Chapitre 10 : Miroirs et brume (1)

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 Les couloirs se succédaient. Cassius avait besoin de trouver un miroir mais toutes les salles qu'il ouvrait en étaient dépourvues. Ses yeux lui faisaient mal, depuis plusieurs jours maintenant. Il voulait les voir, il sentait qu'il y avait quelque chose de particulier.

 Quelque chose clochait. Où étaient les toilettes les plus proches ? Où était-il ? Il s'était perdu, à force de vagabondages. Il revint alors sur ses pas, jusqu'au début, jusqu'à la salle commune. Depuis là, il trouva facilement des toilettes.

 Dans celles-ci, les miroirs n'étaient pas au même endroit que d'habitude. Il dut traverser toute la pièce jusqu'à eux et, s'en approchant, il réalisa qu'ils ne marchaient pas. Il avait beau s'y placer devant, les frotter ardemment, aucun reflet n'apparaissait.

 Cassius ressortit mais ne trouva plus la salle commune. Il était perdu. La douleur dans ses yeux s'accentuait. Il commença à paniquer. Il pouvait sentir sa respiration s'accélérer tandis qu'il criait tous les noms qui lui venaient à l'esprit à travers les couloirs qu'il voyait défiler sous ses yeux. Ses mains s'agrippaient sur les murs, ses yeux palpitaient de douleur et personne n'était sur son chemin.

 Enfin, sur sa droite, sa main s'appuya sur une porte. Elle s'ouvrit sur un immense miroir. Et Cassius fut effrayé par ce qu'il y vit. Ses yeux avaient perdu toute couleur et n'étaient plus que blancheur. Il se précipita pour regarder de plus près, accablé par la douleur. Son iris, cette matière d'une pâleur absolue, recouvra progressivement l'entièreté du trou noir de sa pupille.

 C'est alors que, doucement, avec le calme d'une volonté insondable, des reflets y apparurent. Les mouvements s'accélérèrent, s'intensifièrent à l'intérieur même de son œil et Cassius voulut s'éloigner de cette vision terrible mais quand il se recula d'un pas rien ne bougea. Il sentait le danger l'envelopper, inéchappable. Il était entouré par ces reflets incolores et hostiles, son iris qui ne cessait de s'agiter en lui et il voulait le repousser, l'arracher de son corps mais il y avait été avalé, absorbé, submergé.

 Le sol s'était dérobé sous ses pieds et il sombrait dans ce liquide étouffant. Il criait mais ne produisait aucun son. Son thorax était écrasé par la douleur dans laquelle il était plongé, il ne pouvait plus respirer et il tombait. Et puis, lorsque son corps toucha le fond, tout se précipita. Alors qu'il pouvait sentir la matière solide contre son épaule, il s'envola en même temps vers les hauteurs de cette eau, avec la sensation d'un crochet dans son estomac, puis retomba dans une chute infinie qui s'acheva pourtant sur son matelas. Ses mains s'agrippèrent autour de lui, il avait encore la sensation de tomber et bientôt il eut recouvré tous ses esprits.

 Il retrouva ses sens. Il était bien allongé sur son lit. Sa chute n'avait été qu'une étrange sensation à son réveil. Il ne s'était pas encore noyé dans un lac. Pourtant, comme essoufflé, il respirait profondément. Tout autour, le monde était silencieux, immobile. Le temps ne s'écoulait pas. C'était l'une de ces pauses, éternelles dans l'infinité de la nuit.

 Sans même s'en rendre compte, Cassius avait fini par se rendormir mais, juste avant cela, même s'il ne s'en souviendrait pas lorsqu'il rouvrirait les yeux au matin, une voix avait prononcé son nom, une voix qui, il le savait, l'accompagnerait rassurante et protectrice au cœur des ténèbres du sommeil.

 — Tu as encore fait des cauchemars, fit remarquer cette même voix, le lendemain, au petit déjeuner.

 Adrian tartinait ses toasts de confiture, tranquillement, comme si ce n'était rien. Comme si chaque nuit qui passait ne rappelait pas à Cassius qu'il ne serait jamais capable de réussir cette deuxième épreuve. Le bal de Noël lui avait accordé un prétexte pour penser à autre chose mais désormais le lac s'était brutalement rappelé à lui, encore une fois. Cassius eut seulement la force de lui répondre par un grognement. Dès qu'il s'était réveillé ce matin, il avait été pris d'une étrange pesante sensation de fatigue, alors même qu'il venait de finir sa nuit.

 — Il va te falloir trouver une solution, Cassius, ajouta Adrian.

 Il y avait une telle attention dans sa voix, si honnête, si pure, que ces mots ne purent laisser Cassius insensible. Il quitta la tartine sur laquelle il s'était concentré depuis son arrivée et osa enfin regarder son meilleur ami dans les yeux.

 Il n'y avait pas de pitié dans son regard, il y avait quelque chose de bien pire : de l'espoir. Il fixait intensément Cassius, avec la détermination d'une personne confiante, comme s'ils étaient en train de passer un accord tacite. Et Cassius se sentit coupable de ne pas baisser les yeux, de ne pas s'avouer vaincu, d'être le complice du contrat secret qu'ils étaient en train de sceller silencieusement. Il aurait fallu qu'il lui dise, qu'il lui dise qu'il n'y arriverait pas, qu'il ne pouvait pas, qu'il trahirait sa confiance mais il se contenta de soutenir son regard, dans le plus grand des mensonges, et de lui promettre implicitement qu'il trouverait une solution.

 Cassius pouvait sentir l'engrenage menaçant se mettre en place, réunissant les éléments parfaits pour mener à la catastrophe, dans une mécanique sordidement imparable. Il ne lui restait plus que quelques jours pour tout perdre. Il n'y avait aucune solution pour la deuxième épreuve.

 C'est à ce moment-là qu'arriva Daphné, avec sa gesture sautillante et ce sourire toujours posé sur ses lèvres. Elle rendit le monde à nouveau normal.

 — C'est à propos de Pansy, annonça-t-elle de but en blanc.

 Instantanément, ils furent tous les trois replongés dans le jeu qui les occupait depuis Noël : percer le mystère Pansy. Rien n'aurait pu mieux changer les idées de Cassius. La veille, après que Daphné fut rentrée de Pré-au-Lard, ils lui avaient raconté la conversation de Pansy que Cassius avait espionnée inconsciemment. Elle en avait aussi pensé qu'il devait y avoir un lien avec l'accident de Noël.

 — Pansy et toi êtes convoqués à l'infirmerie par Dumbledore, ajouta-t-elle finalement. Il est sûrement temps pour quelques explications.

 — Je te retrouve à la salle commune ! lui lança Adrian avec un air lumineux de satisfaction.

 Avec le même sourire assuré que ses deux camarades, Cassius se leva de table et sortit, déterminé, vers l'infirmerie, prêt à enfin les aider dans leur enquête. Lorsqu'il arriva, il trouva une porte entrebâillée sur une pièce complètement silencieuse. Il l'ouvrit alors sans discrétion. Pourtant, de l'autre côté, ce fut à peine si l'infirmière leva les yeux du parchemin que, juste à côté d'elle, la professeure McGonagall étudiait du regard. Sur la gauche, Pansy faisait dos à Cassius, bras croisés et ne se retourna pas. Dumbledore n'était pas encore arrivé. Coupé dans son élan par cette absence d'accueil, Cassius resta ainsi pataud sur le pas de la porte, jusqu'à ce que McGonagall ne replie le parchemin avec un raclement de gorge et que, après avoir échangé un signe de tête avec l'infirmière, elle ne se dirige elle-même vers la porte. Cassius s'avança, la suivit du regard, marcha sans vraiment s'en rendre compte jusqu'au niveau de Pansy et regarda, sourcils froncés, la professeure fermer la porte derrière eux.

 — Excusez-moi, dit Cassius, je croyais que le professeur Dumbledore...

 — Le professeur Dumbledore, interrompit McGonagall, vous a convoqué ici mais il m'a laissé le soin de m'occuper de cette... formalité.

 Toujours postée devant la porte, droite et immobile, elle dirigea son regard vers l'infirmière et Cassius l'imita. De sa démarche légèrement gauche, Madame Pomfresh leur apportait deux fioles. Elle en tendit une à chacun des deux élèves et leur intima d'en avaler quelques gouttes. Cassius obéit à l'infirmière, qui n'avait l'air de leur vouloir aucun mal, mais cette scène le prenait complètement au dépourvu. Au lieu des réponses qu'il était venu chercher et d'une mise au point avec Dumbledore et Pansy, il se retrouvait entouré de potions, de McGonagall et de nombreuses questions. À côté de lui, Pansy rendait la fiole à l'infirmière, son regard toujours tourné résolument droit devant, comme si Cassius n'était pas là. Celui-ci l'imita et, rigide, il rendit sa fiole tout en ignorant Pansy. Il avait l'impression qu'elle pourrait se sentir offusquée s'il n'en faisait pas ainsi.

 — On ne bouge plus ! s'exclama Madame Pomfresh, comme si les deux élèves étaient en train de s'agiter. Je vais juste lancer quelques sortilèges, vous ne sentirez rien.

 Elle ramassa sa baguette et, l'agitant du bout des doigts, lança plusieurs sorts tout en lumières et étincelles colorées. Et puis, alors que Cassius s'attendait à être ébloui par de nouvelles lueurs, elle jeta une toute autre sorte de sortilège. Il vit une fumée bleue s'échapper de la baguette en face de lui et l'envelopper dans un brouillard épais qui plongea son monde dans la nuit. Il ne voyait plus rien, ne sentait plus rien, n'entendait plus rien. Tout avait disparu, même son corps. Avait-il disparu ?

 Et puis, tout aussi soudainement que l'infirmerie s'était évaporée, la fumée se dissipa et lui ramena ses sens. Il prit de profondes respirations pour s'assurer qu'il était bien revenu dans la réalité. Pourtant, le monde lui parvenait de manière étrange. Face à lui, Madame Pomfresh lui apparaissait déformée, à travers un filtre bleu. Il regarda un peu autour de lui et s'aperçut qu'il était enfermé dans une bulle sombre, qui englobait aussi Pansy.

 — Et maintenant, dit Pomfresh, il faudrait que vous entriez en contact, comme au bal.

 Cassius vit Pansy se retourner vers lui et soutenir un regard d'une intensité telle qu'il faillit se sentir perdre l'équilibre. Il ne savait ce qu'il y avait dans ces yeux. Était-ce de la haine, de l'inquiétude, de la détermination ? Pansy leva son avant-bras et le plaça face à Cassius. Elle resta ainsi immobile, presque provocatrice, ne semblant qu'attendre que ce soit fini. Il y avait comme un drôle d'air d'ennui sur son visage.

 Cassius, lui, était tendu. Il craignait le pire, il se doutait bien pourquoi il y avait ce bouclier autour d'eux. Il regarda autour de lui. McGonagall et Pomfresh avaient les yeux rivés sur eux. Elles attendaient que la chose se passe. Il hésitait, il ne voulait pas reproduire la catastrophe, faire revenir la douleur, ni à lui, ni à elle. Il revoyait la larme qui avait coulée, doucement, contre la joue de Pansy, alors que le monde se déchaînait autour d'elle. Il regarda Pansy.

 Il n'allait pas pouvoir attendre éternellement, il lui fallait se résoudre à faire ce qu'on attendait de lui. Elle était si sûre d'elle. Il s'en inspira. Il prit une profonde inspiration, bloqua ses yeux dans ceux de Pansy et posa sa main sur son avant-bras. Quelque chose se brisa alors dans le regard de la jeune élève. Il y apparut de l'incompréhension, de la peur, presque, et puis de la curiosité, comme de l'intérêt. Il ne s'était rien passé. Absolument rien. Le monde était tout aussi normal qu'auparavant et en son cœur deux adolescents dans une bulle étaient reliés les yeux dans les yeux.

 Ceux de Pomfresh, habituellement invisibles au milieu de son visage aux traits fins, étaient écarquillés et posés, immobiles et incompréhensifs, sur Cassius et Pansy. Le jeune garçon lâcha soudain un cri de surprise, ayant failli écraser un insecte qui se précipitait déjà sous un meuble, et brisa l'immobilisme de cette scène.

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