Conseil de magicien : se faire siphonner l'âme est douloureux

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Je me réveille avec un mal à l’âme terrible. Oui, j’ai bien dit « mal à l’âme ». Imaginez un mal au crâne, mais au niveau de l’âme. Les pratiquants de l’Art comme moi peuvent la ressentir, même s’il est impossible de la situer. Lorsqu’elle est blessée, je peux vous assurer que c’est une sensation très désagréable !

Je suis allongé sur le canapé de Gérard, mon fossoyeur préféré. Mes souvenirs de la veille, au début confus, me reviennent rapidement en mémoire, malgré ma cuite de la nuit de dernière, et je réalise à l’instant à quel point je suis dans la m… panade. Je regarde par la fenêtre : le soleil se couche. J’ai dû dormir toute la journée ! Mon rendez-vous avec mon sauveur-pirate-fantôme est dans moins d’une demi-heure, je n’ai aucune idée dans quoi je me suis embarqué mais ça ne présage rien de bon. La preuve ? Tous les manuels d’Art le disent : il ne faut jamais sceller un pacte avec un mort, un démon, un diable ou toute autre créature extra-planétaire. Même les anges, il faut s’en méfier ! Et moi, ignorant des millénaires d’expérience et sagesse, j’en ai signé un hier soir. A ma décharge, j’allais mourir. Donc, en gros, c’est comme si j’avais pris un prêt sur la vie avec de gros intérêts… Je ne vois pas comment cela ne pourrait pas finir mal !

Je me lève, un peu nauséeux, et fais l’état des lieux : fonctions corporelles, OK ! Pas de blessure apparente. Mental, pas terrible ! Moral, dans les chaussettes ! Clairement, ce n’est pas une bonne journée pour aller négocier avec un revenant capable d’envoyer balader la Mort. Littéralement. Ceci dit, ai-je le choix ?

Je prends rapidement une douche et me rends compte que je n’ai pas pensé à prendre des vêtements de rechange. Du coup, je fouille dans la garde-robe de Gérard. Vraiment pas folichon ! Il faut dire que non seulement je ne pense pas que le fossoyeur soit souvent amené à participer à des mondanités requérant de se saper un tant soit peu classe, mais aussi Gérard fait un bon vingt centimètres de plus que moi... en largeur ! Donc les seules fringues que je trouve doivent dater d’il y a quinze ans : une salopette en jean délavé et un t-shirt vert caca d’oie. Mais alors que je pense avoir touché le fond, je réalise soudainement que j’ai perdu une chaussure dans la bataille. Mes baskets !!! Du coup, le coup de grâce : je me retrouve devant le choix cornélien entre une paire de tongs et des bottes en plastique montantes vertes. Vous savez, ce type de bottes que l’on achète dans toutes les bonnes jardineries de France et de Navarre… Je soupire. J’opte pour les bottes, qui ont au moins le bon goût de s’accorder à ma salopette, et me voilà fin prêt ! Heureusement que Gérard n’a pas de miroir chez lui ou je risquerais de mourir d’anxiété à me voir ainsi !...

Le soleil a presque disparu et il est bientôt temps d’aller à mon rendez-vous. Alors que je me dirige vers la porte, celle-ci s’ouvre brusquement et heurte ma tête. Je m’étale, les quatre fers en l’air. Gérard qui venait d'entrer est pris d’un fou-rire incontrôlable. Il n’en peut plus à tel point il est obligé de se tenir à la poignée de la porte pour ne pas tomber. Je me relève difficilement et feignant de retrouver ma dignité, je lui jette un regard noir. Mais son rire est contagieux et j’absorbe malgré moi la joie qui irradie de mon ami, éclatant de rire à mon tour. Il nous faut bien quelques minutes avant de nous arrêter, Gérard se tient les côtes tellement il en a mal, puis tout revient à la normale.

« Et ben dis donc ! Tu as fait une sacrée nuit, Persée ! Je n’ai même pas pu te réveiller ce matin !

- Désolé, je suis resté débout tard cette nuit, répondis-je. J’ai cru entendre des rôdeurs, mais ce n’était rien. »

Gérard me pose la main sur l’épaule, compatissant. Je vois le crépuscule dehors.

« En tout cas, il faut que je file ! J’ai un rendez-vous. Je repasse plus tard ! » fis-je en sortant en trombe.

La nuit est maintenant tombée et je retourne là où je pense m’être évanoui la veille. Il ne faut pas longtemps à mon « nouvel ami » pour apparaître. A la clarté de la nuit naissante, j’ai l’opportunité de bien le voir. Outre le fait que le bas de son corps disparaît à partir de ses cuisses en vapeur éthérée, le reste de ses traits est très net et précis. Habituellement, ce niveau de détail dans l’apparence dénote d’une ancienneté et d’une grande puissance chez les fantômes. Pas un bon signe ! De plus, il ressemble trait pour trait à l’image populaire du fantôme de Barbe Noire. D’ailleurs, je me demande s’il ne projette pas la conception que je me fais de ce personnage mythique plutôt que de choisir consciemment à quoi il ressemble... En tout cas, je suis vraiment impressionné, et surtout un peu apeuré.

Il me laisse le temps de le jauger sans rien dire, puis, impatient, rompt soudainement le silence :

« Bon ! T’as fini de me mater ? Mon costume, c’est Dior ! Ma cape c’est Gucci et mon parfum Coco Channel ! Maintenant, c’est fini ! »

La violence de la tirade me laisse abasourdi. Il continue, plus calmement :

« Dis-donc, c’était pas terrible ta prestation hier soir ? Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? C’était ton premier jour ?

- Ben, non… » balbutiai-je, bien conscient que je donne l’impression d’être un élève de sixième en train de se faire sermonner par son prof.

Il me jette un regard sévère.

« Alors, c’est toi le nouveau gardien ? Il est arrivé quoi à l’ancien ?

- Nouveau gardien… répétai-je perplexe.

- Oui, le gardien ! Si t’as aucune idée de quoi je parle, dis-moi ce que ce tu faisais hier soir en train de te faire sucer la moelle par cette foule de revenants de bas étages en furie ?!

- Je ne faisais rien ! Je marchais tranquillement dans le cimetière quand ce fantôme boutonneux m’a agressé ! »

Là, c’est lui qui est perplexe. Mais d’un coup, il prend un air sadique puis me dit :

« T’es un pervers ? Un nécrophile même ? »

Je reste coi.

« T’étais là pour une messe satanique ? Allez ! Tu peux tout me dire !

- Mais non ! rétorquai-je véhément. Rien de tout ça ! J’ai célébré avec le fossoyeur hier soir et je suis sorti pour pisser ! C’est pas très compliqué ! »

Il a l’air déçu.

« Si c’est vraiment le cas, t’as pas eu de bol ! D’habitude, les morts ne sont pas intéressés par les simples mortels. »

Il marque une pause. Un quart de seconde trop longue.

« Mais tu n’es pas un simple mortel, n’est-ce pas ? »

Je déglutis. Trop bruyamment à mon goût d’ailleurs... Je me suis trahi !

Il rigole à gorge déployée.

« Tu crois que je suis stupide ?! Je sais très bien de quelle sorte tu es ! Tout le monde ici peut le voir, crétin ! »

Agacé, je me dis que ce serait intéressant d’essayer mon rayon de la mort sur ce casse-pieds. Mais comme je n’ai aucune envie suicidaire, je décide de changer de sujet à la place.

« Et vous ? Quel est votre nom ? Séjournez-vous dans ce cimetière ? »

D’un coup, son air se fait suspicieux.

« Disons que je tu peux m’appeler Barbe Noire. Et non, je ne suis pas de ce coin de cul-terreux.

- Alors pourquoi étiez-vous ici hier soir ?, demandai-je.

- J’ai flairé le conflit de pouvoir ! Alors j’ai viré de bord et ai dirigé ma proue dans ta direction. T’as eu de la chance que je sois arrivé à temps… »

Puis, il prit un ton sérieux.

« D’ailleurs, commençons par le paiement. »

C’est la partie que je redoutais. Je ne peux pas me dédire de ma promesse de la veille. Sinon, il pourrait m’arriver des choses terribles… Alors je me résigne et m’exécute. Je fais irradier mon aura, mon âme en quelque sorte, et Barbe Noire s’en repaît. D’abord sobrement, puis soudain il est pris d’une avidité sans fin et il siphonne mon âme à plein régime. Le flot est tellement fort que je manque de faillir et je dois ancrer ma volonté pour arrêter cette hémorragie. Repu, il me regarde avec satisfaction. Son spectre luit d’une force incroyable, et je croirais presque que son apparence retrouve des couleurs. Il rote à en faire trembler les montagnes.

« Voilà bien longtemps que je ne m’étais pas gavé comme ça ! »

Il rit d’un rire gras et malsain.

« Bon, comme conclu, je m’occupe de ce cimetière encore cette nuit. Aucun fantôme ne causera de problème. »

Il fait une pause. Puis, il reprend :

« Dis, petit, je peux te donner un conseil ? »

Je hoche du chef.

« T’as intérêt à retrouver le gardien vite fait ! Sinon, à ce rythme-là, je ne te donne pas trois jours pour être vidé ! »

Son rire gras reprit puis s’évanouit dans la nuit, tout comme lui. Moi, épuisé, perdu, je m’assieds sur une tombe. J’ai gagné une nuit, mais je ne sais pas quoi en faire. Je me demande surtout comme je vais pouvoir me sortir de ce bordel…

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