elle m’a prêté sa clef tout à l’heure, je m’apprêtais à aller la lui rendre.

— Mes responsabilités me sont inaliénables, surtout celle de pourvoir à son alimentation. Fais ce que tu as à faire et j’en ferai autant, mais cesse de me distraire.

Son plan de travail en bon ordre, elle quitta la cuisine, visiblement plus pressée de s’éloigner de son point de départ que d’arriver à destination. Bard ne chercha pas à la rattraper. Il lui laissa le temps de prendre ses distances avant de se lever à son tour et ne la suivi que de très loin jusqu’à la bibliothèque. Plusieurs subordonnés y attendaient leurs supérieurs, agglutinés sous l’auvent qui offrait une ombre chiche.

Une heure sonnait exactement, rejetant une foule d’aspirants affamés sous le soleil caniculaire. Yue fut lente à sortir de l’édifice. Son front plissé trahissait le déplaisir que lui avait donné cette parenthèse studieuse. Retrouver ses esclaves ne la dérida pas. Sans se fendre d’une syllabe, elle esquissa un mouvement d’épaule qui fit glisser la sangle de son sac au creux de son coude. Son fabuleux reconnut le signe qu’elle voulait en être délestée et s’en voulut presque de ne pas avoir prit l’initiative de tendre les mains pour le recevoir. En public, tous devaient donner l’illusion de former une maison respectable, sans familiarité ni défaut de hiérarchie. Pour beaucoup, disaient les nobles, l’autorité d’un mestre se mesure à la déférence de ses esclaves. Yue, du haut de ses onze hivers et du fait de son physique atypique, se devait d’entretenir une image de prestige pour ne pas passer pour moins que ce qu’elle était.

Toujours sans parler, elle leva les yeux vers sa domestique, qui gardait les siens plus bas encore qu’à l’accoutumé. Son silence prolongé étirait les secondes que le soleil de plomb se chargeait déjà de rendre lourdes.

Inopinément, elle soupira. Ce souffle lui défroissa tous les muscles du visage, si bien que ses traits ne trahissaient plus aucune humeur lorsqu’elle sortit de son mutisme. Pourtant…

— À genoux.

Ces mots produisirent une onde étrange, nouvelle, amère. Yue articulait cet ordre pour la première fois et, contre toute attente, l’adressait à Io Ruh. Bard s’était convaincu que cet honneur lui reviendrait un jour le premier, voire à ce qu’il lui resterait exclusif jusqu’à ce qu’un troisième serviteur se joigne à leur maison.

Io Ruh obéit sans retard ni discussion, esclave modèle en dépit de tout. Le déjeuner soigneusement emballé de leur mestresse lui pesait toujours sur les bras. Yue l’en débarrassa pour la placer d’autorité entre les mains de son fabuleux tandis que la jeune servante joignait les sienne sur son tablier, ses coudes formant un léger angle qui affichait autant de déférence que de tension.

— Tu as écris ta réponse à dame Ye Sol ? l’interrogea la draconnière.

— Oui, Mestresse.

— Qu’est-ce que tu as décidé ? Est-ce que tu comptes aller revoir ton amie chez elle ?

— Non, mestresse. J’ai durement remercié la Noble dame Qilin pour son invitation. Je lui ai avoué mon mensonge et je l’ai prié de me le pardonner. J’ai ajouté que je ma mestresse ne m’autorisait à la visiter, mais que je me l’interdisais à moi-même.

Les traits de Yue reprirent momentanément le pli de la contrariété avant de reformer leur masque placide.

— Pourquoi ?

Io Ruh hésita.

— Parce que… ma mestresse me l’a ordonné, hasarda-t-elle.

— Je ne t’ai pas ordonné de refusé, je t’ai ordonné de prendre la responsabilité de ta décision. Ce que je veux comprendre, c’est pourquoi tu refuses et pourquoi t’as mentis pour commencer.

— Je… j’ai peur de ne pas pouvoir apporter de réponse satisfaisante à ma mestresse.

— Tu vas au moins devoir essayer. Je peux pas régler un problème que je comprends pas. Si je te donne l’impression d’avoir besoin de toi constamment, ou de ne pas vouloir que tu prennes du temps pour toi, je dois le savoir. J’essaie d’être juste, d’être responsable, de bien faire en tout et j’y arrive déjà assez mal sans avoir à jouer aux devinettes !

— Je demande pardon à ma mestresse pour le souci que je lui cause.

— Ne me demande pas pardon, demande-moi de l’aide !

Son invective se prolongea en écho, capturant l’attention d’aspirants déjà intrigués par le caractère insolite de leur réunion. Beaucoup devaient la trouver indéchiffrable, car quelle étrange réprimande…

— Je suis responsable de toi, poursuivit Yue, pas l’inverse. Tes problèmes sont les miens aussi. Vos problèmes sont les miens. Parlez-moi au lieu de faire n’importe quoi ! Vous êtes fatigants !

Visé par ce reproche élargi, Bard baissa instinctivement les yeux. Il se doutait que Yue ne lui avait pas entièrement dépassé l’épisode de sa fugue. Pour Yue, ç’avait été un échec personnel en plus d’une trahison. Or, la draconnière avait la rancune tenace, envers les autres aussi bien qu’envers sa personne. La faute de Io Ruh se résumait à avoir légèrement appuyé sur la plaie qu’il avait infligé à leur mestresse.

— Jusqu’à la fin de la journée, reprit Yue d’un ton sentencieux, tu n’as plus le droit de parler, de signer ou d’écrire à personne. Tu n’as pas non plus le droit de dessiner ou de confectionner des nœuds. Sauf urgence, je suis la seule personne qui pourra lever ta punition. Je veux que tu aies eu le temps de réfléchir à ce que tu vas dire quand je te rendrai le droit de communiquer. Je ne te demande pas d’inventer un mensonge crédible ou d’essayer de deviner ce que j’ai envie d’entendre. Je te donne une chance d’être honnête, d’abord avec toi, puis avec moi si tu penses le pouvoir. Si tu as compris, lève-toi, incline-toi et va-t’en.

Mal assurée sur ses jambes, du fait du gêne moins physique que mentale, la jeune esclave se leva, s’inclina profondément, redoublant de déférence par le soin de sa posture, puis s’éloigna, d’abord de quelques pas à reculons, puis droit vers les quartiers d’habitation. Yue suivis sont trajet des yeux longtemps. Quant à Bard, il l’observait elle, à l’affut d’un geste, du mot, un ordre quelconque.

— Tu as pu aller à la clinique ? demanda-t-il d’un ton étonnamment neutre.

À l’entendre, les quelques minutes précédentes semblaient ne pas avoir existé.

— Euh… Oui, je… Oui, Mestresse, se reprit-il. Le professeur Xhoga m’a accueilli et examiné en personne. Il m’a remis un compte-rendu pour vous.

— Qu’est-ce qu’il dit ?

— Pour résumer, ma forme draconique entame sa première mue et il faudrait que je maintienne cette forme quelques jours pour qu’elle se passe correctement. Vous n’y voyez pas d’inconvénient ?

— Non. Je vais seulement devoir payer quelqu’un pour faire tes corvées pendant que tu seras plus vraiment là, mais ton ancienne peau va rapporter beaucoup d’argent alors c’est pas grave.

— Vous saviez ?

— Quoi, que tu allais muer un jour ? Oui. Pas toi ?

— Je parle de la valeur de mes écailles une fois cristallisées.

— Je sais ce que vaut tout ce qui compose tes deux formes ; tes griffes, tes crocs, tes cheveux, tes os… Je suis obligée de connaitre le change en or de tout ce que je possède.

Un souvenir de ses jours d’écolier revint à Bard ; celui d’interminables tables de valeurs à l’usage des mestres qui, pour les plus exhaustives, exigeait un travail quotidien. À terme, elle permettait de faire état de la rentabilité d’un bien, fut-il matériel ou vivant. En pratique, l’entretien de ce genre de registres incombait aux intendants et autres hauts employés de maison, la plupart des nobles n’en étudiant les spécificités que pour la forme.

Léopold Makara comptait parmi ceux qui n’aimait pas à déléguer. Il s’occupait personnellement et exclusivement des finances de Yue aussi bien que des siennes propres et exigeait de la fillette qu’elle s’investît dans ce processus, notamment en faisant le compte de ses dépenses courantes et prenant connaissance de celles dont il prenait l’initiative pour elle, de sorte qu’elle sût se projeter dans celles qu’elle aurait à gérer seule plus tard.

— Ma clef, rappela Yue.

Bard tira prestement le bijou de sa poche pour le lui rendre. Le pendentif retrouva sa place sous son col.

— Tu devrais aller préparer ta stalle pour cette nuit. Notre appartement est trop petit, et il fait trop assez chaud la nuit pour avoir un vulcanien qui fait cheminée à côté.

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