91.2

7 minutes de lecture

Amis Lecteurs, ça fait un mois que je bute sur ce chapitre, alors s'il vous plait, même si vous l'aimez pas, commencez par me dire qu'il est génial. Ensuite, dîtes moi la vérité, parce que je veux quand même m'améliorer. Puis pour faire bonne mesure, redite moi qu'il est génial à la fin : ça s'appelle un sandwich de compliments, c'est délicieux, je le recommande.

Merci d'avance. Ana.

Les ingérences des Temehn ne se limitèrent pas au nom qu’ils imposèrent à Yue. Bientôt, les billets frappés du sceau ducal plurent à la loge, noircis de toute sorte d’exigences. Il fallut d’abord que Yue changeât de fournisseurs. Linge, produits de toilette, encre, papier, huile, charbon et autres effets du quotidien ne devaient plus être achetés qu’à des maison vassales ou alliées, quitte à y débourser plus d’argent. En contrepartie, la maison du gouverneur la pourvoyait en provision de bouche : des céréales en quantité au commencement de chaque lune, des fruits et légumes variés tous les cinq jours et du poisson frais tous les matins. La viande, puisque So Hae n’en consommait pas, n’avait plus sa place dans le cellier de sa petite-fille.

Yue dût aussi superposer le tampon des Temehn à celui de sa maison pour accompagner la moindre de ses démarches et cesser d’écrire son prénom en lettres communes pour leur préféré l’idéogramme associé.

Ses professeurs, tout du moins les administrés de la province, changèrent d’attitude à son égard au gré de ces bouleversements. Sans se montrer plus complaisants pour elle, ils s’investirent davantage dans sa formation particulière. Lorsqu’elle rendait un mauvais devoir ou répondait mal à une question, du travail supplémentaire et des leçons à réapprendre l’obligeait passer des heures supplémentaires à l’étude tous les jours.

Les aspirants aussi se comportèrent vite différemment : ceux qui l’ignoraient autrefois et réciproquement se mirent subitement à la saluer matin et soir, à s’enquérir de son humeur et de sa santé, à l’inviter à leur table ou à jouer une partie de quelque jeu, à proposer de lui rendre des services ou pire, à lui en demander.

— Il se sont tous transformé en Loug ! Je sais plus quoi faire pour qu’ils me laissent tranquille !

Le commandant Klalade riait de ses plaintes et lui donnait des ordres tout aussi contrariants que ceux de So Hae, notamment celui d’arrêter d’ignorer ses pairs.

— J’ai pas le droit de parler aux inconnus, rappelait alors Yue.

— Un de ces jours, il va vraiment falloir que tu m’expliques ce que tu appelles un inconnu. En attendant, fait un effort, au moins pour dire bonjour et aurevoir.

Yue fit de son mieux pour être polie, quoi qu’elle échoua souvent faute de patience. Ses cours, ses entrainements et les lettres de la famille qui se rappelait subitement son existence l’épuisait trop pour qu’elle se rappelât tout à fait ses bonnes manières.

Quant à So Hae, elle n’oubliait pas que les esclaves de Yue ne lui avaient pas fait la meilleure impression lors de leur première rencontre. Un jour, elle exigea qu’ils vinssent compléter leur éducation au manoir du duc à raison de trois demi-journées par décan pour Io Ruh et huit pour Bard.

Yue trouva là les limites de sa complaisance, opposant un non ferme à la noble dame. Sa récente expérience lui avait trop bien prouvé qu’elle ne pouvait ni laisser ses esclaves seuls chez d’autres mestres, ni faire entrer les esclaves d’autres mestre chez elle pour les remplacer.

Au milieu de se chaos, décolérer s’avérait difficile. Yue se sentait aussi courroucée qu’au premier jour, sinon plus ; son humeur pesait sur le petit appartement comme une chappe de plomb, coupait court à toutes les conversations, empêchait tous les plaisirs du quotidien. Fidèle à sa promesse, Yue réservait son jugement disciplinaire pour un jour d’accalmie qui n’arrivait pas, sans se rendre compte qu’elle punissait déjà ses subordonnés par l’attente qu’elle leur infligeait et l’attitude de contrition dans laquelle elle les enfermait par le reproche constant qu’exprimait son silence.

À son tour, Bard trouva bientôt sa limite. Les bouderies de Yue – car il ne s’agissait pas d’autre chose – ne l’affectait pas outre mesure. La mal-être croissant et visible de Io Ruh, par contre, ne pouvait le laisser indifférent. Il comprenait que n’ayant jamais été autre chose qu’esclave et pour avoir placé toute son estime d’elle-même dans la qualité de son service, rien ne l’affligeait plus que l’idée de déplaire à sa mestresse. Au temps où elle prenait ses ordres du baron plus que de Yue, Io Ruh paraissait bien plus sereine et confiante, presque heureuse de pouvoir s’enfermer dans son rôle d’esclave modèle. Bard la préférait moins rigide, certes, mais supportait mal l’idée que ce fût au détriment de sa santé physique et mentale. Ainsi, au risque d’aggraver la situation, il prit un nouvelle une nouvelle initiative.

Un soir de mi-décan, tandis que Io Ruh dormait profondément et que la lampe de Yue brillait encore à travers les parois de bois sculpté et de papier, il se permit une incursion dans son espace de nuit. Il la vit qui feuilletait son recueil de contes aranites : celui offert par Ibranhem. À force de se les entendre lire, elle en connaissait toutes les histoires par cœur et n’avait qu’à déchiffre le premier mot d’une page pour la rappeler toute entière à sa mémoire. Il lui arrivait aussi de passer de longues heures à détailler les illustrations pour en interpréter chaque détail. Lorsqu’ayant remarqué Bard, elle laissa tomber le livre sur ses genoux, le fabuleux vit qu’elle étudiait la carte qui prenait toute une double page du recueil. Il songea qu’à travers cette distraction, Yue s’adonnait peut-être à un exercice théorique.

— Qu’est-ce que tu veux ? soupira-t-elle.

Bard referma soigneusement la paroi pour les isoler tout deux, puis s’agenouilla aux pieds du lit.

— À quoi tu joues, encore ?

— J’aimerai te parler. S’il te plait.

Yue croisa les bras. Comprendre, je t’écoute à contrecœur. Bard ne fit aucun détour :

— Je viens te demander ma punition et le pardon de Io Ruh. Je suis plus fautif qu’elle. Agir dans ton dos, c’était mon idée. Tu vois aussi bien que moi à quel point ça la rend triste de t’avoir manqué d’obéissance. Tu peux me priver de tout ou m’envoyer recevoir des coups aux quartiers de discipline, si tu veux, mais j’ai besoin… d’avancer. Pas toi ?

Yue leva les yeux au ciel, les lèvres tordues en une expression équivoque.

— Tu crois que c’est ça, le problème ? Que j’ai pas encore passé mes nerfs sur toi et que tout sera fini quand ce sera fait ?

La question laissa le fabuleux sans voix. Lui qui avait espéré prendre Yue de court pour mieux la disposer à écouter ce qu’il avait à dire se trouvait pris à son propre piège.

— Le problème, c’est que je peux pas te faire confiance ! Que je te parle dans le vide ! reprit véhément Yue. Est-ce qu’après t’avoir puni je pourrais te refaire confiance ? Pour pas refaire une fugue ou pour pas reprendre de décisions à ma place ? Est-ce que je pourrais être sûre que tu me caches plus rien ? Et si je te pardonne encore, ça veut dire quoi ? Que j’accepte que tu fasses ce que tu veux sans m’en parler ? Je suis ta mestresse, alors je te donne des ordres et t’aimes pas ça, je sais, mais j’ai jamais rien fait dans ton dos ou sans te demander ton avis. Je t’ai toujours laissé le choix quand je pouvais, même pour la seule fois où je t’ai puni. Pourquoi… Toi non plus, tu me fais pas confiance, c’est ça ? Tu penses que suis pas capable de faire ce qui est bien pour tout le monde ?

Bard ouvrit la bouche sur une absence de paroles. La question de Yue appelait-elle autre chose qu’un silence contrit ? La trop jeune mestresse ne se trompa. Son esclave ne croyait à son bon vouloir, mais pas en ses capacités décisionnelles. Son âge et son caractère la desservait. Il n’eût probablement pas été meilleur mestre qu’elle à onze ans, mais c’était égal. Il se méfiait instinctivement des erreurs graves qui lui restait à commettre.

— Qu’est-ce que je peux faire pour regagner ta confiance et te prouver que tu as mienne ? hasarda-t-il.

Yue ferma son recueil d’un geste lent, presque omineux.

— Rien. Je vais faire un effort pour cette fois, mais ce sera tout. Si tu me poses encore problème, je te ferais vivre sous ta forme de dragon pendant au moins un an. Et si tu me poses encore problème à ce moment-là, je te cèderais à l’ordre. Je te l’ai dit quand t’es revenu de ta fugue : je peux te rendre la vie plus facile ou t’empêcher de gâcher la mienne. C’est toi qui choisis.

La menace de Yue – sa promesse ? – le pétrifia. Il la trouvait plus cruelle que celle du fouet ou de toute autre torture. La seule idée d’être privé de ce qui lui restait de vie humaine le blessait physiquement. Il sentait comme une lame lui traverser la gorge, lui passer par le cœur et les poumons, lui trancher les viscères.

— Tu ferais vraiment ça ?

Sa voix se brisa sur chaque syllabe. Il se reconnut à peine sous ce ton d’enfant apeuré.

Yue se détourné de son esclave, voilant son expression de pénombre. Un silence plana. Yue ne reprit la parole que pour se dérober à la question.

— J’ai changé d’avis pour la proposition de la noble dame. Tu vas aller prendre des leçons là-bas, et Io Ruh aussi. Vous vous débrouillerez pour faire toutes vos corvées quand même, je veux plus d’inconnus ici.

Yue se dépêtra de ses draps pour ouvrir sa chambre à la pièce principale. Sans trop de surprise, Io Ruh s’était réveillée ou peut-être n’était-elle pas tout à fait endormie pour commencer. Assise sur son futon, elle bascula sur ses genoux et s’inclina en voyant sa mestresse.

— Tu as entendu tout ce que je viens dire ? l’interrogea froidement Yue.

— Oui, Mestresse.

— Tu n’as que trois leçons par décan à prendre, alors tu iras aussi chez dame Ye Sol pour l’aider avec son livre, si elle a encore besoin de toi.

Yue se retourna vers Bard sans laisser à Io Ruh le temps de d’acquiescer.

— T’es content ? Tu l’as, ta punition. Est-ce qu’on a avancé ?

Annotations

Vous aimez lire Ana F. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0