89.2

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Amis Lecteurs, vous connaissez la chanson : ceci est techniquement un nouveau chapitre. Quelques corrections et surtout une SUITE, non de non ! J'y arrive douvement mais j'y arrive.


Ana, qui fait de son mieux.


PS : Vous avez vu la nouvelle couverture ? 'L'en jette, hein ?

Meri à @Gaëlle N. Harper de l'avoir conçue :)


La soldatesque grouillait dans les quartiers résidentiels les plus opulents de la haute ville, arborant tantôt les couleurs de l’empire, tantôt celles de l’état Li-Hore, le tout complété par les blasons de maisons particulières. Certains patrouillaient, d’autres gardaient les portes d’immenses résidences ; d’autres encore escortaient voitures, palanquins et convoi en tout genre. Les rues, plus larges que celles du centre, accueillaient pourtant bien peu de monde en comparaison.

La résidence du duc d’Haye-Nan s’inscrivait dans le relief boisé d’une colline. Les multiples cours et pavillons qui composaient la propriété reposaient sur de vastes terrasses en escalier, comparables à celles d’une rizière, balayées par un vent léger qui dévalait la pente pour souffler sur la chaussée une senteur herbacée ainsi qu’un murmure de branche et de carillon.

Imposant, songea Rëvika. Un vrai paysage d’estampe.

Sans doute jurerait-elle avec le décor, une fois entrée.

Le commandant avait fait l’impasse sur l’uniforme, préférant une tenue civile sans prétention. Question de principe. Porter les marques de l’Ordre revenait à agir en son nom. Or, Rëvika risquait incessamment de commettre une erreur passible de graves conséquences : celle de contrarier plus puissant que soi.

Peut-être aurait-elle dû dire non ? Sans doute le pouvait-elle encore. Rien ne l’empêchait de s’arrêter, de se dédire, de rebrousser chemin. Qu’est-ce que deux esclaves adolescents pouvaient pour la contraindre ?

Rëvika les toisa discrètement par-dessus l’épaule. Une angoisse palpable raidissait leurs pas, tiraient leurs traits, contractait leurs mâchoires. Eux aussi devaient douter, reconsidérer leurs choix, s’inquiéter de conséquences… Le point de non-retour approchait, cependant. Nul ne se désista.



Bard ne l’avait rencontrée qu’une fois. Io Ruh, jamais. Impossible de ne pas la reconnaitre, pourtant. Assise au milieu des soies colorées de sa robe, droite et digne sous ses interminables cheveux noirs, toute la gloire de son nom lui auréolait la figure. Ou n’était-ce que le jeu du soleil sur les ornements de sa vêture ?

So Hae Temehn, comtesse de Tem et membre honoraire du Ministère de la Culture, fille unique du duc d’Haye-Nan et Gouverneur de Li-Horie… Grand-mère de Yue.

Ce fut en vain que Rëvika chercha aux parentes le moindre air de famille. Yue devait tenir de son père et du père de son père avant lui.

— Heureuse de vous rencontrer, Commandant Klalade.

Leurs voix, réalisa Rëvika. Leurs voix avaient le même timbre malgré les quelques cycles qu’il manquait à Yue pour l’avoir aussi grave.

— Heureuse également. Je vous remercie de me recevoir.

Les gestes de la comtesse se parèrent d’une lenteur surréaliste tandis qu’elle écartait sa manche, saisissait sa tasse de thé, la porta à ses lèvres... Rëvika s’efforça de ne pas montrer de signe d’impatience ; pour s’être fait expliquer quelques usages de la noblesse par Io Ruh, elle savait que la précipitation pouvait paraitre impolie, voire insultante. S’il plaisait à la comtesse de suspende la conversation pour se désaltérer, s’éventer ou rajuster son habit, il convenait de la laisser aller au bout de ses initiatives sans l’interrompre.

— Je vous écoute. Vous êtes là pour me parler de l’enfant, je suppose.

La méfiance ourlait ses mots, sculptait ses lèvres ; celles de Rëvika s’entrouvrirent sur sa surprise. Au-delà de son nom, elle n’avait encore rien dit, ni de sa vie raisons de sa présence.

— Je suis là pour, Yue, oui.

Yue, rectifia la comtesse, rendant sa juste prononciation au prénom de sa petite-fille.

La différence, audible, quoi qu’infiniment subtile, laissa Rëvika incertaine de sa capacité à se corriger. Aussi, elle n’essaya pas.

— Vous savez qui je suis pour elle, si je comprends bien.

— Exact. Je le savais bien avant aujourd’hui. Je n’aurais pas ouvert mon salon à une parfaite inconnue avec qui je n’aurais aucun intérêt commun.

Rëvika sentit la sueur perler à son front. Sa réputation la précédait rarement en bien. Le terrain qu’elle espérait neutre s’avérait-il miné de préjugés ? Ceux au scandale de son année d’auxiliaire ? À sa mise à pied pour abus de pouvoir ? Rëvika résista à l’envie de se retourner pour adresser un reproche silencieux aux instigateurs de leur initiative pour l’avoir mise dans une situation bien plus inconfortable qu’escomptée.

— Vous pensiez pouvoir entrer dans la ville que ma famille gouverne ainsi que dans la vie de ma petite-fille sans que je ne vous remarque ? s’étonna So Hae à son tour.

— Je… je ne pensais pas qu’elle vous préoccupait au point de vous informer sur son entourage.

— Et pourtant, vous voilà chez moi pour me parler d’elle.

Rëvika dut bien admettre le ridicule de sa position, ce qui ne l’empêcha d’en vouloir à la comtesse de l’enfoncer. Garder contenance lui devenait difficile.

— Je n’ai pas la prétention de savoir ce qu’est votre relation avec elle, ni ce qu’elle représente pour vous, clarifia-t-elle. Tout ce que je sais, c’est que vous avez déjà essayé de vous rapprocher d’elle il y a quelques années, mais que ça n’a pas été possible pour une raison ou une autre. Aujourd’hui, ça l’est. Yue n’a plus vraiment de foyer autre que la draconnerie, ni de famille. Elle n’a pas non plus d’ami ou d’égal : seulement des subordonnés et des supérieurs. Je pense que vous avoir dans sa vie lui serait profitable, surtout à son âge. Si je suis venue, c’est pour vous le faire savoir, et pour vous proposer de venir la voir un jour.

Une expression effleura le visage placide de la comtesse : un sourire, plus moqueur que joyeux.

— Vous êtes bien naïve de penser que j’ai pu vouloir l’intégrer à ma famille. Officiellement, je n’ai plus ni fils ni petite-fille depuis longtemps. Seulement, son existence est trop publique pour que je cesse de la surveiller. Si elle venait à s’humilier ou à commettre une atrocité, cela salirait le nom de Temehn alors même qu’elle ne le porte pas. J’ai voulu me charger de son éducation autrefois, certes, mais pas pour la faire vivre chez moi en mestresse. Je voulais l’éloigner : la confier à des vassaux en terres rurales ou à un temple hylétique d’une cité souterraine. Ce n’est guère plus possible aujourd’hui qu’il y a deux ans. Je n’ai pas pu l’arracher à la famille Makara, comment pourrais-je l’arracher à ses obligations envers l’Empereur ?

Un sentiment d’indignation enfla la poitrine de Rëvika.

— Vous ne vous êtes jamais dit qu’elle pourrait être tout le contraire d’une honte pour votre famille ? Qu’elle pourrait apporter du bien dans votre maison ? Yue est talentueuse et résiliente. Il me semble que votre famille est connue pour ses faits d’armes. Beaucoup d’entre vous se sont illustrés dans la draconnerie. Yue ne tardera pas à en faire autant. Je lui enseigne depuis plus de quatre lunes, mais elle arrive encore à m’impressionner en entrainement. Si vous vous donniez la peine de la connaitre, vous pourriez l’être aussi.

Nouvelle gorgé de thé, interminable, probablement tiède. La comtesse eu l’air de se perdre dans une rêverie en la buvant. Ses sens s’échappaient par la fenêtre qui offrait tout Haye-Nan ainsi que les nuages qui la surplombaient.

— Impressionnée par des prouesses militaires… je devais l’être lorsque j’étais jeune fille, je suppose. Savez-vous une bonne méthode pour se guérir d’une telle bêtise ? Être offerte en mariage à un héros de guerre ; le voir perdre le sens des réalités, oublier la valeur de la vie, celle des autres aussi bien que la sienne… se croire invincible et mourir bêtement. Lorsque l’enfant aura réellement accompli quoi que ce soit en matière de fait d’arme, allez donc plaider sa cause auprès de mon père, s’il est encore vivant pour vous entendre. Il a quelque chance de se laisser séduire par l’idée d’en faire une vassale. En ce qui me concerne, je n’ai aucun projet pour elle. Revenez me voir si un vrai problème se présente.

Une servante au cheveux grisonnant sortit du coin de pièce d’où elle effaçait sa présence jusque là pour désigner la sortie à Rëvika en un geste poli, mais ferme : fin abrupte à une conversation stérile. Ce n’était peut-être pas plus mal. En partant maintenant, il n’y aurait rien à déplorer, sinon un échec prévisible. Rëvika se leva.

— Une minute, se ravisa la comtesse. Une question reste sans réponse. Pourquoi êtes-vous accompagnée par les esclaves de votre élève ?

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