Rapetisse

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 Ma grand-mère, elle rapetisse. Je le vois bien, tous les jours un petit peu.
 Elle ne peut plus attraper les assiettes, alors elle mange dans les bols.
 Je lui ai demandé comment cela se fait-il qu’elle rapetisse. Elle m’a dit que c’est à cause de la pluie et de la fée de l’eau.

J’aime les fées.

« Mamicha, dis-moi, c’est bien ou c’est mal de rapetisser ?
—C’est bien Soli jolie ; quand je serai suffisamment petite, la fée de l’eau m’a dit que les ailes qui poussent dans mon dos sortiront et je pourrai m’envoler.
—HO OUI ? ! Avec des ailes légères et transparentes...
—Des ailes comme du papier de soie et brillantes comme le cristal, je crois qu’elles seront ainsi…
—C’est beaucoup long que tu rapetisses Mamicha, je n’aime pas moi quand il faut attendre.
—Moi, je ne suis pas pressée quand on est vieux le temps va plus vite que les jambes. Si c’est beaucoup long pour toi, ça va très vite pour moi…
—Et c’est quand qu’elles pousseront tes ailes ?
—Elles sont déjà là, tu vois ? Mon dos s’arrondit… il me pousse en avant, elles sont un peu lourdes les ailes à l’intérieur…
—C’est où qu’elle est la fée de l’eau ?
—Un petit peu partout, il y a beaucoup de fées de l’eau, parce qu’il y a de l’eau un petit peu partout.
—Même dans les cailloux ?
—Même dans les cailloux…
—Alors pourquoi y sont pas mouillés les cailloux ?
—Parce que les fées qui y vivent sont toutes, toutes petites, elles savent bien se cacher… »

Je suis partie chercher une fée pour lui demander de rapetisser. Je veux des ailes moi aussi.
J’ai regardé dans l’eau du robinet, je n’en ai pas vue.
J’ai regardé dans l’eau des oranges, je n’en ai pas vue.
J’ai regardé dans l’eau du bois, je n’en ai pas vue.
J’ai regardé dans l’eau de la rosée, je n’en ai pas vue.

 Je demande alors à Mamicha :

 « C’est où que tu l’as vue, ta fée? Parce que je la trouve pas…
—Un jour qu’il pleuvait, j’étais grande encore et mes cheveux étaient blancs comme la neige…. Un jour qu’il pleuvait, j'ouvrai grand la bouche et je tirais la langue pour boire les gouttes…
—Comme moi !
—Oui. Les gouttes coulaient sur mon visage, sur mes lèvres et puis tout à coup ma bouche s’est coincée : je ne pouvais plus la fermer. Devant mon visage j’ai vu une fée ronde et toute nue, avec des ailes merveilleuses de lumière et de transparence. Elle sortait de ma bouche et appuyait sur mon nez avec une baguette…
—Une baguette magique?! Ho Mamicha ! Une vraie baguette magique ?
—Hé bien oui, il me semble… Elle a dit : « fais attention, tu as failli me croquer ! » Et la pluie s’est arrêtée. Et puis elle m’a demandé si j’aimerais devenir une fée... Bien sûr, oui ! Je voulais être une fée. Alors elle a murmuré « rapetisserapetisse » et c’est tout Soli jolie, je rapetisse et je sens mes ailes pousser»

 C’est un jour d’été, il fait chaud, l’air gonfle, il prend beaucoup de place quand on respire. Le ciel est de plus en plus noir ; il va pleuvoir.
  C’est un jour pour les fées de l’eau.

 Je mets mon maillot de bain. Je sors doucement devant la maison de Mamicha et j’ouvre la bouche pour boire les gouttes. Longtemps, je bois toute la pluie. Et le ciel grogne et rouspète, secouant ses nuages il fabrique de l’écricité…
 Je ne vois pas de fée mais la pluie s’arrête.
 Je suis très déçue j’ai envie de pleurer.

 Avec mes sandales je pousse les cailloux dans une flaque de pluie, ça fait des petites vagues. Quand je me penche je vois une ombre, mon cœur bat plus vite parce que je crois que j’ai trouvé la fée.
 Lorsque je me mets à genoux devant la mare sur l’eau qui danse, je vois le visage d’une petite fée qui me ressemble et je devine presque ses ailes dépasser de ses épaules alors j’écoute de toutes mes forces et je l’entends murmurer.
 Elle l’a dit ! Elle l’a dit :

  « Rapetisserapetisse, quand tes cheveux seront blancs ! »

 Je rentre en criant :

 « MAMICHA ! MAMICHA ! »

 Je mets de l’eau partout, je glisse et je tombe presque : ça glisse le sol mouillé.
 Mamicha dormait dans son fauteuil malgré le ciel bruyant et elle se réveille en sursaut quand elle m’entend :

 « Mais Soli tu es en maillot de bain ! Et tu es toute mouilée !
—JE L’AI VUE MAMICHA ! DANS LA FLAQUE DE LA PLUIE , LA FÉE DE L’EAU !
—HO ! Tu as de la chance, elles sont rares les f…
—Elle me l’a dit comme toi : « Rapetisserapetisse, quand tes cheveux seront blancs ! » JE VAIS DEVENIR UNE FÉE !
—Je suis très contente pour toi. Viens je vais te sécher et on va goûter. Soli ?
—Oui?
—Ne sors pas toute seule sans me le dire, -Mamicha sourit-
—Mais tu dormais.
—Je ne dors jamais très fort, réveille-moi, ce n’est pas grave. »

 Maintenant je prends sa main, je dis d’accord.
 Sa peau est toute plissée comme les pommes qui sont vieilles, mais quand je tire de chaque côté d’une ride, la peau est lisse et douce comme la mienne parce que la fée est cachée en dessous.

 Depuis quelques semaines, Mamicha dort toute la journée et plusieurs jours de suite, elle est toute petite dans son lit. Elle est fatiguée, ses ailes sont de plus en plus lourdes.
 Je crois que bientôt elle va s’envoler.

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